La livre égyptienne enchaîne les dévaluations depuis deux ans sur fond de crise et d'hyperinflation malgré les hausses des taux.
Le pays, en première ligne du conflit au Proche-Orient, pourrait dévaluer une nouvelle fois sa monnaie cette année.
Nessim Aït-Kacimi, Les Echos
A quand la prochaine ? Après trois dévaluations de 14%, 19% et 17% depuis 2022, un record mondial en termes de fréquence, le marché s'attend à une nouvelle baisse officielle du taux de change de la livre égyptienne en 2024. Cette dernière a perdu 50 % en plus de deux ans et s'avère incapable de sortir de la spirale de la défiance.
Le dollar vaut officiellement 31 livres mais il grimpe à 63 livres sur le marché officieux non contrôlé par la banque centrale. Il avait bondi jusqu'à 70 livres en janvier. Pour les investisseurs, le taux de change officiel, devra tôt ou tard s'aligner vers ce niveau plus réaliste.
Société Générale estime que le pays va établir un nouveau taux en fixant la valeur du dollar entre 40 et 45 livres. La monnaie de l'Egypte serait alors dévaluée de 25% à 30%. Sa faiblesse persistante renforce l'attrait du bitcoin. En 2022, c'est en Egypte que l'activité sur les cryptos s'est développée le plus rapidement de tous les pays.
Depuis la fin de son adossement au dollar il y a vingt-quatre ans, le pays a entamé une phase de transition pour laisser le marché fixer librement la valeur de sa monnaie. Il s'en est suivi une série de dévalua- tions et crises financières. L'Egypte n'a pas encore intégré définitivement les changes flottants malgré la pression du Fonds monétaire international.
Stabiliser sa devise est une des priorités du pays pour faire revenir les capitaux étrangers. Les non-résidents avaient vendu 19,6 milliards de dollars d'actifs égyptiens (actions et obligations) en 2022 quand les marchés émergents souffraient de la guerre en Ukraine. Ils ne sont pas encore revenus l'année dernière, avec 1,6 milliard de sorties selon Goldman Sachs.
Club des cinq
Sans le soutien de sa banque centrale par le biais d'interventions sur le marché, la livre égyptienne déjà malmenée plongerait encore davantage. Elle a intégré le club des cing devises les plus faibles au monde, frappées des mêmes maux, hyperinflation, endettement et perte totale de la confiance des particuliers et des entreprises dans leurs devises.
Depuis deux ans, le peso argentin a perdu 88% après une seule dévaluation mais massive, de 50% fin 2023-la première grande décision financière du nouveau président Javier Millei. La monnaie du Venezuela a connu une chute d'une même ampleur et le naira du Nigeria de 72 %. Sans dévaluer, la livre turque a plongé de 58% malgré des taux d'intérêt portés à 45%.
L'Egypte a suivi cette voie, faisant plus que doubler ses taux depuis 2022. Début février, ils ont été encore relevés à 22,25%. Mais ils restent encore inférieurs à une inflation à 30%. Ces taux réels négatifs de 7% sont défavorables à sa devise. L'effondrement de la monnaie a certes fait reculer les importations en les renchérissant, mais il n'a guère stimulé les exportations (marchandises, gaz liquéfié...) en apportant de la compétitivité. Conséquence le déficit commercial s'est accru.
Augmenter les sources de revenus du pays est indispensable pour rembourser un endettement massif, dont 42 milliards de dollars arrivent à échéance cette année. Le retour des touristes, apporteurs des précieuses devises étrangères (15 milliards de dollars en 2023, un record) qui manquent au pays est perturbé depuis octobre par la guerre à ses portes, entre Israël et le Hamas. Ce conflit qui affecte le trafic du canal de Suez a aussi fait chuter de 44% (en variation annuelle) en janvier les revenus que tire l'Egypte de ce canal qui représentait plus de 10% du trafic maritime mondial avant la guerre.