TRIBUNE - À l’approche des élections européennes, il est vital que l’Europe fasse entendre sa détermination à garantir la victoire de l’Ukraine, plaident l’ancien ministre des Affaires étrangères et le chef de cabinet de Volodymyr Zelensky dans une tribune conjointe.
Par Jean-Yves Le Drian et Andriy Yermak, Le Figaro
Détruire, voilà ce que dit, et voilà ce que fait Poutine. Loin des menaces purement verbales, c’est bien une menace existentielle que Poutine fait peser sur non seulement sur l’Ukraine mais aussi sur l’Europe.
C'est en Ukraine qu’il a déployé le plus loin le dessein de sa toute-puissance destructrice. C’est en Ukraine que nous devons le stopper, sans nous méprendre sur la nature de la guerre qu’il a initiée. C’est une guerre de prédation, qui sert des intérêts nationalistes. C’est une guerre d’expansion, qui ne s’arrêtera pas à l’Ukraine. C’est une guerre sans limite, qui s’alimente et s’allie à toutes les barbaries dans le monde, de la Syrie à l’Iran - avec qui la Russie échange technologies et armes, élaborant des moyens communs de contourner les sanctions et des actions concertées pour déstabiliser le monde occidental. Déjà, un triptyque inédit associant Russie, Corée du Nord et Iran fait le lien entre les théâtres européen, moyen-oriental et asiatique. Une cohorte de dictateurs s’est rangée aux côtés de Poutine, prête à défier l’ordre international en chacun de ses principes et à ruiner la paix en n’importe quel point du globe. À terme, la Russie ne limitera pas sa violence à ses voisins. Quiconque s’oppose à son expansion sera visé. En témoignent les attaques hybrides qui ont déjà été lancées contre des pays de l’UE, et au premier chef la France, victime de cyberattaques orchestrées par le pouvoir russe - ce sont exactement les mêmes méthodes hybrides, alliant campagnes de désinformation, hacking et manipulation médiatiques, qui ont précédé l’agression de l’Ukraine, avant même l’annexion de la Crimée. En témoigne, de même, la montée des tensions en Afrique, principalement dans des pays historiquement liés à la France, qui n’est évidemment pas un hasard. Les conflits se multiplient à travers le monde, de l’Éthiopie au Moyen-Orient, et la Russie profite des guerres, quand elle ne les alimente pas.
Alors que les Européens sont appelés à choisir leurs représentants, il est crucial de rappeler que le sort de l’Europe qui se décidera dans les urnes se joue aussi, déjà, à ses frontières, sur le sol ukrainien. Soutenir l’Ukraine dans son combat contre l’envahisseur russe, ce n’est pas seulement une question de cohérence géographique et de fidélité au projet historique de l’Union, c’est une question vitale pour les Européens eux-mêmes . S’ils savent qu’il y va de l’avenir de l’Europe, ils doivent aujourd’hui se rendre à l’évidence : c’est bien l’Europe au présent qui est menacée.
Que veut l’Ukraine ? La paix et le droit. Rien de plus, rien de moins. Aussi, les alliés de l’Ukraine doivent se faire entendre avec fermeté, sans atermoiement et sans indécision. Et la voix des Européens doit être la plus claire et la plus déterminée.
Il y a presque un an, en juillet 2023, à Vilnius, les membres de l’Otan ont renforcé leur soutien à l’Ukraine, tandis que les pays du G7 publiaient une déclaration commune allant dans le même sens. De nombreux pays ont alors signé des accords de coopération visant à renforcer la capacité de l’Ukraine à se défendre, et le matériel promis arrive, ce dont l’Ukraine ne peut qu’être infiniment reconnaissante envers ses alliés. Ce soutien est crucial pour les soldats ukrainiens qui affrontent une adversité barbare, avec un grand courage, au prix de nombreuses vies et de blessures sans nom. L’enjeu aujourd’hui n’est pas seulement de les aider à tenir, l’enjeu n’est pas seulement de leur envoyer des armes et des munitions, mais également d’affirmer que l’Europe ne laissera pas la Russie l’emporter, ni l’Ukraine disparaître. La détermination des Européens est la meilleure arme contre Poutine.
Le 16 février dernier, la France a été l’un des premiers pays d’Europe, et même du monde, à signer avec l’Ukraine un accord de coopération en matière de sécurité et de défense avec l’Ukraine. Il reflète le soutien que le peuple français apporte à la cause ukrainienne, par la voix de ses représentants : à l’Assemblée comme au Sénat, on ne peut que saluer la qualité et l’esprit démocratique des échanges qui ont ponctué le débat sur cet accord. Il reflète aussi l’engagement d’un président lucide et responsable, qui a saisi l’urgence de répondre à la menace que la Russie fait peser sur l’avenir du continent. En décidant d’augmenter et d’accélérer son aide, la France a impulsé une nouvelle dynamique au soutien militaire international à l’Ukraine.
Cet engagement doit maintenant inspirer le reste des Européens et les pousser à rejoindre cette France qui mène la « coalition des déterminés ». Le 26 février, Emmanuel Macron a convoqué à Paris une conférence internationale pour définir les priorités du soutien logistique, militaire et financier à l’Ukraine. Mais il faut aller audelà. L’urgence de la situation nécessite d’abord des investissements supplémentaires en matière de sécurité. Partout en Europe, et nous mesurons ce que cela demande comme volonté politique et comme efforts financiers, il faut que les nations encouragent l’industrie à produire davantage pour les armées nationales et à soutenir l’armée ukrainienne. Ensuite, puisque l’Ukraine veut la paix, et que la Russie n’entend que le rapport de force, l’Otan doit adresser une invitation claire à l’Ukraine. Inviter l’Ukraine sans tarder est une étape majeure pour renforcer la sécurité de toute l’Europe et de l’ensemble euro-atlantique dans son ensemble.
La France, à la tête des alliés européens, doit plaider pour l’intégration de l’Ukraine au système de sécurité euro-atlantique. Le président Zelensky a rappelé les caractères d’une paix à la fois ancrée dans le droit international et fondée sur la charte des Nations unies. Sa feuille de route garantit la sécurité de l’Ukraine et celle du monde, une fois que la menace représentée par le régime russe actuel et ses objectifs affichés aura disparu. Nous espérons que le sommet international sur la paix en Ukraine, qui se tiendra les 15 et 16 juin en Suisse, sera un pas vers la mise en œuvre des initiatives de paix. Nous saluons la décision du président de la République française de participer à cet événement. Comme il l’a rappelé, l’Europe et le monde seront en danger tant que l’Ukraine devra lutter pour sa souveraineté.
C’est pourquoi nous croyons le vote du 9 juin dans toute l’Union européenne crucial comme il ne l’a jamais été historiquement. Il est vital que l’Europe fasse entendre sa détermination à garantir la victoire de l’Ukraine.