Par Antoun Souhaid
L’attaque du Hamas sur le sol israélien a ramené au premier plan le conflit qui oppose Israël aux arabes, suscitant l’attention de la communauté internationale pour trois raisons fondamentales. Tout d’abord, cette attaque a fragilisé la sécurité nationale d’Israël et a déclenché une catastrophe humanitaire sans précédent, touchant à la fois les Palestiniens et les Israéliens, atteignant des proportions inédites de morts et de blessés. Ensuite, la région du Moyen-Orient connaît un nouvel ordre arabe avec le projet de normalisation des relations entre Israël et certains Etats arabes, bien que les limites de cet ordre ne soient pas encore clairement définies.
Le retour de la guerre froide ?
Le conflit opposant Israël à Gaza ne peut être interprété comme une guerre par procuration entre, d’une part, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, qui représentent les valeurs universelles occidentales de la démocratie, et d'autre part, une alliance autoritaire dirigée par la Chine, la Russie et l’Iran. Bien que cette situation n’ait pas encore entraîné une Troisième Guerre mondiale, l’émergence d’une deuxième guerre froide aurait pu devenir une réalité tangible. Malgré le déploiement des forces occidentales notamment en mer Rouge et en mer Méditerranée, il n’a pas été suivi d’une réaction significative de la part du camp opposé, notamment de la Chine, remettant ainsi en question l’idée d’une guerre froide.
Avec le regain de tension dans le conflit israélo-palestinien, la théorie du choc des civilisations, développée par Samuel Huntington dans les années 90, refait surface. Selon cette théorie, à la suite de l’effondrement du bloc soviétique, les conflits idéologiques ont cédé la place à des conflits civilisationnels. Cette fracture se manifeste entre l’Orient et l’Occident, où le monde occidental prédominant est opposé au monde islamique en pleine ascension. Le soutien des puissances occidentales à Israël depuis le début de ce conflit laisse supposer que le choc des civilisations, où Israël serait en première ligne contre la menace islamique, semble se matérialiser. En d’autres termes, ce conflit pourrait être au cœur d’un choc civilisationnel, car il incarne les divisions entre le monde musulman, représenté par les islamistes radicaux recourant à la violence à des fins politiques, et le monde occidental qui prône la modernité et les valeurs démocratiques.
Israël en tant que rempart contre une menace islamique ?
Considérer ce scénario comme tel serait une grave erreur, car cela risquerait de devenir une prophétie auto-réalisatrice. Il est essentiel de reconnaître que le conflit en cours est essentiellement un affrontement entre Israël et Hamas, et il ne devrait pas se transformer en un conflit mondial entre le monde musulman et le monde occidental. La croyance en une telle perspective pourrait avoir des conséquences dévastatrices.
Cela étant dit, il est important de condamner les atrocités perpétrées à la fois par le groupe terroriste, sous prétexte du droit d’exister sur cette Terre et par Israël en réaction à ces attaques, invoquant le droit à l’auto-défense. Rappelons le bilan tragique de ces violences pour en tirer des leçons.
Le choc des massacres
Le 7 octobre 2023, lors de la fête juive de Simhat Torah, Gaza a lancé un grand nombre de roquettes sur Israël et le Hamas a mené des attaques surprises par voie terrestre, maritime et aérienne, prenant les forces israéliennes au dépourvu. Cette attaque meurtrière a entraîné la perte de plus de 1 400 vies, principalement des victimes innocentes. Réagir à la barbarie par la barbarie ne saurait être la solution. La conséquence : la vengeance d’Israël.
En réponse à cette attaque, l'armée israélienne (Tsahal) riposte en lançant une série de frappes répétées sur la bande de Gaza, faisant grimper à ce jour, le bilan officiel à un total de 10 022 morts depuis le 7 octobre. La majorité de ces victimes sont des civils, dont plus de 4 000 enfants. Ces bombardements ont transformé des quartiers entiers de Gaza en champs de ruines, devenant des cimetières pour les enfants.
Et malheureusement, le cycle de violence semble loin de prendre fin de sitôt. Même si un cessez-le-feu est instauré aujourd’hui, rien n’empêche qu’il soit rompu à tout moment. C’est le sang contre le sang.
Tuer les civils pour éliminer les terroristes
A l’ONU comme dans la rue, l’appel à un “cessez-le-feu” est sur toutes les lèvres. Cependant, malgré la situation humanitaire catastrophique, cet appel semble être une fin de non-recevoir de la part des soldats de Tsahal, déterminés à poursuivre leur objectif : affaiblir le Hamas jusqu’à sa destruction militaire.
L’usage de la violence par Hamas contre Israël dans l’espoir de freiner le processus de la normalisation des relations entre les Etats arabes et l’Etat juif n’a pas porté ses fruits. En fin de compte, cela a entraîné un génocide palestinien, la destruction de la bande de Gaza et n’a pas réussi à mobiliser un soutien suffisant de la part de puissances régionales supposées chercher à contrebalancer l’hégémonie américaine dans la région.
En revanche, Israël continue de bénéficier du soutien de l’Europe et des Etats-Unis. Cependant, la réponse israélienne, qui n’est ni ciblée ni proportionnée, a dépassé les limites de la légitime défense et engendre de plus en plus un ressentiment d’hostilité au sein des peuples. En d’autres termes, ce conflit qui a débuté comme un affrontement entre Hamas et Israël, s’est transformé en une guerre opposant Israël aux Palestiniens. C'est un conflit qui oppose un Etat colonisateur, selon les résolutions des Nations Unies et les Conventions de Genève, aux droits territoriaux palestiniens.
La justice au service de la paix
Le pire ennemi commun du fanatisme est la paix, et la paix et la sécurité reposent sur la justice. Chaque civil tué ne fait qu’accroître la colère envers le gouvernement de Netanyahou et Israël, et risque de créer de nouveaux terroristes. Les civils qui ont eu des membres de leur famille tués, ne sont pas enclins à devenir des militants pour la paix. Si l’objectif d’Israël est de mettre fin à un groupe terroriste menaçant sa sécurité, ses actions risquent d’obtenir l’effet inverse. La guerre contre des populations civiles, sous prétexte de l’auto-défense contre les terroristes, est une grave erreur. Le cycle de violence ne prendra jamais fin si la politique est basée sur l’usage de la force.
Pour rompre ce cycle de violence et de vengeance, il n’y a qu’une réponse au terrorisme : la justice. Cette justice peut être obtenue par le biais d’une solution israélo-palestinienne, qui comprendrait l’octroi d’un territoire aux Palestiniens, la démilitarisation du Hamas, le rétablissement de l’Autorité palestinienne de Gaza (chassée en 2007), la création d’un Etat responsable, et le changement de gouvernement en Israël. Les actes criminels commis à l’encontre des civils devraient également être sanctionnés. Maintenir une politique extrémiste anti-arabe d’un côté et accepter la présence de groupes terroristes de l’autre ne fait qu’entraver toute solution politique et empêcher la paix.
La communauté internationale a la responsabilité d’agir pour faire respecter le droit international et doit s’engager en faveur de la protection des civils. La violence n’est pas la réponse. La véritable solution réside dans la justice, car nous aspirons tous à vivre dans cette région du monde en paix et en sécurité.