Les débats houleux menacent de creuser encore le fossé qui sépare la branche politique de l’aile militante qui se bat contre Israël
Benoit Faucon, Summer Said et Dov Lieber - L'Opinion
Les responsables politiques du Hamas ont rencontré leurs rivaux politiques à Doha, au Qatar, pour évoquer l’avenir de Gaza et de la Cisjordanie après la guerre, des négociations délicates qui pourraient provoquer une rupture avec la frange armée qui se bat en ce moment contre Israël.
Elles indiquent également que la branche politique du Hamas commence d’envisager l’après-guerre.
« On ne se bat pas par plaisir, le jeu à somme nulle ne nous intéresse pas », a déclaré Husam Badran, membre du bureau politique du Hamas, lors d’une interview accordée au Wall Street Journal près de Doha, la capitale qatarie où est installé le bureau. « On veut que la guerre se termine. »
Ses déclarations témoignent d’un changement de cap radical par rapport au 7 octobre ; ce jour-là, la branche armée du Hamas avait tué plus de 1 200 Israéliens lors d’une série d’attaques. Plus de deux mois après le début de la guerre et quelque 20 000 morts côté palestinien selon les autorités sanitaires de Gaza, la branche politique du mouvement parle de mettre fin au conlit. «
On veut établir un Etat palestinien à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem », résume M. Badran.
Sur le papier, le bureau politique basé à Doha gère les activités du mouvement à travers le monde, y compris à Gaza. Mais, depuis le début de la guerre, le fossé s’est peu à peu creusé entre le politburo qatari et ses représentants dans la bande de Gaza.
D’après des sources proches des négociations et un responsable israélien, le fait que la direction politique ait contacté le Fatah a agacé Yahya Sinwar, le chef de la branche armée du Hamas à Gaza. Toujours selon les sources, si M. Sinwar ne veut pas que le Hamas continue de gérer Gaza, il est convaincu que la guerre n’est pas perdue et qu’il est trop tôt pour faire des compromis.
L’homme, qui n’avait pas été informé des négociations menées par la direction politique, a demandé leur suspension quand il en a découvert l’existence, ont confié des sources. Les États-Unis pressent Israéliens et Palestiniens à commencer de réléchir à l’après-conflit à Gaza. Israël affirme ne pas vouloir réoccuper Gaza, mais cela implique la mise en place d’une force de sécurité, qui pourrait prendre la forme d’un dispositif international de maintien de la paix auquel participeraient les pays arabes. Mais le Hamas et l’Autorité palestinienne rejettent cette solution. Autre option : doter l’Autorité palestinienne de sa propre force de sécurité.
En effet, si le Hamas a depuis longtemps une relation compliquée avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui représente les Palestiniens aux Nations Unies et dans d’autres instances internationales, M. Badran et d’autres responsables politiques du Hamas souhaitent désormais un rapprochement.
« Ce sera un dialogue national, affirme M. Badran. Nous avons toujours dit que l’OLP devait regrouper toutes les sensibilités palestiniennes. »
L’entrée de la villa dans laquelle l’homme nous reçoit témoigne de cette vision : sur les murs figurent les portraits de Khalil al-Wazir, bras droit de Yasser Arafat, des leaders de deux groupes marxistes et de Ahmed Yassine et Abdel Aziz Al-Rantissi, fondateurs du Hamas. Tous ont été tués par les Israéliens.
Depuis quelques jours, dans le plus grand secret, le Hamas a contacté les responsables du Fatah, principal parti politique de l’OLP en Cisjordanie. M. Badran et d’autres dirigeants du Hamas racontent que Mohammed Dahlan, ex-responsable de la sécurité de Gaza qui a des liens avec les Emiratis et les Egyptiens, et Salam Fayyad, ancien Premier ministre palestinien, ont participé aux échanges. Dans un entretien, M. Dahlan a indiqué qu’il parlait tous les jours au Hamas.
« Je ne suis pas ami avec le Hamas, a-t-il précisé. Mais pensez-vous qu’on puisse parvenir à la paix sans lui ? »
De hauts responsables politiques du Hamas, dont Ismaël Haniyeh et Khaled Mechaal, ont également pris part aux discussions. Côté Fatah, c’est notamment Hussein al-Sheikh, numéro deux de l’OLP, qui était présent, selon des sources. M. al-Sheikh est chargé des néSIPA PRESS gociations, mais aussi du lien avec Israël ; beaucoup le considèrent comme le successeur de Mahmoud Abbas, l’actuel chef de l’organisation. Il n’a pas souhaité commenter. Selon M. Badran, M. al-Sheikh n’a pas rencontré les leaders politiques du Hamas à Doha.
Pour lui, la constitution d’une coalition faciliterait les échanges avec la communauté internationale, en particulier avec les pays européens, réticents à travailler avec le Hamas en raison des sanctions.
Les responsables politiques du Hamas ont fait savoir pendant les discussions qu’ils étaient d’accord pour rejoindre l’OLP et soutenir les négociations en vue d’obtenir un Etat palestinien doté des frontières déinies en 1967.
Mais, pour M. Badran, le Hamas n’a aucune intention de déposer les armes ni de changer de position : tant que l’occupation se poursuivra, il ne reconnaîtra pas Israël. « Le monde n’a rien à demander quand des gens se font tuer, affirme-t-il. Poser la question en ce moment, ça n’a aucun sens. »
Pour certains, les grandes manœuvres lancées par le Hamas prouvent que le mouvement s’inquiète de la progression israélienne à Gaza, dont il a peur de perdre le contrôle.
« Le leadership politique redoute que Gaza soit perdue, estime Ehud Yaari, membre du Washington Institute for Near East Policy. Il pense que M. Sinwar et les siens ne pourront plus résister très longtemps à l’offensive israélienne donc il veut un accord maintenant. »
M. Badran, lui, dément toute rupture entre la branche armée du Hamas à Gaza et son entité politique à Doha. « La direction du Hamas, à l’intérieur de Gaza comme en dehors, est parfaitement d’accord sur les positions politiques et stratégiques relatives à différents sujets », déclare-t-il.
En public, en tout cas, l’aile politique et la frange militante affichent leur unité. Le porte-parole de l’aile militante du Hamas à Gaza n’a pas pu être joint.
Pour l’heure, M. Badran afirme que le Hamas souhaite un cessez-le-feu en bonne et due forme, plutôt qu’une trêve, qui permettrait de négocier la libération des derniers otages israéliens en l’échange de la totalité des prisonniers palestiniens. « Pour le cessez-le-feu, notre position est limpide : nous voulons un échange complet. »
L’homme, qui a appris l’hébreu dans les prisons israéliennes, explique que, de ce qu’il lit des réactions en ligne, la population est de plus en plus critique vis-à-vis de son Premier ministre Benjamin Netanyahou, une défiance amplifiée par la mort accidentelle de trois otages tués par les soldats de Tsahal.
Selon Husam Badran, sur les 150 personnes toujours détenues par le Hamas selon Israël, 60 ont été tuées pendant les combats à Gaza. « L’armée israélienne n’est pas en mesure de libérer les otages vivants, affirme-t-il. La seule solution, c’est la négociation. »
Le problème, c’est qu’un éventuel accord de partage du pouvoir entre le Hamas et le Fatah risque de se heurter à l’opposition de M. Abbas, 88 ans, qui dirige l’Autorité palestinienne depuis 2005 (malgré l’expiration de son mandat en 2009). Les Palestiniens « n’ont pas eu le choix depuis longtemps, très longtemps », déplore M. Badran, qui ajoute que le Hamas n’a négocié ni avec M. Abbas ni avec l’Autorité palestinienne.
Le Hamas et le Fatah essaient depuis des années de dépasser leurs différences pour former un gouvernement d’unité nationale, mais les efforts achoppent parce que le Hamas refuse de démanteler sa branche armée. Ils n’arrivent pas non plus à se mettre d’accord sur les mécanismes d’organisation et de supervision des élections nationales.
Mais le principal obstacle, c’est probablement Israël, qui répète inlassablement que son objectif, c’est la destruction du Hamas. Interrogé sur la possibilité que le Hamas rejoigne l’Autorité palestinienne et joue un rôle à Gaza après la guerre, un responsable israélien a confié au WSJ que l’idée lui semblait « irréaliste ».
L’idée pourrait aussi crisper les Américains, qui veulent qu’une force de sécurité de l’Autorité palestinienne fasse le ménage au sein du Hamas et administre Gaza après la guerre, estime Diana Buttu, ancienne négociatrice de paix palestinienne. « Dans les grandes lignes, ils veulent que le rôle de prestataire de service de sécurité d’Israël que joue l’Autorité palestinienne en Cisjordanie soit étendu à Gaza », précise-t-elle.
Pour elle, les Etats-Unis sont d’accord pour financer l’Autorité palestinienne, dont les caisses sont vides, mais aucune des deux parties n’a proposé de cadre politique viable. « Il y a depuis longtemps une fausse promesse d’Etat palestinien », ajoute-t-elle.
Elle accuse Washington d’avoir fait pression sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle ne travaille pas avec le Hamas et doute de l’objectif aiché de destruction du mouvement.
« Il fait partie du paysage politique depuis toujours, souligne-t-elle. Penser qu’il pourra être éliminé, c’est illusoire. ».