ANALYSE - Le régime iranien, qui a compris que sa survie était en jeu, tente de maîtriser ses ripostes à l’État hébreu, tout en rassurant ses affidés, le Hezbollah et le Hamas.
Par Georges Malbrunot. Le Figaro.
En attaquant Israël pour la première fois avec des missiles hypersoniques, l’Iran a pris le risque d’encourir une riposte israélienne massive qui pourrait mettre en danger ses intérêts vitaux. La retenue iranienne, après le double assassinat les 30 et 31 juillet du chef militaire du Hezbollah à Beyrouth Fouad Chokr, puis d’Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, à Téhéran, a volé en éclats. Mais, alors que des représailles israéliennes paraissent inéluctables, jusqu’où l’Iran est-il prêt à aller dans une confrontation directe avec l’État hébreu et les États-Unis, qu’il ne souhaitait pas, il y a quelques semaines encore ?
«L’Iran compte probablement sur l’Administration Biden pour restreindre Israël dans ses représailles, estime le chercheur canadien Thomas Juneau, mais c’est un mauvais pari: l’Administration Biden s’est montrée incapable de freiner Benyamin Netanyahou.» En a-t-elle le désir maintenant, alors qu’elle le fit dans les heures qui suivirent la première attaque iranienne d’avril contre l’État hébreu? Mais c’était une attaque aux drones, avec un préavis de plusieurs heures, alors que cette fois, Israël n’a eu que 12 minutes pour se protéger.
«Notre attaque contre des cibles militaires était attendue par l’autre côté », a indiqué mercredi la porte-parole du gouvernement iranien, Fatemeh Mohajerani, qui en a minimisé l’impact. Selon elle, cette attaque s’inscrivait dans une logique«d’autodéfense» de la République islamique, sévèrement frappée depuis plusieurs mois par Israël.
«L’Iran devait sauver la face devant les groupes auxiliaires que Téhéran soutient, sinon il perdait toute crédibilité vis-à-vis de ces groupes, le Hezbollah, les rebelles yéménites houthistes et les milices irakiennes», décrypte le spécialiste de l’Iran Clément Therme. Ces factions, regroupées sous l’appellation de «l’Axe de la résistance» à Israël et aux États-Unis au Moyen-Orient, sont les lignes de défense d’un régime qui pendant longtemps n’a pas voulu affronter directement ses ennemisisraéliens et américains.
Mais en l’espace d’à peine trois semaines, l’État hébreu a décapité le Hezbollah, son plus fidèle allié dans le monde arabe, assassiné son chef Hassan Nasrallah, lequel avait une valeur– à la fois religieuse et politique–inégalée pour l’Iran, et lancé une opération militaire terrestre contre la milice chiite libanaise. Lundi, Benyamin Netanyahou n’a en outre pas hésité à s’adresser directement au peuple iranien, en lui disant qu’«Israël se tient à vos côtés et qu’il n’y a pas un lieu (au Moyen-Orient) qu’il ne pourrait atteindre», citant des ennemis que ses forces de sécurité ont éliminés, ces derniers mois.
«Le sommet du pouvoir iranien a interprété cette déclaration comme un appel à fomenter une révolution», décrypte un expert à Beyrouth, familier de l’Iran. Selon lui, «le Mossad, après avoir montré l’étendue de ses capacités au Liban contre le Hezbollah, allait aider le peuple iranien à renverser ses dirigeants». À partir de là, ajoute-t-il, le guide suprême, «Ali Khamenei, qui avait été placé en lieu sûr, dans les heures qui ont suivi la liquidation de Nasrallah, a donné son feu vert pour une riposte». Pour Téhéran, il y avait urgence : aux yeux de millions d’habitants du Moyen-Orient, sa faiblesse à riposter aux coups de boutoirs israéliens devenait criante.
Peu après son attaque, l’Iran a fait savoir que ses représailles étaient terminées, tout en mettant en garde les États-Unis de ne pas s’impliquer dans une prochaine riposte de son allié israélien.
«L’Iran a été déçu par Washington, cet été, ajoute cet expert. Après l’assassinat de Chokr à Beyrouth en juillet, les États-Unis via différents canaux avaient promis à l’Iran de calmer Israël», dans le but de parvenir à un cessez-le-feu à Gaza entre Israéliens et le Hamas palestinien, la clé d’un apaisement des tensions entre l’État hébreu et le Hezbollah au Liban. Mardi soir, le ministre des Affaires étrangères iranien, Abbas Araghchi, a rappelé la retenue de Téhéran durant l’été.
Dans sa résistance à Israël et aux États-Unis, Téhéran a toujours accordé une place de choix au Hezbollah libanais, qu’il a créé, financé et armé. Mais quelles sont ses capacités à jouer encore un rôle, après avoir perdu sa tête, de nombreux cadres militaires, et vu son réseau de communications infiltré ?
«Certes, le Hezbollah a perdu beaucoup de missiles face à Israël, constate une source diplomatique, mais la milice les fabrique au Liban, où elle dispose de son propre système de production. Et puis, il y a ceux à plus longue portée, cachés sous les montagnes que les services de renseignements israéliens et américains ont plus de mal à détecter, mais, apparemment, l’Iran n’a pas encore donné son feu vert au Hezbollah pour les utiliser. »
D’autre part, la pénétration militaire israélienne au sud du Liban depuis lundi n’a rien d’une promenade de santé. L’État hébreu a perdu mercredi huit de ses soldats, face aux combattants du Hezbollah. Ce lourd bilan montre que la milice chiite est loin de s’être effondrée.
Alors que des sources israéliennes cachent à peine les cibles que leurs forces armées pourraient frapper en Iran – installation nucléaire et pétrolière notamment –, les regards se tournent désormais en Méditerranée et dans le golfe Persique, comme possibles lieux de ripostes iraniennes dans un engrenage de violences que la diplomatie semble incapable d’enrayer.
«Le champ gazier israélien de Karish en mer Méditerranée en face du Liban pourrait être une cible, explique un ancien ministre libanais, c’est stratégique pour l’État hébreu. » Ce champ n’est pas protégé par le Dôme de fer, selon un expert français en sécurité.
Outre les réserves pétrolières de certains pays du Golfe qui collaboreraient à une attaque israélienne en Iran, les bases militaires américaines dans la régions ont également des cibles, en particulier celle au Koweït, proche de l’Iran et qui abrite plus de dix milles hommes.
«Nous avons averti les forces américaines de se retirer de cette affaire et de ne pas intervenir, sinon elles feraient face à une réponse sévère de notre part », a déclaré à la télévision d’État le ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi. En Irak, voisin de l’Iran, des milices chiites proches de Téhéran font monter la pression depuis quelques jours, l’une d'elles ayant visé une base américaine à l'aéroport de Bagdad.
«Nous sommes face à un jeu très dangereux de ripostes et de menaces qui vont crescendo», constate l’expert libanais précité. Il veut croire qu’existent encore des contacts en coulisses entre Iraniens et Américains pour tenter d’éviter le pire, via notamment William Burns, le patron de la CIA et ancien négociateur de l’accord nucléaire international qui brida en 2015 les ambitions nucléaires de Téhéran.
Avec sa dernière attaque, le pouvoir iranien cherche à établir de nouvelles lignes rouges en matière de dissuasion face à Israël. Sa riposte d'avril - après une frappe israélienne contre son consulat en Syrie - avait déjà cet objectif. Sans succès. Aujourd’hui, «son calcul est risqué, pour un régime qui a des vulnérabilités internes, qu’elles soient économiques ou par rapport à sa population qui le conteste encore», conclut le chercheur Clément Therme.