ENTRETIEN EXCLUSIF - Le président libanais doit être reçu ce vendredi à l’Élysée par Emmanuel Macron.
Par Yves Thréard, à Beyrouth
Élu par le Parlement au début de l’année, l’ex-chef de l’armée libanaise, chrétien maronite et sans lien de parenté avec son prédécesseur Michel Aoun, joue actuellement la survie de son pays, au cœur d’un Proche-Orient en pleine turbulence. Cet entretien, accordé au Figaro depuis le Palais présidentiel de Baabda, est son premier dans la presse occidentale.
LE FIGARO. Venez-vous en France pour débloquer le plan de soutien que vous attendez de la communauté internationale en faveur du Liban?
JOSEPH AOUN. C'est d'abord une visite de remerciement au président français pour le rôle qu'il a joué en faveur du Liban, et à la France pour son aide permanente. Vous savez, les Libanais ont toujours été élevés avec cette idée forte selon laquelle la France était leur mère protectrice. Son soutien est essentiel. Nous avons une relation singulière et séculaire qui remonte au XVIe siècle. Elle est ancrée dans notre culture et notre éducation. Donc, nos deux pays ne peuvent que compter l'un sur l'autre. Je rappelle que le Liban est l'un des pays fondateurs de la Francophonie. Je n'oublie pas, non plus, la présence des soldats français dans la force des Nations unies présente ici, la Finul, et la participation de votre pays au comité d'observation du cessez-le-feu dans le sud du Liban.
Lors de sa visite au Liban, début janvier, Emmanuel Macron a annoncé que la France accueillerait une conférence des pays donateurs au profit de votre pays. Qu'en est-il et qu'en est-il aussi de vos négociations avec le Fonds monétaire international?
Je peux vous dire que les négociations du FMI avec le nouveau gouvernement libanais sont entamées. Une délégation du FMI nous a rendu visite et a exprimé sa volonté d'aider le gouvernement à élaborer son plan de relance économique. Nous allons adopter les lois requises pour accompagner les réformes attendues. Celles-ci, qui seront entérinées. par le Parlement, je n'en doute pas une seconde, porteront sur trois fronts: la lutte contre la corruption, la levée du secret bancaire et la restructuration des. banques.
Ce sont les conditions posées par vos partenaires pour le versement de l'aide, dont le montant varie de 11 à 14 milliards de dollars, n'est-ce pas?
Avant d'être une requête de la communauté internationale, elles sont une réponse à la demande pressante et compréhensible des Libanais. La Banque mondiale, dans son premier rapport, a estimé les besoins du Liban pour sa relance économique à près de 11 milliards de dollars. Le Conseil national pour la recherche scientifique et la Banque mondiale estiment désormais les dégâts directs et indirects de la guerre avec Israël à près de 14 milliards.
Le Liban vit aujourd'hui sous pression internationale. Quelle est votre priorité pour espérer garantir votre souveraineté?
La priorité des priorités réside aujourd'hui dans le rétablissement de la restructuration financière et bancaire de notre pays. Pour cela, il faut des réformes, encore des réformes et toujours des réformes. Elles sont le moyen de rétablir la confiance nationale et internationale. La formule magique, c'est le rétablissement de la confiance. Pour le reste, nous essayons d'exercer pleinement notre souveraineté, avec notre armée et nos services, en assurant la sécurité de la nation face au terrorisme, au trafic de drogue et à toutes les agressions extérieures.
La nomination du futur gouverneur de la Banque du Liban s'est faite dans la douleur, ces dernières heures....
Karim Souaid jouera effectivement un rôle crucial dans la restructuration de notre économie.
Le Hezbollah a été profondément affaibli à l'automne par l'armée israélienne. Pouvez-vous dire que, depuis, le Liban est sorti de ce qu'on appelle «l'axe chiite iranien»?
Le Liban, par sa situation géographique, ne peut pas tolérer de faire partie d'un quelconque axe. L'importance du Liban réside dans sa diversité, mais aussi dans la solidarité et l'unité interne de son peu ple. C'est cette unité qui le préservera de tout danger. Dans mon discours d'investiture, j'ai parlé de la neutralité du Liban. Mais la neutralité ne signifie en aucun cas que nous ne sommes pas solidaires des pays arabes. Donc, si vous me comprenez, le Liban ne doit pas être une plateforme utilisée pour porter préjudice à n'importe quel pays arabe ou ami.
Suspendues, les liaisons aériennes avec l'Iran vont-elles reprendre? Pour le moment, non. Un jour, peut-étre....
La démilitarisation du Hezbollah est-elle vraiment engagée?
L'armée libanaise a déjà démantelé plusieurs camps palestiniens pro-Hezbollah ou pro-iranien un à côté de Beyrouth, deux au nord vers Tripoli, et trois dans la plaine de la Bekaa. Par ailleurs, l'armée a déjà mené plus de 250 réquisitions d'armes ou opérations contre des caches. d'armes dans des tunnels, au sud du fleuve Litani, région très vaste, très accidentée. Une partie de l'arsenal saisi est détruite, mais si elles sont utilisables, les armes récupérées vont à l'armée libanaise. Pour exécuter son travail, celle-ci, qui compte 77000 hommes, a besoin d'effectifs. Le Conseil des ministres a décidé d'enrôler 4500 soldats supplémentaires pour intervenir plus efficacement dans le Sud. Le problème, c'est qu'il n'y a pas que le sud du pays à défendre ou protéger. Nous avons aussi le problème de l'armement palestinien que nous devons régler en coordination avec l'Autorité palestinienne. Le but, c'est que notre armée occupe tout le territoire. L'État doit avoir l'exclusivité du port d'armes, de la violence. L'exigence est tout aussi nationale qu'internationale.
C'est loin d'être le cas, puisque les Israéliens ne respectent pas le cessez-le-feu du 27 novembre 2024 dans le Sud?
Nous sommes totalement engagés dans l'application de la résolution 1701 des Nations unies, qui appelle à une cessation complète des hostilités entre le Hezbollah et Israël. Malheureusement, Israël viole cet accord de cessez-le-feu et les précédentes expériences d'accord qu'on a eues avec Israël, sauf dans le domaine maritime sur la zone exclusive économique, ne sont pas encourageantes. Dans la situation actuelle, l'espoir est mince. Nous n'avons pas d'autre choix que de continuer à cœuvrer sur le front diplomatique, avec la France, les États-Unis et la communauté internationale, pour arriver à une solution. Il faut que celle-ci garantis-se le retrait israélien du sud du Liban, le retour des prisonniers libanais retenus par les Israéliens ainsi que la fixation, une fois pour toutes, de la frontière terrestre. Je laisse de côté la question de la libanité des Fermes de Chebaa, occupées par Israël sur le plateau du Golan, car ce dossier nécessite une approche distincte avec l'État syrien.
Comment jugez-vous les positions de Donald Trump sur le conflit israélo-palestinien?
En ce qui nous concerne, nous nous en tenons toujours aux résolutions du sommet arabe qui s'est tenu en 2002 à Beyrouth et qui préconise la solution à deux États. On ne peut pas espérer arri-ver à une paix durable, dont il faut préparer le terrain car on ne peut l'imposer, sans une solution juste et équitable de la cause palestinienne. C'est aussi une condition de la paix dans toute la région, y compris au Liban.
Que répondez-vous à ceux qui prétendent que le redressement du Liban se fait aujourd'hui sous la pression de Donald Trump?
Mais c'est le monde entier qui subit la pression de Donald Trump!
Entre 1,5 et 2,5 millions de réfugiés syriens vivent au Liban. Le nouveau pouvoir à Damas est-il prêt à leur rapatriement?
Nous allons commencer à résoudre, je l'espère, les difficultés liées à la définition des frontières terrestres et maritimes avec la Syrie, ainsi que le problème des réfugiés. Tous ces dossiers attendent la formation d'un gouvernement syrien, que je souhaite représentatif du peuple, pour voir leur résolution. Ce mercredi, notre ministre de la Défense devait rencontrer son homologue syrien, mais cette visite a été différée à Djedda, sous l'égide de l'Arabie saoudite.
Faites-vous confiance au nouveau pouvoir syrien d'Abou al-Joulani alors que des exactions ont eu lieu récemment contre les minorités alaouite, druze et chrétienne?
Je ne sais pas, et ce n'est pas à nous, Libanais, de nous immiscer dans les affaires internes d'un pays étranger, quel qu'il soit. Chaque acte qui cible des minorités, où que ce soit, est condamnable. Il appartient donc à la Syrie de régler ses problèmes et de préserver la sécurité de toutes les composantes de son peuple. Ce qui est certain, en revanche, c'est que la stabilité de la Syrie se refléterait positivement sur la stabilité du Liban. Nous souhaitons que ce gouvernement remette la Syrie sur pied.
Avec votre arrivée et celle du gouvernement de Nawaf Salam s'ouvre une nouvelle ère. Comment comptez-vous faire pour en finir avec l'idée selon laquelle les Libanais sont davantage attachés à leur communauté qu'à leur pays?
Nous voulons en finir avec cela. C'est l'objectif national et je pense que le peu-ple libanais y est prêt. Il est en train de se réunir. Lorsque je dirigeais l'armée et que je m'adressais à mes officiers, j'insistais toujours sur le fait que c'est l'État qui protège, et non la communauté. Nous partageons tous le même drapeau, la même carte d'identité. L'État doit passer en premier. Nous œuvrons donc à construire cette citoyenneté parce que le peuple libanais a trop souffert des politiques partisanes et des allégeances com-munautaires.
Que prévoyez-vous pour stopper l'hémorragie des Libanais, beaucoup de confession chrétienne, qui partent vivre à l'étranger?
Pour cela, nous devons leur assurer la stabilité politique et judiciaire, la sécurité, la lutte contre la corruption et des améliorations économiques. Les chrétiens ne sont pas les seuls tentés par l'exil et si je suis maronite, je suis le président de tous mes compatriotes. Tous veulent que l'État prenne ses responsabilités. Je veux leur donner cet espoir, pour qu'ils reviennent ou restent.
Demandez-vous la libération de votre compatriote Georges Ibrahim Abdallah, communiste de confession chrétienne condamné pour terrorisme et détenu en France depuis 1984?
Je respecte la justice et je considère que lorsqu'un acte criminel est commis, il est normal de purger une peine. Maintenant, un tribunal français a prononcé la mise en liberté de M. Abdallah, mais il y a eu appel de cette décision. Le Liban avait, en juin dernier, mandaté son ministre de la Justice pour suivre cette affaire. Après tout, c'est un citoyen libanais et nous sommes responsables de tous les citoyens libanais. Si la situation était inversée, si c'était un citoyen français emprisonné au Liban, l'État français ferait pareil. Ce point n'est pas à l'ordre du jour de mon rendez-vous avec le président français, mais j'essaierai de l'aborder.