L’ÉDITO DE LUC DE BAROCHEZ. Avec ses otages, le Hamas tient à la gorge la population israélienne. Leur libération doit-elle l’emporter sur la sécurité de l’État ?
Le Point
Le Hamas a réussi à fracturer la société israélienne. Pourtant, c'est Tsahal qui a pris l'avantage sur le terrain. Onze mois après le massacre du 7 Octobre, l'armée revendique le démantèlement d'une partie considérable de l'appareil militaire du mouvement islamiste palestinien. Elle a éliminé plusieurs de ses chefs, tué environ 17 000 combattants et détruit une partie de la citadelle souterraine tentaculaire creusée par les djihadistes sous la bande de Gaza. Mais le Hamas conserve un atout maître dans sa manche. Grâce à ses otages, il tient à sa merci la population israélienne. Il actionne ce levier avec cynisme pour parvenir à ses fins: survivre à l'assaut israélien et restaurer dans l'après-guerre son contrôle dictatorial sur Gaza.
Israël, qui agit en légitime défense, a affiché dès le départ deux objectifs majeurs: éradiquer l'appareil du Hamas d'un côté; libérer, de l'autre, les quelque 250 otages capturés le 7 Octobre. Ces objectifs n'ont cependant pas tardé à entrer en conflit l'un avec l'autre. Désarmer le mouvement islamiste, retranché dans ses tunnels ou fondu dans la population civile dont il use comme d'un bouclier, implique de poursuivre sans relâche les opérations militaires. La libération des détenus, en revanche, serait facilitée par l'arrêt des hostilités. Israël n'a jamais réussi à surmonter cette contradiction, qui éclate aujourd'hui au grand jour.
Le Hamas appuie sur un point ultrasensible dans une société israélienne traumatisée par le pogrom du 70 Octobre. Dès la fin novembre, le mouvement islamiste acceptait un accord orchestré par les médiateurs américains, égyptiens et qatariens et relâchait une centaine d'otages. Depuis lors, les familles éplorées des autres Israéliens retenus à Gaza mobilisent l'opinion publique pour que Tsahal dépose les armes, dans l'espoir que leurs proches retrouvent eux aussi la liberté.
Le dilemme moral des dirigeants israéliens est cruel. S'ils renoncent aux opérations militaires, comme l'exige le Hamas, afin de privilégier la récupération des détenus, ils ouvrent la porte à une répétition, à plus ou moins longue échéance, des forfaits des djihadistes- sachant que le but stratégique du Hamas reste, plus que jamais, la destruction de l'État d'Israël. S'ils décident, au contraire, de poursuivre la guerre coûte que coûte, ils s'exposent au reproche de sacrifier la vie d'otages innocents et d'être insensibles à la détresse de leurs proches. Un fait éclaire de manière tangible ce dilemme: en 2011, Israël a relâché un militant du Hamas nommé Yahya Sinouar, élargi avec un millier de prisonniers palestiniens en échange d'un militaire israélien, Gilad Shalit, qui se trouvait entre les mains du Hamas. Treize ans plus tard, ce même Sinouar est devenu le maître d'œuvre des massacres du 7 Octobre. Depuis le tunnel dans lequel il se terre, il tente désormais d'imposer à l'État juif, par l'intermédiaire de courriers et de médiateurs, non seulement un arrêt des combats mais aussi l'évacuation totale du territoire par les militaires israéliens, ainsi que la libération de plusieurs milliers de Palestiniens.
Privilégier la sécurité à long terme de l'État d'Israël implique de faire passer au second plan la question des otages. C'est au fond la ligne suivie par Benyamin Netanyahou, en accord tacite avec la frange la plus à droite de sa coalition. Une grande partie de l'opinion n'est pas prête à l'accepter. Le 1 septembre, la confirmation que le Hamas avait froidement exécuté six otages dans un souterrain a suscité une nouvelle vague d'indignation dans le pays. Le soir même, des milliers d'Israéliens descendaient dans la rue pour réclamer à Netanyahou l'arrêt des combats. La fracture atteint désormais le sommet de l'État. Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, et plusieurs chefs militaires contestent ouvertement la politique gouvernementale. Il reste une centaine d'otages dans les griffes du Hamas, dont une soixantaine environ seraient encore vivants. De quoi entretenir pendant de longs mois les tourments de la population israélienne-et ceux de la population palestinienne aussi, qui paye chaque jour un tragique tribut à la pour suite des hostilités.