L’ultraconservateur Saïd Jalili, arrivé deuxième avec 38 % des voix selon des résultats partiels, soit six points derrière son adversaire, est favori du second tour qui aura lieu le 5 juillet, à moins que les réformateurs ne parviennent à mobiliser leur base.
Par Ghazal Golshiri et Madjid Zerrouky, Le Monde
Un second tour de scrutin sera nécessaire en Iran pour désigner le successeur du président Ebrahim Raïssi, mort le 19 mai dans un accident d’hélicoptère. Le vote, prévu le 5 juillet, devra départager le candidat réformateur Masoud Pezeshkian et l’ultraconservateur Saïd Jalili, arrivés en tête du premier tour organisé vendredi 28 juin. L’abstention, qui a atteint un niveau record, est la grande gagnante, à ce jour, de la consultation.
Les derniers résultats annoncés par le ministère de l’intérieur, portant sur 19 millions de votes sur un total de 26 millions, soit une participation, à ce stade, de 40 %, témoignent de l’impuissance du camp réformateur qui n’a pas pu mobiliser les indécis et même une partie de ses électeurs traditionnels. Masoud Pezeshkian a pu obtenir 44 % des votes, contre 38 %, pour Saïd Jalili.
La campagne électorale de Masoud Pezeshkian, ex-député et ex-ministre de la santé sous le président réformateur Mohammad Khatami (1997-2005), a été atone. Le candidat n’a franchi aucune ligne rouge lors de ses prises de parole, dans ses meetings et sur les plateaux de la télévision iranienne, répétant sans cesse sa loyauté absolue envers le Guide suprême, Ali Khamenei, la plus grande autorité du pays et le plus grand obstacle dressé sur la voie de tout changement en Iran.
« Dès le jour où je me suis inscrit [comme candidat à la présidentielle], j’ai dit que je poursuivrais les politiques du Guide suprême », a-t-il répété. Même sa décision de nommer comme conseiller diplomatique Mohammad Javad Zarif, ancien chef de la diplomatie iranienne (2013-2021) et architecte de l’accord sur le dossier nucléaire, en 2015, n’a pas convaincu la base électorale réformatrice de sa capacité à changer sensiblement la donne en Iran. Le « deal » nucléaire est caduc depuis que les Etats-Unis en sont unilatéralement sortis, sous l’ancien président Donald Trump, en 2018. Les sanctions américaines, réimposées depuis, étouffent l’économie iranienne, qui souffre en outre d’une mauvaise gestion et d’une corruption endémique.
Le traumatisme de la répression Parmi la masse des abstentionnistes, ils sont nombreux à considérer que le président ne fait pas le poids face au Guide suprême, maître de la répression qui peut s’abattre à tout moment sur toute voix dissonante. Ils en ont fait l’expérience, notamment en novembre 2019 sous la présidence d’Hassan Rohani, présenté comme un modéré. Au moins 305 manifestants avaient été tués pour avoir protesté contre la hausse du prix du carburant et le blocage du système politique iranien. Internet avait été coupé dans le pays pendant une dizaine de jours. Des membres de l’entourage de Masoud Pezeshkian, qui occupaient des postes de responsabilité en 2019, ont tenté de se défendre de toute complicité dans cette répression, sans convaincre, semble-t-il.
Trois ans plus tard, en septembre 2022, l’Iran a été traversé par une vague de contestation, inédite dans son étendue et sa longévité. La mort de la jeune Mahsa (Jina) Amini, en garde à vue pour une apparence jugée « insuffisamment islamique » a fait descendre dans les rues des Iraniens de toutes les classes économiques et sociales, partout dans le pays. Environ 500 personnes ont été tuées. Au moins huit Iraniens ont été exécutés en lien avec les manifestations. Des centaines de journalistes, opposants, artistes, avocats et étudiants sont interdits aujourd’hui de sortie du territoire, ont été licenciés de leur travail, voire condamnés à de peines de prison lourdes.
La police des mœurs, à l’origine de la mort de Mahsa Amini, reste très présente. Elle continue à interpeller, parfois de manière violente, les femmes qui ne sont pas « assez couvertes » à ses yeux. Sur ce point, M. Pezeshkian n’a pas pu convaincre que son élection puisse faire diminuer les pressions sur les femmes, qui semblent être très nombreuses parmi les abstentionnistes. Outre les doutes sur la capacité d’un réformateur à infléchir la répression, les promesses d’une amélioration des conditions de vie faite par Masoud Pezehshkian ne semblent pas avoir retenu l’attention des électeurs.
Certaines figures connues du camp réformateur ont également boycotté le scrutin, dont Mir Hossein Moussavi, l’un des leaders du « mouvement vert », né après la réélection jugée frauduleuse de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, en 2009. Assigné à résidence depuis 2011 avec son épouse, Zahra Rahnavard, Mir Hossein Moussavi n’a pas accepté l’urne que les autorités avaient transportée à la porte de son domicile à Téhéran. De nombreux prisonniers politiques, dont la lauréate du prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, derrière les barreaux dans la prison d’Evin, dans le nord de Téhéran, ont aussi annoncé leur refus de participer à un « simulacre » d’élection.
Autre enseignement de ce scrutin : l’impossibilité des conservateurs de se réunir derrière un candidat. Outre Saïd Jalili, deux autres candidats de l’aile dure étaient en lice : l’ex-maire de Téhéran, Mohammad Bagher Ghalibaf, ainsi que l’ex-ministre du renseignement, Mostafa Pourmohammadi.
Homme rigide, dit « révolutionnaire », Saïd Jalili, qui arrive en deuxième position, plaide pour la fermeté face à l’Occident sur les dossiers du nucléaire et de la politique régionale, répétant l’un des leitmotivs de l’aile dure du régime ces dernières années : la nécessité pour l’Iran de renforcer ses liens avec la Russie et la Chine. Alors que d’autres candidats ont envoyé leur fille sur les plateaux de télévision pour parler de leur propre attachement aux droits des femmes, Saïd Jalili, lui, a préféré faire appel à l’un de ses conseillers hommes.
De son côté, le chef du Parlement, Mohammad Bagher Ghalibaf, plusieurs fois candidat malheureux à d’autres présidentielles, semble aujourd’hui payer les multiples accusations de corruption financière et d’abus du pouvoir dont son entourage et luimême font l’objet. Présenté comme un technocrate par ses adeptes, cet ancien membre des gardiens de la révolution, l’armée idéologique du pays et l’une des plus grandes forces économique et politique du pays, bénéficiait pourtant du soutien d’un grand nombre d’élites politiques en Iran.
A moins d’un fort regain de mobilisation des électeurs, subitement convaincus de la nécessité de « choisir entre un mauvais [candidat] et le pire », comme il est traditionnellement dit en Iran, les reports de voix devraient profiter à Saïd Jalili, pressenti comme le prochain président.