Comme en 1973 lors de la guerre du Kippour, Washington retrouve son rôle de médiateur et joue la carte de la prudence afin d'éviter que le conflit en Israël et dans la bande de Gaza dégénère
Pascal Airault, Lola Ovarlez – L’Opinion
Les Etats-Unis sont de retour dans le conflit israélo-palestinien. Samedi après-midi, Joe Biden s’est entretenu avec Benjamin Netanyahu pour lui réitérer le soutien indéfectible de son pays, notamment en matière militaire. Mais il a aussi défini un cadre pour l’intervention de Tsahal.
Pas question de laisser au Premier ministre israélien, à qui l’opinion publique reproche de ne pas avoir vu venir l’attaque du Hamas, des marges de manœuvre trop importantes qui pourraient se traduire par une politique de représailles incontrôlables par l’Etat hébreu. Avec le risque d’une dégénération en un conlit régional. Les Etats-Unis redoutent l’ouverture d’un nouveau front, au nord, contre le Hezbollah. « Ne le faites pas. Ne le faites pas, ne le faites pas ! », a martelé Joe Biden, dans l’émission « 60 Minutes », diffusée dimanche sur la chaine CBS. Selon le site d’informations israélien Ynet, le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Lloyd Austin, a demandé aux Israéliens d’éviter toute intervention préventive contre le mouvement politico-militaire libanais, et assuré que son pays s’engageait à intervenir militairement en cas d’agression massive de la part de l’organisation islamiste.
Joe Biden a envoyé en Méditerranée deux groupes aéronavals composés des porte-avions USS Gerald Ford et USS Dwight D. Eisenhower. Objectif : dissuader l’Iran et ses proxys, comme le Hezbollah justement, d’entrer ouvertement dans le conlit. Ce qui explique aussi que Washington ne pointe pas directement du doigt la responsabilité iranienne dans l’attaque du Hamas ain de ne pas envenimer la situation.
Le président américain a aussi dépêché dans la région son secrétaire d’Etat, Anthony Blinken, qui fait la navette entre Israël (où il était de retour lundi), l’Egypte, la Jordanie, le Qatar… Le patron de la diplomatie américaine cherche les voies d’une désescalade, notamment via la libération des otages. Il a appelé samedi le directeur du bureau des affaires étrangères du Parti communiste chinois, Wang Yi, pour le tenir au courant de sa tournée au Moyen-Orient. Il compte sur l’appui de la Chine pour apaiser les tensions. Pékin a l’avantage de pouvoir parler aux Iraniens et aux Syriens.
L’administration américaine soutient le droit d’Israël à l’autodéfense, mais appelle son allié à la retenue et au respect du droit international humanitaire afin d’épargner les civils alors que Tsahal s’apprête à déclencher son opération terrestre à Gaza. Elle tient ainsi compte des réactions de la rue arabe et de la position des dirigeants des pays du Golfe. Ce week-end, les manifestations de soutien au peuple palestinien se sont multipliées dans le monde.
« Ce serait une erreur de la part d’Israël d’occuper de nouveau Gaza », a averti Joe Biden. Une mise en garde alors que nombre d’Israéliens estiment toujours que le pouvoir politique a fait une erreur, en 2005, en se retirant unilatéralement de l’enclave.
Le président américain doit aussi ménager son opinion publique. L’aide à Israël est un rare sujet de consensus au Congrès comme au sein de la population américaine – d’autant que le conlit a coûté la vie à 29 ressortissants ou binationaux – bien qu’il y ait aussi des partisans de la cause palestinienne outre-Atlantique.
Ce soutien risque néanmoins de dépendre de l’étendue de la campagne militaire israélienne. Il pourrait décliner en cas de réoccupation de Gaza, selon Ilan Berman, vice-président de l’American Foreign Policy Council. Le bilan s’élève à plus de 2 600 morts côté palestinien, et Joe Biden ne cache pas son inquiétude quant à une crise humanitaire dans la région. Le département d’Etat a d’ailleurs annoncé la nomination d’un envoyé spécial pour les questions humanitaires au Moyen-Orient, afin d’« apporter une aide humanitaire d’urgence » aux Palestiniens pris entre deux feus.
Méfiance. De plus, le chef d’Etat américain se montre prudent vis-à-vis de Benjamin Netanyahu. Leur relation n’a pas toujours été au beau fixe, y compris lorsque Joe Biden était le vice-président de Barack Obama. D’après les médias israéliens, le Premier ministre de l’Etat hébreu l’aurait invité à se rendre en Israël, lors d’un appel, samedi. Selon les informations de Politico, Joe Biden serait en train de « réfléchir » à cette offre de voyage.
En perte d’influence au Proche et MoyenOrient, Washington n’a pas d’autres choix que de réinvestir un terrain qu’elle a eu tendance à délaisser ces dernières années. Son engagement actuel rappelle celui des Etats-Unis durant la guerre du Kippour en 1973 où l’Egypte et la Syrie, sous influence de Moscou, avaient attaqué Israël par surprise. A l’époque, Henry Kissinger, patron du Département d’Etat, avait convaincu Richard Nixon de lancer un pont aérien d’assistance militaire au grand dam du Département de la Défense. Kissinger s’était ensuite fortement impliqué pour dicter les termes des négociations régionales qui ont notamment favorisé la paix entre Israël et l’Egypte, celle-ci sortant au passage de l’orbite soviétique pour rejoindre celle des Etats-Unis. Comme les Européens et les pays arabes, l’administration américaine reste favorable à la « solution à deux Etats » dont ne veut plus en entendre parler Israël. Nul doute qu’elle favorisera la reprise des pourparlers à l’issue de la guerre.