le très discret fils du guide suprême dirige le pays dans l’ombre depuis la mort d’Ebrahim Raïssi

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le très discret fils du guide suprême dirige le pays dans l’ombre depuis la mort d’Ebrahim Raïssi
الخميس 23 مايو, 2024

Mojtaba Khamenei n’a pas de rôle officiel, mais il n’en est pas moins un des personnages les plus influents du pays

The Wall Street Journal / L'Opinion


Alors que la mort du président iranien Ebrahim Raïssi soulève des questions urgentes au sujet de la direction du pays, Mojtaba Khamenei, le fils puissant et très discret du guide suprême Ali Khamenei, est prêt à jouer un rôle central.

Pour la plupart des Iraniens, ce fils est une énigme. Il n’occupe aucun poste public, limite ses apparitions et ne fait jamais de discours. Depuis des dizaines d’années, Khamenei le jeune entretient des liens avec les personnages clés de l’appareil sécuritaire et de renseignement en Iran et il est devenu une puissance de l’ombre, tout particulièrement sous M. Raïssi, qui était considéré comme un président complaisant sans pouvoir personnel.

M. Raïssi était considéré comme le probable successeur du guide suprême de 85 ans, à la santé fragile. En tant que président, il servait d’instrument à des individus et à des réseaux plus puissants exerçant leur pouvoir en coulisses.

La mort de M. Raïssi dans un accident d’hélicoptère le 19 mai a fait naître toutes sortes de conjectures sur le successeur de l’ayatollah Khamenei, et l’on se demande si le prochain président sera aussi manipulable par ceux qui tirent les icelles du pouvoir, c’est-à-dire l’entourage du ils de M. Khamenei et le Corps des gardiens de la révolution.

Ces dernières années, il a beaucoup été murmuré que Mojtaba Khamenei pourrait être favori pour succéder à son père, mais les fins connaisseurs de l’Iran et les analystes politiques estiment que c’est peu probable. Selon eux, il serait bien plus puissant en restant dans l’ombre.

« Cela fait vingt ans que Mojtaba Khamenei et son réseau décident de tout », avance Hamidreza Azizi, spécialiste de l'Iran et chercheur invité au German Institute for International and Security Afairs. « Aujourd’hui, il ne fait pas de doute que pour Khamenei lui-même, la principale difficulté consiste à trouver quelqu’un qui fait exactement les mêmes caractéristiques que Raïssi. »

Selon M. Azizi, « cela permettrait une configuration dans laquelle Mojtaba pourrait conserver et même étendre son pouvoir, tout en gardant son rôle de l’ombre, loin des yeux du public. »

Dans tous les cas, Mojtaba Khamenei, qui a 54 ans, jouera un rôle central dans la reconfiguration du paysage politique de l’Iran d'ici à l'élection présidentielle prévue fin juin et la succession prochaine de son père.

Ces politiques vont contribuer à déterminer l’avenir de l’Iran tandis que le pays s’engage plus profondément dans les conflits régionaux et affronte le mécontentement croissant de sa population. La mort de M. Raïssi a, au moins à court terme, placé un vrai fidèle de Mojtaba Khamenei dans le fauteuil présidentiel. Mohammad Mokhber, président par intérim jusqu’à l’élection et qui pourrait se présenter lui-même, a été placé par M. Khamenei à la tête de la gestion du fonds Setad, de plusieurs milliards de dollars, fonds qui gère des participations dans l’immobilier, l’industrie, la finance et plus encore et est contrôlé par le guide suprême. Le fils exerce également une influence sur les fonctions du guide suprême et sur l’empire commercial en son pouvoir.

Mojtaba Khamenei est né en 1969 dans la ville sainte de Machhad, au moment où son père devenait une des principales personnalités du mouvement révolutionnaire opposé à la monarchie du Shah Mohammad Reza Pahlavi. Ali Khamenei a plusieurs fois été arrêté par la police secrète du Shah, et au cours d’un de ces raids, Mojtaba Khamenei a vu son père être battu, peut-on lire sur le site internet du guide suprême.

Après la révolution islamique de 1979, la famille Khamenei s’est installée à Téhéran où Mojtaba a été scolarisé dans un lycée destiné aux enfants de l’avant-garde révolutionnaire, pendant que son père gravissait rapidement les échelons du gouvernement jusqu’à devenir président en 1981.

Mojtaba Khamenei a passé ses années de formation, comme de nombreux autres jeunes hommes iraniens, à se battre lors de la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein entre 1980 et 1988. Dans son bataillon, il a noué des liens avec des hommes qui deviendraient, plus tard, des personnages clés de l’appareil sécuritaire iranien, notamment Hossein Taeb, futur chef des renseignements du Corps des gardiens de la révolution, et Hossein Nejat, qui deviendrait chef de l’unité du Corps des gardiens de la révolution chargé d’écraser les manifestations d’opposition à Téhéran.

M. Khamenei s’est fait connaître dans les années 1990 et tout particulièrement au milieu des années 2000, lorsque des réformistes l’ont accusé d’avoir orchestré les élections présidentielles de 2005 et de 2009 pour assurer la victoire du radical Mahmoud Ahmadinejad.

En 2009, il a gagné en influence par le biais de son soutien à Hossein Taeb, alors commandant de la milice paramilitaire Bassidj, lors de la violente répression contre les manifestants du mouvement vert qui protestaient contre la fraude électorale, selon un conseiller du Corps des gardiens de la révolution.

Les activités de Mojtaba Khamenei ont attiré l’attention à l’étranger. Les Etats-Unis lui ont infligé des sanctions en 2019, lui reprochant de travailler étroitement, au nom de son père, avec les gardiens de la révolution et le Bassidj « pour promouvoir les ambitions régionales déstabilisatrices et les objectifs de répression intérieure de son père ».

En 2022, l’Iran a de nouveau été secoué par des manifestations à l’échelle de tout le pays après que la police a tué Mahsa Amini, une jeune femme accusée d’avoir enfreint le code vestimentaire islamique du pays. Le fils du guide suprême est très vite devenu la cible de la colère des manifestants. Mir-Hossein Moussavi, ancien candidat présidentiel assigné à résidence, a exhorté Khamenei à faire taire les rumeurs selon lesquelles son ils lui succéderait. L’ayatollah n’a pas répondu.

L’ascension du fils a nourri les conjectures et d’aucuns le voient bien placé pour succéder à son père. C’est un scénario peu probable, juge Mehdi Khalaji, théologien formé dans la ville iranienne sainte de Qom et auteur d’un livre paru en 2023 sur le guide suprême Ali Khamenei.

« L’idée que l’ambition de Mojtaba est d’être le prochain guide suprême est un mythe total », selon M. Khalaji. « A la lumière des expériences passées, je ne pense pas que Khamenei désignerait quiconque comme son successeur, pas même son ils. »

Il manque à Khamenei le jeune nombre de qualités officiellement requises chez un guide suprême, notamment les qualiications religieuses ou l’expérience du pouvoir exécutif nécessaires. Pour Ali Khamenei et son prédécesseur, l’ayatollah Ruhollah Khomeini, fondateur de la République islamique, l’idée d’une transmission du pouvoir de père en ils est anti-islamique et monarchique.

« Après des dizaines d’années dans les coulisses du pouvoir, [Mojtaba Khamenei] a un réseau hors pair », estime Saeid Golkar, spécialiste des services de sécurité iraniens enseignant à l’université du Tennessee à Chattanooga. « Mais sa nomination pourrait mettre en danger l’héritage de Khamenei en réinstaurant la monarchie. »

Selon les experts, le pouvoir de Mojtaba Khamenei pourrait se trouver menacé à la mort de son père, et il aurait tout intérêt à rester dans l’ombre. Avant la mort de l’ayatollah Khomeini en 1989, son fils et bras droit Ahmad, qui était alors plus puissant que ne l’est Mojtaba Khamenei aujourd’hui, gérait les affaires du pays avec Ali Khamenei et le président de l’époque, Akbar Hashemi Rafsanjani. Il se brouilla avec eux après la mort de son père. Ahmad Khomeini est mort en 1995 à l’âge de 49 ans, officiellement d’un arrêt cardiaque.

Sune Engel Rasmussen et Benoit Faucon (Traduit à partir de la version originale en anglais par Bérengère Viennot)