L’élection de Joseph Aoun, qui était le commandant en chef de l’armée, intervient en pleine recomposition politique au Proche-Orient.
Par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance). LE MONDE.
Une salve de félicitations internationales a suivi l’élection par le Parlement libanais de Joseph Aoun à la présidence de la République, jeudi 9 janvier. Celui qui était chef de l’armée prend la tête d’un pays en convalescence après la récente guerre entre Israël et le Hezbollah, appauvri par plusieurs années de crise financière, et toujours et encore profondément divisé politiquement.
Le général est « le bon dirigeant pour cette période », a salué le président américain sortant, Joe Biden. Sa désignation « ouvre la voie des réformes, de la restauration de la souveraineté et de la prospérité du Liban », a commenté sur X le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron.
Washington et Paris ont toutes les raisons d’être satisfaits : leur favori accède au pouvoir. Ils ont exercé de fortes pressions pour la tenue du scrutin, dépêchant en amont leurs émissaires respectifs : Amos Hochstein, qui a négocié côté américain la trêve conclue le 27 novembre 2024 entre le Hezbollah et Israël, y était en début de semaine, alors que l’ancien ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian a assisté au vote du Parlement, jeudi. L’Arabie saoudite, qui entend regagner en influence après l’affaiblissement du Hezbollah dû à ses lourds revers face à l’armée israélienne, a également déployé son envoyé spécial au Liban, le prince Yazid Ben Farhan.
Chantage au financement
Depuis que Nabih Berri, le président du Parlement, avait annoncé, après l’entrée en vigueur de la trêve, la convocation d’une séance parlementaire consacrée au vote, des messages avaient été passés en coulisses. Il n’y aurait pas d’argent pour la reconstruction sans sortie de la crise présidentielle. Par ailleurs, la trêve de soixante jours, négociée par Washington et Paris, entrerait dans une zone grise, en cas de non-élection.
La présidence était vacante depuis l’automne 2022. Le Hezbollah faisait pression pour obtenir l’élection de Sleiman Frangié, un homme du sérail, ami d’enfance du dictateur syrien Bachar Al-Assad. Les blocs adverses étaient incapables de s’entendre sur un autre candidat. L’enlisement pouvait durer encore longtemps.
Le chantage au financement n’avait pas produit, jusqu’à la veille du scrutin, d’effet décisif. L’heure restait encore aux atermoiements, avant que soudain, mercredi, un vent fébrile ne se lève en faveur de Joseph Aoun. C’est donc selon une règle inchangée que s’est tenu le scrutin au Parlement, dans un centre-ville bouclé par l’armée, en présence du gouvernement sortant et de diplomates étrangers : sans suspense, et après une entente préalable.
Joseph Aoun a obtenu les voix de 99 des 128 députés, lors du second tour. Les représentants d’une majorité de partis, ainsi que des élus indépendants, ont voté pour lui.
Le Hezbollah (13 députés) a voté blanc au premier tour, une manière d’affirmer que, même affaibli, il compte encore, avant de glisser dans l’urne le nom de Joseph Aoun. Si elle reste un acteur important, la formation chiite n’est plus en position de force. Elle est contrainte de s’adapter à la nouvelle donne, après les coups portés par Israël à l’« axe de la résistance » contre l’Etat hébreu mis sur pied par Téhéran, et après la chute du régime Al-Assad en Syrie. Le Hezbollah avait lâché du lest en amont du vote, et Sleiman Frangié s’est retiré de la course la veille du scrutin.
Entre les deux tours, jeudi, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, ainsi qu’Ali Hassan Khalil, l’un des bras droits de Nabih Berri au sein du parti Amal, allié du Hezbollah, se sont entretenus avec Joseph Aoun. Le mouvement politico-militaire aurait cherché à obtenir des garanties sur l’application de la trêve – le retrait de l’armée israélienne du sud du Liban est très lent – et sur les nominations à venir.
La communauté chiite a payé un lourd tribut à l’offensive lancée par l’Etat hébreu au Liban le 23 septembre 2024, après près d’un an de combats frontaliers de basse intensité entre l’armée israélienne et le Hezbollah à la suite du massacre du 7-Octobre commis par le Hamas. Le Hezbollah ne pouvait pas apparaître comme l’acteur bloquant les financements pour la reconstruction, d’autant que l’Iran ne semble pas capable de déployer les mêmes ressources qu’au lendemain de la guerre de 2006. Il voulait aussi éviter de s’isoler en restant à l’écart du consensus trouvé par les autres acteurs.
Joseph Aoun est devenu l’homme providentiel aux yeux des pays occidentaux et du Golfe au fur et à mesure que le vide institutionnel s’est creusé au Liban, à partir de 2022. Son élection entérine l’avènement des militaires à la tête de l’Etat – ses trois prédécesseurs étaient issus de l’armée, et deux d’entre eux la dirigeaient quand ils ont été choisis. La Constitution, exclut pourtant qu’un haut fonctionnaire en exercice soit élu.
Prérogatives réduites
Le Liban est soumis aux ingérences étrangères depuis son indépendance en 1943, exprimées tour à tour par les camps pro ou anti-américains. L’élection au forceps n’est donc pas une nouveauté. Toutefois, les pressions étrangères ont été fustigées par plusieurs députés. Un parlementaire s’en est moqué, en inscrivant sur son bulletin de vote le nom de Joseph Amos Ben Farhan, associant le prénom du général, celui de l’émissaire américain et le nom de famille de l’envoyé spécial saoudien.
Le nouveau président a prononcé un discours ambitieux, jeudi, allant de la défense du monopole des armes par l’Etat (ce qui sous-entend un désarmement du Hezbollah) au redressement des institutions. Mais les prérogatives du chef de l’Etat sont réduites et les factions politiques feront tout pour garder leurs prérogatives. Le chef de l’Etat va d’ailleurs devoir lancer des consultations pour nommer un premier ministre.
Joseph Aoun s’est dit résolu à retisser les liens avec les « pays arabes ». Il a affirmé être prêt à « commencer un dialogue sérieux » avec le nouveau pouvoir syrien et entend développer une stratégie de défense pour « repousser les agressions israéliennes ». Mais il faudra compter avec la recomposition du Proche-Orient, en ébullition. Le sort des territoires palestiniens et la suite du bras de fer américano-iranien, sous la présidence Trump, pourraient engendrer de nouvelles déflagrations majeures.