Nicolas Barotte, Le Figaro
Pour la deuxième fois, les missiles iraniens ont ciblé Israël, une puissance dotée de l'arme nucléaire. L'État hébreu se prépare à riposter contre son ennemi, alors que celui-ci n'a jamais été aussi proche de pouvoir se doter lui aussi d'une bombe nucléaire. Pour le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, il suffirait d'une à deux semaines à l'Iran pour produire assez de matériaux nucléaires pour une bombe, a-t-il déclaré cet été. Alors que le Moyen-Orient est au bord de l'embrasement, les frappes seront chorégraphiées pour adresser des messages autant que pour faire des dégâts.
L'équilibre des rapports de force qui prévalait jusqu'au 7 octobre est remis en cause étape après étape. Près d'un an après l'attaque terroriste per pétrée par le Hamas, Israël veut imposer une nouvelle donne avant que l'axe de la résistance» ne soit en mesure de défendre la sienne. L'affaiblissement du Hezbollah au Liban a privé l'Iran de ses capacités de dissuasion conventionnelle. «Israël est dans une situation où il prend des risques», analysait en début de semaine un haut gradé français. En citant l'exemple de Tsahal, il s'interrogeait sur la nouvelle posture que les démocraties devraient assumer face aux régimes autoritaires et à l'aggravation des crises. « Une stratégie peut consister à empêcher les choses d'arriver plutôt que d'en gérer les conséquences», ajoute l'officier. Pour la sécurité d'Israël, le programme nucléaire de Téhéran est une ligne rouge écarlate. Une cible à traiter avant que Téhéran ne franchisse le seuil fatidique?
«Pourquoi Israël agit-il ainsi?», s'interrogeait Bronwen Maddox, di- rectrice du think-tank britannique Chatham House, la semaine dernière après l'attaque des bipeurs et avant l'assassinat de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. La plupart des explications avancent des objectifs tactiques, consistant à traiter les menaces au fur et à mesure qu'elles apparaissent», analysait-elle. Mais «certains craignent plutôt que l'intention d'Israël ne soit de créer les conditions d'une attaque contre les installations nucléaires iraniennes», estimait-elle « Israël réclame depuis longtemps à l'Administration américaine de frapper ces installations ou de soutenir une attaque israélienne. Dans un pari militaire risqué, le premier ministre Benyamin Netanyahou pourrait être tenté de forcer le destin, voire d'entraîner ses alliés dans un engrenage. L'Administration Biden est vigilante. Un président Trump pourrait être plus va-t-en guerre. Lundi soir, les États-Unis ont participé à la défense d'Israël en ne tirant qu'une douzaine de missiles intercepteurs depuis deux destroyers en Méditerranée. Cet engagement limité peut être perçu comme un avertissement à Israël.
Représailles calibrées
L'équation nucléaire iranienne demeure ambivalente. Depuis que les États-Unis se sont retirés du JCPOA, l'accord censé éviter que Téhéran ne se dote de l'arme nucléaire, l'Iran a franchi les interdits. Peu de temps avant l'élection en juillet du réformateur Massoud Pezeshkian, les Occidentaux s'inquiétaient ouvertement de l'existence d'un «programme clandestin». «Il y a une atmosphère d'hubris en Iran», estimait un diplomate avant l'été en constatant les multiples provocations iraniennes. Téhéran avait par exemple testé un enrichissement d'uranium à 84%, à un pas de la limite de 90%. L'Iran peut-il s'en tenir là? En demeurant sous le seuil nucléaire, Téhéran peut jouer avec les nerfs des Occidentaux sans subir les conséquences d'un passage à l'acte. Pékin et Moscou verraient aussi d'un mauvais œil les risques de prolifération nucléaire.
Dans ce contexte politico-militaire, la riposte militaire israélienne sera soupesée jusqu'à la dernière limite. Le pari du coup de force pourrait être hors de portée de ses capacités. Les usines d'enrichissement d'uranium iraniennes sont profondément enterrées à Natanz ou Fordow. Pour les atteindre, il faudrait disposer de bombes perforantes de forte puissance. Mais les experts militaires doutent même que les bombes perforantes américaines GBU 57 soient en mesure d'infliger des dégâts suffisants pour détruire ces installations. D'autres sites pourraient être visés. En avril, Israël avait par exemple frappé un objectif militaire non loin du Centre de technologie nucléaire d'Ispahan. Mais, depuis plus de vingt ans, l'Iran a appris l'art de la dispersion de ses installations pour rendre leur ciblage plus difficile. «Le programme iranien pourrait être ralenti, mais sans doute pas arrêté», estime une source militaire française, pessimiste. Israël pourrait aussi employer d'autres moyens cyber, assassinats... Mais pour l'heure, l'État hébreu a besoin d'une démonstration de force.
À défaut de viser le nucléaire, les représailles de Tel-Aviv pourraient cibler des infrastructures pétrolières, gazières, voire des sites du programme spatial. Mais elle devra demeurer calibrée. «Si Israël frappe trop durement l'Iran, il donnera à Téhéran des raisons de franchir le seuil nucléaire», prévient Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES) et spécialiste du Proche-Orient. Au printemps, Téhéran avait déjà menacé de «revoir» sa doctrine nucléaire si le pays était menacé. Israël doit aussi réfléchir à sa sécurité dans l'hypothèse d'un Iran nucléaire. Le Dôme de fer israélien n'a pas pu intercepter tous les missiles balistiques lundi soir. «En frappant le centre et le sud d'Israël, l'Iran a déconnecté sa riposte de la situation au nord et au Liban. Elle a cherché à rétablir sa dissuasion», poursuit le chercheur. Si un seul missile avait été équipé d'une tête nucléaire, la dévastation aurait été totale.