Le petit royaume de Bahreïn renonce à son image de paradis fiscal et se met à taxer les entreprises

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Le petit royaume de Bahreïn renonce à son image de paradis fiscal et se met à taxer les entreprises
الثلاثاء 17 سبتمبر, 2024

DÉCRYPTAGE - Dans un contexte de rivalité régionale qui incitait à maintenir une fiscalité très basse, le royaume était le seul État du Golfe à ne pas avoir introduit d’impôt sur les sociétés.

Par Clara Galtier, Le Figaro

Microsoft, HSBC, Pepsi ou encore Toyota… Ces multinationales devront bientôt s’acquitter d’un impôt à Bahreïn. Le tout petit royaume du golfe Persique, peuplé de 1,5 million d’habitants, faisait figure d’irréductible parmi ses voisins. "Bahreïn est actuellement le seul État du Golfe à ne pas avoir d’impôt sur les bénéfices pour les entreprises locales ou étrangères", explique Justin Alexander, directeur du cabinet de conseils Khalij Economics. La monarchie s’y était refusée jusqu’à présent, dans un contexte de rivalité régionale qui incitait à maintenir une fiscalité très basse, pour rester la place la plus attractive.

Mais les temps ont changé. Les pays du Golfe ont tour à tour introduit diverses taxes pour se préparer au monde de l’après-pétrole. Le régime d'imposition des entreprises basées dans la région, avec des taux faibles voire inexistants, a considérablement évolué en quelques années. L’Arabie saoudite applique un impôt sur les sociétés de 20% pour les entités non liées au secteur de l’or noir. Le Qatar a choisi un prélèvement de 10% pour les entreprises détenues partiellement ou totalement par des étrangers. En juin dernier, ce sont les Émirats arabes unis, considérés comme le paradis fiscal par excellence, qui ont instauré un impôt de 9% sur les profits supérieurs à 94000 euros.

Lutte contre l’évasion fiscale
Toutes ces réformes s'inscrivent dans un contexte global de demande de transparence et de lutte contre l’évasion fiscale. Bahreïn a décidé d’adopter un taux d'imposition de 15% sur les bénéfices des multinationales pour se mettre en conformité avec la grande réforme fiscale mondiale, menée sous la houlette de l'OCDE. L'objectif initial de cette refonte historique de 2021 vise à s'assurer que les multinationales, surtout celles du numérique, paient leur juste part d'impôts. L'un des piliers du texte, adopté par plus de 140 pays, introduit un impôt minimum mondial de 15% pour les grandes entreprises ayant un chiffre d'affaires global supérieur à 750 millions d'euros. Ce seuil devrait générer environ 220 milliards de dollars par an dans le monde, selon les estimations de l'OCDE.

"À mesure que d'autres pays ont introduit ou augmenté des impôts et que la communauté internationale devient plus critique à l'égard des paradis fiscaux, les avantages d'un taux d'imposition nul sont devenus moins attractifs", souligne Justin Alexander. Ainsi, Bahreïn devient le premier État du Golfe à annoncer une taxe conforme aux propositions de l'OCDE et du G20. Dépendant en outre de ses exportations d'aluminium et surtout de pétrole, et donc exposé à la volatilité des prix des matières premières, Bahreïn souffre de déficits budgétaires persistants. La situation ne risque pas de s'améliorer à court terme, alors que les prix de l'or noir sont bien en deçà du seuil nécessaire pour garantir son équilibre budgétaire, évalué entre 90 et 95 dollars le baril. Les hydrocarbures représentent actuellement près de 70% des recettes de l'État, qui n'a d'autre choix que de les diversifier, notamment en levant de l'impôt.

La dette à plus de 130% du PIB
Avec en outre une dette de plus en plus importante dépassant 130% du PIB -, Bahreïn cherche aussi à attirer plus d'investissements étrangers en surfant sur sa situation stratégique. L'archipel est relié, via un pont d'une vingtaine de kilomètres, à l'Arabie saoudite et son marché de 38 millions d'habitants. En 2022, les investissements étrangers ont augmenté de près de 6% par rapport à l'année précédente pour atteindre 34,5 milliards de dollars, "grâce aux efforts déployés par les autorités pour améliorer l'environnement des entreprises", écrit l'assureur - crédit Coface. Jouer selon les nouvelles règles fiscales mondiales est de nature à asseoir la crédibilité du pays auprès, aussi, de ses créanciers. Qui sont aussi ses propres voisins.

Suite au contre-choc pétrolier, et à la forte baisse des prix du baril à partir de 2014, Bahreïn s'était en effet vu promettre une enveloppe de 10 milliards de dollars de prêts avec des taux d'intérêt réduits de l'Arabie saoudite, du Koweït et des Émirats arabes unis pour soutenir ses finances publiques fragilisées. Il est de plus en plus question qu'une autre série de mesures de soutien soit nécessaire, détaille l'économiste Justin Alexander. "Bahreïn doit montrer qu'il cherche de nouvelles recettes en mettant au minimum en œuvre les mêmes politiques fiscales que ses voisins plus riches." Ces derniers, alliés économiques et politiques, ont tout intérêt à le soutenir. Le royaume a beau être d'un poids modeste, tout effondrement de la monnaie de Bahreïn ou une éventuelle crise de la dette ébranlerait la confiance dans toute la région.