Si Donald Trump semble s'inspirer des Mémoires du général de Gaulle, voler vers l'Orient compliqué avec des idées simples, Dominique Moïsi explique pourquoi celles du président américain sont avant tout simplistes.
Par Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.). LES ECHOS.
« Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples. » Donald Trump semble s'inspirer des « Mémoires de guerre » du général de Gaulle, même s'il faut dans son cas, remplacer le mot « simple » par « simpliste ». En suggérant - dans un entretien accordé à la presse dans son avion Air Force One - qu'un million et demi de Palestiniens de Gaza (plus de la moitié de sa population) soient accueillis par l'Egypte et la Jordanie, Donald Trump semble faire preuve d'humanité, d'imagination et de bon sens. La bande de Gaza est devenue un champ de ruines. Plus de 60% de ses bâtiments ont été détruits ou sérieusement endommagés. Il faut « déblayer » tout cela.
En bon entrepreneur immobilier, la solution qu'il propose - le déplacement des populations apparaît comme une évidence. De plus, cela forcera les pays arabes - une fois n'est pas coutume - à s'impliquer dans le règlement de la question palestinienne. Que cette solution soit accueillie avec faveur, sinon enthousiasme, par l'extrême droite israélienne ne le gêne en rien: bien au contraire. Tel un Alexandre le Grand des temps modernes, Donald Trump se voit bien « trancher le nœud gordien. On a presque l'impression qu'il considère le territoire de la bande de Gaza, avec son climat favorable, ses plages inexploitées le long de la Méditerranée, comme un excellent investissement immobilier, où pourraient pousser des Trump towers, et qui sait, des parcours de golf? Rien de mieux que l'argent pour transcender le tragique de l'histoire. La paix peut être un bon business.
Redevenons sérieux. Les réactions de l'Egypte et de la Jordanie aux idées de Donald Trump ont été plus que réservées. Les deux pays se méfient de ces réfugiés palestiniens, qui pourraient bien être (pour certains au moins) des islamistes radicaux, porteurs de désordre et de haine. Et puis, ni le Caire ni Amman ne souhaitent apparaître comme les auxiliaires de sécurité d'Israël.
L'idée de faire de la Jordanie, un Etat pour les Palestiniens a été évoquée, plus ou moins discrètement, à plusieurs reprises dans le passé en Israël. Tant pis pour la dynastie hachémite. Elle est la victime de sa géographie et de sa démographie. Et tous les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui n'iraient pas en Jordanie trouveraient refuge en Egypte. Le désert du Sinaï est grand. Ainsi de la rivière du Jourdain à la Méditerranée, il n'y aurait effectivement qu'un seul peuple et qu'un seul Etat. Non pas la Grande Palestine, mais le Grand Israël! N'est-on pas revenu, avec Trump à la Maison-Blanche, à l'ère de « la loi du plus fort » ?
Le problème de cette vision, cohérente en apparence, est qu'elle constitue un modèle presque parfait de délire logique. Elle laisse totalement de côté non seulement les émotions palestiniennes (qui s'en soucie?), mais celles de ce que l'on doit bien appeler l'opinion publique mondiale. Il y a moins de seize millions de Juifs dans le monde. Une petite minorité de ceux-ci ne peuvent imposer leur messianisme religieux aux autres qui constituent une immense majorité. Il y a sans doute des Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie qui souhaitent refaire leur vie ailleurs, loin du sang et des drames. Et de nombreux Palestiniens, surtout dans la bande de Gaza, en veulent au Hamas d'avoir en quelque sorte, avec le 7-Octobre, sacrifié 47.000 vies palestiniennes pour obtenir dans une mathématique macabre - la libération de 3.000 détenus des prisons israéliennes. Mais après la guerre de Gaza, la haine d'Israël l'emporte plus que jamais sur le ressentiment à l'encontre du Hamas.
Lorsqu'il va recevoir Benyamin Netanyahou à la Maison-Blanche, quelle sera la ligne de conduite de Donald Trump? On peut imaginer qu'alternant le froid et le chaud, il lui dira: « La guerre de Gaza est finie. Je ne veux plus en entendre parler. Concentrons nos énergies sur l'affaiblissement de l'Iran et le rapprochement avec l'Arabie saoudite. » Un schéma logique certes. Mais qui passe à côté de l'essentiel. L'argent ne peut tout acheter. L'Amérique peut-elle tout à la fois, proposer des solutions radicales au Moyen-Orient et se placer délibérément en seconde ligne? Comment rêver d'élargir les accords d'Abraham à l'Arabie saoudite, sans faire la moindre concession aux Palestiniens? Dans son apparente simplicité, le projet de Trump pour le Moyen-Orient est rempli de contradictions.