Par Georges Malbrunot
DÉCRYPTAGE - Le pétrolier concrétise un méga-contrat de 10 milliards de dollars, qui porte aussi sur le gaz et le solaire.
Envoyé spécial à Bagdad et à Artawi (sud de l'Irak) – Le Figaro
TotalEnergies revient par la grande porte en Irak. Mais que d'efforts consentis et de sueurs froides endurées pour que le géant pétrolier retrouve une place de choix dans ce pays, qui a vu naître la compagnie française, il y aura un siècle, l'an prochain !
Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, et le ministre du Pétrole, Hayan Abdel Ghani al-Sawad, ont signé lundi à Bagdad un méga-contrat d'un montant de 10 milliards de dollars. Un contrat stratégique pour Bagdad, en quête de retombées pour sa population, et la multinationale française, engagée dans les énergies renouvelables, et qui avait quasiment disparu du marché irakien, après l'invasion américaine de 2003.
« C’est un jour historique pour lancer, en fait, quatre projets géants » dans les secteurs pétrolier, gazier, solaire et de l’eau, s’est félicité Patrick Pouyanné, qui est revenu sur vingt-deux mois de négociations marquées par de nombreux rebondissements. « Ces vingt-deux mois ont permis de consolider notre partenariat pour en faire un succès », a expliqué le patron de TotalEnergies, peu après que le ministre irakien du Pétrole se soit, lui aussi, réjoui du « compromis » finalement trouvé. « Les choses sont en ordre (…), TotalEnergies garde 45 % du projet, la Basra Oil Company 30 % et QatarEnergy nous rejoint à 25 % », a confirmé Patrick Pouyanné.
À échéance de trois ou quatre ans, les quatre torchères qui crachent leur fumée en bordure du champ pétrolier d’Artawi auront disparu. C’est dans ce morceau de désert, à 70 kilomètres au nord-ouest de Bassora, la grande ville du sud du pays où se concentrent les grands puits de pétrole, que Total Energies et ses partenaires vont œuvrer. « L’Irak a réalisé que brûler son gaz ne sert à rien et qu’elle peut produire de l’électricité », constate un diplomate. Dans la première phase du projet, dont le démarrage est prévu en 2028, le gaz sera récupéré du champ d’Artawi, mais aussi des sites géants de West Qourna et de Majnoon, afin d’alimenter en gaz des centrales électriques locales. Celles-ci produiront 1,2 gigawatt (GW) d’électricité, l’équivalent de la consommation de 300 000 foyers de la ville de Bassora, qui, à l’instar du reste du pays, souffre de fréquentes coupures de courant.
« Avec 30 000 à 50 000 barils produits chaque jour actuellement, Artawi est un petit champ, mais il a un fort potentiel », décrypte Laurent Barthélémy, le directeur des opérations à Artawi, non sans avoir averti le visiteur des risques posés par les explosifs largués par les États-Unis en 1991, durant la guerre qui poussa Saddam Hussein à sortir du Koweït.
D’ici 2026, la production d’Artawi grimpera à 210 000 barils par jour. Grâce à l’élimination du brûlage de routine ainsi qu’au captage et au stockage du gaz carbonique, l’intensité carbone du site sera, elle, massivement réduite.
Le projet prévoit également la construction d’une unité de traitement d’eau de mer d’une capacité de 5 millions de barils par jour. En outre, TotalEnergies et ACWA Power, un partenaire saoudien, bâtiront une centrale solaire d’une capacité de 1 GW, toujours dans cette région de Bassora, laissée-pourcompte du développement depuis vingt ans.
« Ce projet multidimensionnel est une révolution pour nous autres Irakiens », se félicite Firas Imad, chef de site, dans la salle de contrôle d’Artawi. Sous un soleil de plomb, plus d’une centaine de salariés irakiens attendent le lancement des travaux pour le développement du site, où opèrent déjà une trentaine d’expatriés.
Lors de la signature du contrat, le ministre irakien du Pétrole et le patron de TotalEnergies ont insisté sur les retombées en termes d’emploi (10 000 créations espérées) et d’amélioration de la qualité de vie pour la population, qui vingt ans après la fin de la dictature tire encore le diable par la queue.
Pour son come-back dans l’ancienne Mésopotamie, Patrick Pouyanné a prononcé les mots justes pour flatter la fierté ombrageuse d’Irakiens jaloux de leur souveraineté. « Nous sommes des locaux dans les pays où nous travaillons », a-t-il rappelé, après avoir salué « la continuité de la voix de l’État irakien » qui a permis la concrétisation de ce premier contrat de production – et non pas de services - signé par Bagdad avec une compagnie étrangère depuis 2003. Mais ce fut tout sauf simple !
En 2021, lorsqu’un premier accord est conclu, TotalEnergies se charge de trouver des partenaires financiers pour mener à bien les investissements et l’Irak est d’accord pour ne pas en faire partie. Mais l’année suivante, un nouveau gouvernement est formé. Une nouvelle donne apparaît entre factions chiites qui dominent la scène politique. Bagdad, qui veut désormais sa part du projet, réclame 40 %. Le patron de TotalEnergies rencontre à quatre reprises le nouveau premier ministre, Mohammed Chia al-Soudani, soumis aux influences multiples de ses alliés chiites, voire de l’Iran, le puissant voisin qui vend du gaz et de l’électricité à l’Irak. Bagdad ne veut pas moins que le Qatar. Jusqu’au dernier moment, l’incertitude plane. Lorsque, le 20 mars, l’influent ancien premier ministre, Nouri al-Maliki, affirme au Figaro que son pays ne signera pas l’accord, la direction de Total tombe des nues. Qu’a-t-il obtenu en échange ? Finalement, le 5 avril, l’accord est annoncé.
Il s’agit d’un incontestable succès pour le géant français, qui célébrera l’an prochain sa naissance près de Kirkouk, il y a cent ans. « C’est le premier projet de cette ampleur en termes de combinaison d’énergies avec une palette aussi large », souligne Nicolas Terraz, patron de l’exploration et de la production.
Au-delà, il s’agit du plus important contrat remporté par une société française, depuis l’invasion américaine de 2003, qui a marqué un recul de l’influence française dans l’Irak post-Saddam Hussein. Il fait oublier les échecs subis ces dernières années pour reconstruire notamment l’aéroport de Mossoul, l’ex-fief de Daech dans le nord du pays. Dans son intervention, Patrick Pouyanné n’a pas manqué de remercier le président de la République, Emmanuel Macron, qui avait fait de ce contrat une « priorité », encore rappelée en janvier au premier ministre irakien lors de sa visite officielle à Paris.
Le succès de TotalEnergies conforte, en effet, Emmanuel Macron dans sa volonté de faire de l’Irak le pivot de l’engagement français au Mashreck. Un engagement qui devrait se matérialiser à l’automne par sa participation à la troisième édition de la conférence dite de Bagdad, destinée à développer les partenariats économiques entre pays de la région.
La signature de ce contrat intervient également au moment où les monarchies pétrolières du Golfe – Qatar et Arabie saoudite en tête - réinvestissent politiquement et financièrement chez leur voisin irakien pour le détacher de l’emprise exercée par l’Iran, l’autre voisin, à l’est. Mais en réduisant la dépendance gazière et électrique de l’Irak envers l’Iran, certains mettent en gardent contre une réaction hostile de Téhéran contre TotalEnergies. Interrogé à ce sujet, Patrick Pouyanné a précisé au Figaro que « l’Iran n’a joué aucun rôle » tout au long des négociations. La capacité de nuisance iranienne ne devrait donc pas s’exercer au cours du lancement opérationnel du projet, veut-on croire chez TotalEnergies.