Soulignant que les perspectives de croissance à moyen terme des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord se sont progressivement détériorées au cours des quinze dernières années, Eric Le Boucher rappelle la phrase de Churchill : « Il faut choisir si l'on défend un pays ou une cause. »
Les perspectives de croissance à moyen terme des pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord se sont progressivement détériorées au cours des quinze dernières années et la croissance effective a été à plusieurs reprises inférieure aux attentes. Si les niveaux de vie se sont améliorés, ils stagnent par rapport à ceux des pays avancés et n'ont pas évolué aussi vite que ceux des pays émergents et pays en développement ailleurs dans le monde.
Le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) ne manque pas de dire, par euphémisme, que la région est à la croisée des chemins et que la situation pourrait s'améliorer*. On pourrait aujourd'hui, en effet, se prendre à rêver d'une Syrie concentrée à se reconstruire, d'un Liban enfin débarrassé de la main cornue du Hezbollah, d'un régime civil et civilisé en Iran et, plus généralement, de la fin de «l'islam politique ». « Il faut choisir si l'on défend une cause ou un pays», relevait Winston Churchill. Le Moyen-Orient y viendra-t-il enfin?
Tempêtes à venir
Pour l'heure, le constat économique, d'Alger à Téhéran, n'en est pas moins désastreux et inquiétant au regard des tempêtes qui arrivent: la jeunesse désœuvrée (33% des jeunes sont au chômage dans la région), le repli de la manne du pétrole, le réchauffement climatique.
Les causes? Les conflits bien sûr. Le Soudan est ravagé par 10 millions de déplacés, la Libye, la Syrie, le Liban, le Yémen, l'Irak et l'Iran sont en guerre.. Mais la guerre est une excuse pour imposer un mauvais gouvernement, ce que les organisations internationales comme le FMI nomment pudiquement - une « gouvernance défaillante». Les autorités sont ainsi les premières responsables de l'échec économique des pays arabes.
Il faut bien entendu différencier. L'Arabie saoudite et les pays du Golfe ont engagé une diversification hors des hydrocarbures qui réussit plutôt. Les Emirats en représentent le modèle, avec Dubaï comme phare. Le secteur non pétrolier (tourisme, finance, agriculture, numérique...) croit au rythme de 4% par an. Ce résultat est honorable mais il est encore loin des décollages asiatiques.
L'exercice est une course budgétaire difficile: il faut investir de plus en plus alors que les recettes pétrolières diminuent. Bahreïn et l'Arabie saoudite sont les premiers pays tombés en déficit courant, une évolution « qui va s'aggraver au fil du temps », prévoit le FMI.
Ces pays sont peu à peu contraints de mettre en place une TVA et de lever des impôts: le Golfe ne sera bientôt plus ce paradis fiscal que vantent les influenceurs rémunérés. Comme les conflits portent un effet négatif long sur les investisseurs, observe le FMI, les reconstructions des pays en guerre seront lentes et pénibles.
Les pays importateurs de pétrole (Egypte, Mauritanie, Tunisie, Maroc) souffrent, eux, d'une forte inflation (16% en Egypte), de taux d'intérêt portés à 8% contre 5% il y a vingt ans et d'une rétractation de l'aide internationale. En outre, le conflit à Gaza a détourné une moitié du trafic du canal de Suez et des dollars que rapportaient les cargos qui font maintenant le tour de l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance.
Corruption et religion
La défaillance de la gouvernance vient d'abord de la corruption. La Syrie, la Libye, l'Irak, le Liban et la Mauritanie sont au fond du classement de Transparency International. L'Egypte est 108 et l'Algérie 104 sur 180. Seuls la Jordanie et les pays du Golfe font mieux.
La défaillance vient ensuite de la religion qui interdit aux femmes de travailler normalement: en dépit des premières ouvertures, ici ou là, en particulier dans le Golfe, elles ne sont encore que 20% en emploi. Elle vient enfin des institutions tournées plus vers le contrôle des populations que vers la promotion du business.
Les progrès réalisés pour libérer les initiatives privées dans les années 1990 ont été stoppés net après les Printemps arabes. Le prix Nobel d'économie Daron Acemoglu a montré combien la solidité du cadre juridique ainsi que le respect de la propriété, de la concur- rence et des échanges constituent les premiers facteurs favorisant la crois- sance. Au Moyen-Orient, l'Etat interventionniste, corrompu, policier tient les banques sous sa coupe, ce qui a pour effet d'atrophier l'investissement privé, déplore le FMI.
Les entreprises ont du mal à naître et plus encore à croître, d'où le chômage massif dans la région et les jeunes qui tiennent les murs. L'Etat est l'obstacle majeur au développement financier et à la croissance. Les exceptions sont rares. Un nouvel ordre apaisé est nécessaire au Moyen-Orient. Une totale autre politique économique aussi.
Perspectives économiques régionales, octobre 2024. FMI
Eric Le Boucher est éditorialiste aux « Echos».