ÉVÉNEMENT
Les neuf lauréats seront récompensés demain au cours d’une cérémonie au Bristol.
« Le goût fade de notre politique intérieure se traduit par un écœurement » : c’est par cette image que s’ouvre la citation de Michel Chiha sur laquelle près de 500 élèves ont planché en février dernier. Les lycéens participaient alors au concours de la Fondation Michel Chiha. L’organisation, présidée par Michel Eddé, entend diffuser la pensée de celui qui est présenté par beaucoup comme le père fondateur du système politique du Liban contemporain. Demain, samedi, les noms des neuf lauréats seront connus à l’issue d’une cérémonie qui se tiendra à l’hôtel Bristol de Beyrouth.
Le concours est né en 1954, année de la mort de Michel Chiha. Après une vingtaine d’éditions, la guerre libanaise met un coup d’arrêt à la compétition. Celle-ci ne reprendra qu’en 2015 pour les lycées. Devenu un véritable rendez-vous annuel, l’événement suscite depuis un intérêt grandissant. Cette année, il a ainsi attiré 500 participants, rassemblés en février dernier au campus de l’innovation et du sport de l’Université Saint-Joseph. À titre de comparaison, l’édition de 2015 avait timidement réuni 36 participants.
Pour encourager la participation, qui est entièrement volontaire et ouverte à tous les établissements du pays, les organisateurs assurent le transport et le casse-croûte le jour du concours. Ces dispositions permettent aux élèves de lycées éloignés de la capitale de prendre part à l’exercice. Le concours récompensera trois lauréats pour chacune des langues de composition : l’anglais, le français et l’arabe. Pour chaque catégorie, les trois élèves sur le podium recevront 3 500 000 livres libanaises, 2 000 000 LL et 1 000 000 LL.
Pour cette année, la Fondation avait choisi de mettre à l’honneur la question de la citoyenneté à travers une citation issue d’un éditorial de Michel Chiha. Le texte, intitulé « Civisme et devoir social », est paru dans le quotidien Le Jour le 3 janvier 1945 : « Une résolution virile à prendre pour ce Nouvel An, c’est de faire strictement son devoir de citoyen. Voilà peut-être ce qui manque le plus ici ; le sens de la chose publique, de l’intérêt général, de la collectivité. Qu’il s’agisse de l’obéissance aux lois, du paiement de l’impôt ou du service social sous quelque forme que ce soit, il faut prendre cette décision nécessaire de se soumettre aux charges que la vie en société nous impose ; et, en même temps, d’apprendre à tenir compte des particularités libanaises de cette vie en société. »
Une identité plurielle
Michel Chiha, député de Beyrouth élu en 1925, est notamment connu pour avoir participé à l’élaboration de la Constitution libanaise. Il est également le fondateur du quotidien Le Jour, dans lequel il détailla sa vision du Liban au fil de ses nombreux éditoriaux. Le journal se fait alors le porte-parole du parti Destour, dirigé par son beau-frère Béchara el-Khoury. Nationaliste convaincu, Michel Chiha considérait que le Liban disposait d’une identité plurielle qui faisait sa singularité et devait se traduire en union politique. « Quand on voudra sérieusement que le Liban cesse d’être un pays “confessionnel”», il faudra que chaque confession consente, sans trop de cris, à être quelquefois représentée en deçà de son importance », écrivait-il le 26 janvier 1945 dans Le Jour.
La portée de la pensée de Michel Chiha est encore prégnante aujourd’hui, alors que la classe politique reconnaît une stagnation, voire une dégradation du dialogue intercommunautaire. « Nous souffrons toujours de ce manque de citoyenneté, de cette société politique qui fait que le pays vit une situation de concubinage entre les communautés qui n’est pas une union », regrette le député Alain Aoun du Courant patriotique libre. Interrogé par L’Orient-Le Jour, il appelle à « revenir à la vision des pères fondateurs ».
Mais l’affiliation aux idées de Michel Chiha ne fait pas consensus, y compris chez les chrétiens. « Les aounistes, ce n’est pas Chiha du tout ! » s’étrangle ainsi l’ancien député Farès Souhaid. Ce dernier voit dans l’alliance du Courant patriotique libre avec le Hezbollah une trahison des idéaux du fondateur du Jour. « En 2005, c’était le paroxysme de la pensée de Michel Chiha. Mais le sentiment de repli sur soi est devenu majoritaire chez les chrétiens et a fait basculer la convivialité à une juxtaposition des communautés islamo-chrétiennes », analyse l’ancien secrétaire général de l’alliance du 14 Mars. « Michel Chiha est aujourd’hui au plus bas, mais c’est lui qui va reprendre et gagner de nouveau », prophétise-t-il.
Le concept d’une « alliance des minorités », défendu à son époque par le penseur, aurait en particulier souffert d’une interprétation erronée. « Certains utilisent cette idée pour s’unir contre les sunnites », pointe Alain Aoun, qui juge que « l’alliance avec le Hezbollah ne peut se passer d’une entente avec les sunnites ». Pour Farès Souhaid, la philosophie du penseur a été sur ce point dévoyée. « L’alliance des minorités prônée par Michel Chiha, c’était le rapprochement de deux minorités sunnite et chrétienne qui étaient indépendantistes, c’était une alliance de minorités politiques et non communautaires », expose-t-il.
Signe de l’actualité des questions soulevées par Michel Chiha, les jeunes participants ont également fait résonner les propos de l’intellectuel avec leur quotidien. Les lycéens pourront aussi exposer leur point de vue lors d’un débat prévu en clôture de la cérémonie prévue demain pour la remise des prix.
A.S. | OLJ 03/05/2019