Depuis plusieurs mois, Téhéran subit une série de revers infligés par l’Etat hébreu sans être en mesure d’y riposter. Le régime islamiste pourrait être amené à se servir de nouveau de la menace nucléaire.
Par Ghazal Golshiri et Madjid Zerrouky, Le Monde
Plus de vingt-quatre heures après l’annonce officielle de la mort du chef du Hezbollah, le Libanais Hassan Nasrallah, le 28 septembre, la République islamique d’Iran ne semble toujours pas être sortie de sa réserve, malgré ce grand revers infligé par Israël. Le ministre des affaires étrangères iranien, Abbas Araghtchi, a parlé dimanche du « risque d’une vraie guerre dans la région ». « Nous sommes véritablement en état d’alerte. Les pays de la région et au-delà doivent savoir que la situation est critique et qu’à tout moment tout peut arriver », a-t-il dit à la presse avant de quitter New York, où il avait assisté à l’Assemblée générale des Nations unies.
Cette fois, personne n’a promis une « vengeance ferme », contrairement à ce qu’on avait l’habitude d’entendre après chaque assassinat ciblé des figures de l’« axe de la résistance » contre Israël. Le ton martial et vindicatif était également absent des deux messages du Guide suprême iranien, Ali Khamenei. Samedi, il s’est voulu rassurant en promettant que la disparition de Hassan Nasrallah, un allié proche de Téhéran, n’affectera pas la « structure » qu’il a fondée au Liban : « Non seulement elle ne disparaîtra pas, mais elle deviendra encore plus solide. »
Ayant subi, ces derniers mois, de nombreux coups de la part d’Israël, la République islamique d’Iran semble aujourd’hui dans une impasse stratégique. Le 13 avril, lorsque le régime a voulu répondre à l’attaque contre son consulat à Damas, en Syrie, survenue le 1er avril, la majorité des centaines de missiles envoyés d’Iran vers Israël a été interceptée. Téhéran a échoué dans son intention d’imposer une dissuasion.
« Aucune bonne option »
En juillet, le chef du bureau politique du mouvement palestinien Hamas, Ismaïl Haniyeh, a été tué dans la capitale iranienne alors qu’il venait d’assister à l’intronisation du nouveau président, Massoud Pezeshkian. Depuis, l’Etat hébreu a multiplié les assassinats ciblés de hauts cadres du Hezbollah et a détruit l’infrastructure militaire que le mouvement chiite libanais avait construite en deux décennies avec l’aide de Téhéran.
« Aujourd’hui, l’Iran n’a aucune bonne option dans la nouvelle donne », explique Hamidreza Azizi, chercheur à l’institut Stiftung Wissenschaft und Politik, à Berlin. « Que l’Iran décide de répondre ou pas, Israël ira encore plus loin pour affaiblir l’“axe de la résistance” sans se soucier des conséquences éventuelles de ses actions, comme il l’a démontré ces derniers temps. Dans les deux cas, une confrontation directe entre Israël et l’Iran semble possible », ajoute-t-il.
Le Hezbollah et d’autres composantes de l’« axe de la résistance » à Israël, aujourd’hui affaiblis, sont les pions essentiels placés par Téhéran pour se confronter à l’Etat hébreu, pays géographiquement distant et doté d’une technologie très avancée. « Sans les groupes membres de l’“axe”, Téhéran ne peut pas mener une guerre contre Israël. Et le stock des missiles de longue portée de l’Iran n’étant pas assez important, le pouvoir est incapable de se lancer dans une guerre sans limite », soutient M. Azizi. La République islamique n’a pas non plus le pouvoir de venir en aide au Hezbollah sur le territoire libanais, au-delà de l’envoi d’armes et de conseillers de la force d’élite Al-Qods. Là encore, sa capacité pourrait être limitée par l’offensive israélienne, qui bombarde les accès terrestres au Liban et contrôle ses espaces maritime et aérien.
Le corps des gardiens de la révolution se trouve également dans une impasse. Hassan Nasrallah et le haut commandement du Hezbollah, en grande partie éliminé, avaient la main sur les choix tactiques et stratégiques du mouvement en cas de conflit. Leur mort pourrait amener les conseillers iraniens à s’exposer davantage, et donc à être pourchassés par Israël ou, au contraire, les contraindre à se plier à un cessez-le-feu et à un retrait des zones frontalières, et ainsi entériner la victoire d’Israël.
D’où la prudence affichée, pour le moment, dans leurs déclarations par les officiels iraniens. Dans un courrier adressé, samedi, au Conseil de sécurité de l’ONU, et demandant une réunion d’urgence, l’ambassadeur iranien, Amir Saeid Iravani, appelle à « prendre des mesures immédiates et décisives pour stopper l’agression israélienne et empêcher d’entraîner la région dans une guerre totale ». Seuls à élever le ton, les plus radicaux, jusqu’ici minoritaires, mettent en garde contre les conséquences, pour le régime, d’une éventuelle défaite totale du Hezbollah : « La bande criminelle de Nétanyahou ne s’arrêtera pas à de simples condamnations et, après le Liban, elle attaquera Damas, puis Bagdad. (…) Elle pourrait même s’en prendre à l’Iran. C’est pourquoi les gouvernements d’Irak, de Syrie et d’Iran devraient prendre une décision majeure le plus rapidement possible », écrivait, sur X, Mohsen Rezaï, l’ancien commandant des gardiens de la révolution et candidat malheureux à deux reprises à l’élection présidentielle. Samedi, les médias iraniens ont confirmé la mort, dans les bombardements israéliens de la veille, de l’Iranien Abbas Nilforoushan, chef de la Force Al-Qods au Liban.
Espionnage israélien
Dans les prochains jours, la République islamique pourrait également être tentée de mener à son terme le volet militaire de son programme nucléaire. Jusqu’ici, le mouvement armé libanais et la menace qu’il était censé représenter pour les intérêts vitaux de l’Etat hébreu étaient une carte maîtresse dans les mains de Téhéran, l’assurance que l’Iran ne serait pas frappé directement par Israël. Mais un an après l’attaque du 7 octobre 2023, Téhéran se retrouve pris au piège.
Pour le régime iranien, l’option de la construction d’une force nucléaire militaire – longtemps rejetée dans le discours officiel – pourrait se révéler d’autant plus nécessaire qu’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche éloignerait toute perspective d’accord avec l’Occident sur la question des activités nucléaires de Téhéran.
Quel poids peut avoir, aujourd’hui, une telle menace ? Dans le passé, de nombreux incidents ont démontré la fragilité et les défaillances des services de renseignement iraniens, dans lesquels, selon toute vraisemblance, Israël a su trouver des interlocuteurs. En novembre 2020, l’architecte-clé du programme nucléaire de Téhéran, le scientifique Mohsen Fakhrizadeh, a été assassiné en plein jour, non loin de la capitale iranienne. Avant lui, au moins quatre autres scientifiques nucléaires ont été tués à Téhéran.
L’Iran est également victime, à intervalles réguliers, d’incendies, d’explosions et de feux mystérieux touchant ses installations pétrolières, nucléaires et militaires. Ses navires de guerre sont de temps en temps attaqués, notamment depuis 2019. Certains incidents ont été imputés par Téhéran à l’Etat hébreu. Dans d’autres cas, le rôle d’Israël a été confirmé par des sources israéliennes à des médias américains et israéliens.
Vendredi, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, n’a pas hésité à rappeler la supériorité de ses services d’espionnage lors de sa prise de parole à la tribune des Nations unies, à New York. « J’ai un message pour les tyrans de Téhéran : si vous nous frappez, nous vous frapperons. (…) Il n’y a aucun endroit en Iran que le long bras d’Israël ne peut atteindre », a-t-il affirmé.
Au sein de l’« axe de la résistance » demeure le pouvoir de nuisances, réel, des rebelles houthistes du Yémen. Si leurs tirs de missiles balistiques en direction du territoire israélien – régulièrement interceptés – ne constituent pas, pour le moment, un danger existentiel pour Israël, leur capacité d’action en mer Rouge et le risque qu’ils font peser sur cette voie majeure du commerce maritime international sont un joker pour Téhéran et ses alliés.