L’Élysée veut changer les « paramètres » du dossier palestinien

L’Élysée veut changer les « paramètres » du dossier palestinien
الجمعة 31 مايو, 2024

Georges Malbrunot

Le président de la République réclame des réformes de l’Autorité palestinienne et mise sur une normalisation entre les pays arabes et Israël.

À la recherche depuis plusieurs années de « nouveaux paramètres » pour régler un conflit israélo-palestinien qui n’a que trop duré, Emmanuel Macron a fini par clarifier sa position sur une « solution politique », en particulier sur le choix du « moment utile » pour reconnaître un État palestinien.

Cette reconnaissance « suppose beaucoup de réformes, des évolutions, un équilibre régional, des éléments de sécurité pour Israël », a déclaré le chef de l’État, mardi, en Allemagne. Pour Emmanuel Macron, qui ne fera pas de « la reconnaissance d’émotion », contrairement à la Norvège, l’Espagne, l’Irlande et à ce que lui suggère Jean-Yves Le Drian, son ancien ministre des Affaires étrangères, une telle reconnaissance doit s’inscrire dans « un processus où les États (arabes, NDLR) de la région et Israël sont engagés, et qui peut produire, sur la base d’une réforme de l’Autorité palestinienne, un résultat utile ».

D’abord, donc, la mise en œuvre par l’Autorité palestinienne (AP) « de réformes indispensables » : Emmanuel Macron l’a dit à son chef Mahmoud Abbas, qu’il a eu mercredi au téléphone. Quelles sont-elles ? Une lutte accrue contre la corruption et l’organisation de nouvelles élections dans les Territoires palestiniens. Problème : Mahmoud Abbas, 88 ans, même délégitimé, s’accroche à son poste. Il fait tout depuis des années pour ne pas quitter la scène politique… Quitte à agacer Emmanuel Macron, qui avait demandé en début d’année 2023 à d’anciens ambassadeurs de France en Israël, consuls généraux à Jérusalem et chefs de la DGSE de lui trouver « deux noms » de successeurs. Démarche intéressante intellectuellement, mais assez vaine d’un point de vue pratique.

« En fait, décrypte un diplomate français, à travers les réformes qu’Emmanuel Macron demande, il s’agit de changer de leadership et d’installer à la tête de l’Autorité palestinienne le nouveau premier ministre Mohammed Mustafa, un technocrate bien vu par les Occidentaux mais qui n’a aucune marge de manœuvre par rapport à Abbas. Cela risque donc d’être compliqué. » Emmanuel Macron, qui ne veut pas que le Hamas survive politiquement à Gaza, appelle de ses vœux une « Autorité palestinienne réformée et renforcée, en capacité d’exercer ses responsabilités sur l’ensemble des Territoires palestiniens, y compris dans la bande de Gaza. » Un souhait partagé par les États-Unis, les seuls avec Israël, à être en mesure d’exercer une pression sur Abbas et ses relais palestiniens.

Emmanuel Macron semble faire de ces réformes de l’AP un préalable à une reconnaissance française d’un État de Palestine. Une autre de ses conditions concerne un nouvel « équilibre régional ». De quoi s’agit-il ? D’une normalisation des pays arabes avec Israël, qui lui apporterait « les éléments de sécurité » dont parle Emmanuel Macron. Ce que les accords d’Abraham, signés en 2020 par les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, avaient entamé et qu’Emmanuel Macron souhaite voir élargis. À quels pays ? En premier lieu, au plus puissant d’entre eux, l’Arabie saoudite, qui avait bien commencé – via les États-Unis – de telles négociations, mais que le nouvel homme fort de Riyad, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), a dû geler, après l’attaque terroriste du Hamas en Israël, le 7 octobre.

« Coup de gueule »
Cependant, MBS - avec lequel Emmanuel Macron s’est entretenu il y a une semaine - continue de vouloir normaliser ses relations avec Israël, mais en assortissant les négociations en cours d’une nouvelle condition : qu’Israël s’engage sur « un chemin irréversible vers un État palestinien ». Or, malgré plus d’une demi-douzaine de tournées au Moyen-Orient depuis le 7 octobre, Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, s’est chaque fois heurté à la même fin de non-recevoir de la part du premier ministre Benyamin Netanyahou. Celui-ci, comme le regrette la presse américaine, préfère « Rafah » et son offensive sur le supposé dernier bastion du Hamas - plutôt que « Riyad et la paix » avec le plus important des pays arabes, qui en entraînerait d’autres derrière lui. Le nouvel « équilibre régional », dont parle Emmanuel Macron, pourrait donc ne pas voir le jour de sitôt.

« Je ne sais pas si votre président a vraiment une idée précise en tête », regrette un ambassadeur arabe à Paris, déçu de l’attentisme d’Emmanuel Macron sur une reconnaissance de la Palestine, et plus largement du virage pro-israélien pris par la France après le 7 octobre. Un ambassadeur de France le confirme, sous le sceau de l’anonymat : « Après le 7 octobre, les instructions que j’ai reçues de l’Élysée via le Quai d’Orsay, c’était : il n’y a plus d’équilibre dans notre politique entre Israël et les Palestiniens. »

Depuis plusieurs années, en fait, Emmanuel Macron est las de l’impasse diplomatique israélo-palestinienne et des « éléments de langage » de sa propre diplomatie, selon plusieurs témoignages recueillis par Le Figaro.

Par deux fois au moins, à l’été 2022 puis en début d’année 2023, « il a poussé un coup de gueule contre le Quai d’Orsay, lui reprochant son absence de créativité et de rester sur d’anciens schémas, alors que lui voulait de nouveaux paramètres », se souvient une source, témoin de ses colères. « Le président fulminait, disant : “tout le monde me disait que les accords d’Abraham allaient être une catastrophe, mais tout le monde veut en être maintenant, il faut me trouver quelque chose, je veux une initiative sur mon bureau” », enjoignait alors Emmanuel Macron.

« On délivre, répond un autre diplomate à Paris, mais nous n’avons aucun levier sur ce dossier. Et de toute façon, le président ne veut pas trop blesser Benyamin Netanyahou. » Sa feuille de route, annoncée mardi, épargne le premier ministre israélien, qui répète pourtant qu’il ne veut pas d’un État palestinien, « une récompense » au Hamas selon lui, huit mois après le 7 octobre.

Vu de l’Élysée, la balle reste dans le camp des Arabes et de l’Arabie, en particulier. MBS et le dirigeant des Émirats arabes unis, Mohammed Ben Zayed, allié privilégié de la France au Moyen-Orient, ont été invités à la réunion des dirigeants du G7, le 12 juin en Italie. Toute la question est de savoir si, compte tenu du refus partagé en Israël d’un État palestinien, MBS peut accepter moins qu’un tel État en échange d’une pleine normalisation avec Israël. MBS, comme Benyamin Netanyahou, dont un proche vient d’affirmer que la guerre à Gaza va durer encore sept mois, attendent une réélection de Donald Trump aux États-Unis. La victoire de celui qui fut l’architecte des accords d’Abraham pourrait rebattre les cartes en faveur de l’intégration d’Israël au Moyen-Orient.