Par Renaud Girard – Le Figaro
CHRONIQUE - Benyamin Netanyahou avait adopté une stratégie d’occultation du problème palestinien. Il a resurgi de manière terrible, et désormais incontrôlable.
Les grandes nations n’ont pas toujours les dirigeants qu’ils méritent. C’est le cas de la nation israélienne, unique démocratie du Moyen-Orient, qui s’est illustrée, dans les deux premières décennies du XXIe siècle, par deux résultats remarquables : l’intégration réussie de 1 million de juifs russes, et l’édification d’une économie à très haute valeur ajoutée, fondée sur le numérique, les biotechnologies et les armements de pointe.
Mais cette nation énergique, innovante, attachée à la morale, n’a pas trouvé en Benyamin Netanyahou un stratège digne d’elle. Au pouvoir depuis 2009, après l’avoir été de 1996 à 1999, le premier ministre, issu du parti de centre droit Likoud, mais allié aux partis de l’extrême droite religieuse ou nationaliste, est responsable d’un effondrement sans précédent de la sécurité intérieure et extérieure de l’État hébreu.
Jamais, dans son histoire, la population juive d’Israël n’avait eu à subir un pogrom aussi terrible que celui commis par le Hamas le 7 octobre 2023, qui a fait un nombre de morts israéliens équivalent au double des soldats de Tsahal tués pendant la guerre des Six-Jours de 1967. Ces massacres ne se sont pas produits dans de lointaines colonies en Cisjordanie, mais à l’intérieur du territoire internationalement reconnu d’Israël. Le politicien, qui a fait toute sa carrière en se présentant comme le « M. Sécurité » n° 1 de l’État juif, n’a pas été capable de protéger les paisibles habitants des kibboutz de l’extrême sud du territoire israélien.
L’erreur stratégique de Netanyahou est d’avoir été incapable de se mettre dans la tête de ses ennemis palestiniens. Il n’a donc pas anticipé quelle pourrait être leur prochaine action, alors que ses services de renseignements ne cessaient de lui dire que le Hamas préparait quelque chose - sans bien sûr savoir quoi.
La stratégie sécuritaire du premier ministre israélien fut, et est toujours, trois fois erronée. À court terme, à moyen terme, à long terme.
À court terme, il a fait confiance à la muraille toute neuve et automatisée, chargée d’enfermer les 2 millions et demi de Gazaouis dans leur territoire de 365 km2, et il a vidé les effectifs de la division chargée de défendre le front sud, pour les envoyer garder les colonies illégales qu’il a semées en Cisjordanie.
Dans sa riposte militaire à l’attaque du 7 octobre faite de bombardements massifs et de déplacements forcés de population, Netanyahou est tombé dans le piège que lui tendait le Hamas. Les images de destruction et d’enfants palestiniens ensanglantés ont remplacé celles des suppliciés des kibboutz israéliens. Netanyahou a réussi à faire se ranger 1 milliard de musulmans dans le monde derrière le drapeau du Hamas. Israël est une puissance commerciale ouverte, qui n’a aucun intérêt à se brouiller avec ses voisins. Le projet de corridor économique Inde-Émirats-Arabie saoudite-Jordanie-Israël-Italie du Sud, dont se félicitait Netanyahou au mois de septembre, semble bel et bien mort. La meilleure sécurité extérieure pour un pays restera toujours sa bonne intégration parmi ses voisins.
À moyen terme, la stratégie de Netanyahou fut de mettre le problème palestinien sous le tapis, pour se concentrer sur les accords d’Abraham. Les accords passés avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan - et ceux qui devaient l’être avec l’Arabie saoudite - étaient excellents, car ils intégraient l’État juif dans son environnement régional arabo-musulman. Mais Netanyahou aurait dû s’en servir pour relancer la discussion avec ses voisins palestiniens, plutôt que de continuer à les diviser. Il est avéré que Netanyahou a encouragé le financement du Hamas par le Qatar, afin de renforcer le mouvement islamiste au détriment de l’OLP.
L’erreur de Netanyahou est de ne pas avoir compris la bombe à retardement que représentait une population jeune, totalement confinée depuis 2009. Par ailleurs, le premier ministre a laissé les colons les plus extrémistes de Cisjordanie humilier systématiquement leurs voisins palestiniens.
Pourquoi Netanyahou a-t-il poursuivi une politique de division des Palestiniens ? Parce qu’il a l’obsession que ne se crée jamais un État palestinien. Lorsque le premier ministre Yitzhak Rabin a signé en septembre 1993 les accords d’Oslo, prévoyant l’accession progressive des Palestiniens à un État sur les territoires de Cisjordanie et de Gaza, Benyamin Netanyahou a lancé contre lui une horrible campagne de diffamation, traitant Rabin de « traître ». Cette campagne porta ses fruits, puisque Rabin, qui avait la sagesse « de combattre le terrorisme comme s’il n’y avait pas de négociation et de négocier comme s’il n’y avait pas de terrorisme », fut assassiné en novembre 1995 par un juif religieux d’extrême droite.
Cette extrême droite religieuse fait aujourd’hui partie du gouvernement Netanyahou. Comme le premier ministre israélien, cette droite ne comprend pas que ce n’est pas la bombe atomique iranienne qui menace Israël mais bien plutôt la bombe démographique arabe à l’intérieur des frontières contrôlées par Tsahal.
À long terme, la stratégie de Netanyahou est claire : rendre la vie impossible aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, afin de les inciter à s’exiler. Mais ces familles n’ont nulle part où aller, car ni l’Égypte, ni la Jordanie ne sont prêtes à les accueillir. Or il n’est pas question pour Israël de se brouiller avec elles, qui sont les deux premières nations arabes à avoir fait la paix avec lui.
Netanyahou avait adopté une stratégie d’occultation du problème palestinien. Il a resurgi de manière terrible, et désormais incontrôlable.