Les coupes d’Elon Musk suscitent une hostilité grandissante dans le camp républicain

Les coupes d’Elon Musk suscitent une hostilité grandissante dans le camp républicain
السبت 8 مارس, 2025

Les réductions d’emplois publics et les droits de douane de la politique Trump font planer l’incertitude sur l’économie. L’emploi a tenu en février mais l’inquiétude est palpable. Une réunion du cabinet présidentiel a même tourné à l’affrontement des ministres avec le patron de Tesla.

Par Arnaud Leparmentier (New York, correspondant). Le Monde. 

Le taux de chômage aux Etats-Unis est remonté à 4,1 %, avec 203 000 chômeurs de plus, et le pays n’a créé que 151 000 emplois en février. C’est moins bien que les 170 000 attendus mais mieux que les 125 000 de janvier. L’effet Trump commence à se faire sentir, l’Etat fédéral ayant supprimé 10 000 emplois sous la houlette d’Elon Musk (dans les Etats américains et au niveau local les emplois publics ont en revanche augmenté de 21 000).

En réalité, l’effet des suppressions d’emplois fédéraux ne jouera à plein qu’au cours des prochains mois. Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a préparé les esprits, accusant la croissance de Joe Biden d’être dopée à l’emploi et aux déficits publics. « Est-ce que nous pourrions voir cette économie dont nous avons hérité commencer à se dégrader un peu ? Bien sûr. Et regardez, il va y avoir un ajustement naturel à mesure que nous nous éloignons des dépenses publiques pour passer aux dépenses privées », a déclaré M. Bessent sur CNBC. « Le marché et l’économie sont devenus accros. Nous sommes devenus accros à ces dépenses publiques, et il va y avoir une période de désintoxication », a-t-il ajouté.

« Un effet paralysant » Sur le terrain, la situation se dégrade. Le cabinet de reclassement Challenger, Gray & Christmas a annoncé, jeudi 6 mars, avoir recensé 63 583 annonces de licenciement en février dans la fonction publique fédérale et chez les sous-traitants du gouvernement. L’incertitude pèse sur ces entreprises, susceptibles de voir leurs contrats annulés.

La société d’analyse Evercore ISI s’inquiète d’« un effet paralysant supplémentaire sur l’embauche ». Les sociétés militaires sont dans le collimateur. Ainsi, la société de conseil Booz Allen Hamilton, qui dépend essentiellement du Pentagone, a vu son cours en Bourse reculer de plus de 40 % depuis l’élection de Donald Trump. Leidos, connu pour ses portiques de sécurité, a vu la valeur de ses actions baisser d’un tiers alors que l’entreprise dépend quasi exclusivement de commandes publiques.

La mission d’Elon Musk suscite une hostilité grandissante au sein du gouvernement Trump. Selon les révélations du New York Times, la réunion de cabinet du jeudi 6 mars, destinée à apaiser les tensions, s’est transformée en clash entre Elon Musk et le secrétaire d’Etat, Mario Rubio, auquel le milliardaire reprochait de n’avoir « viré personne ». M. Rubio a cité les 1 500 départs volontaires de son ministère. Musk, qui lui a répondu avec mépris : « Tu es bon à la télé », sous-entendu qu’il était mauvais ailleurs, forçant Donald Trump à intervenir pour défendre le « super boulot » accompli par son secrétaire d’Etat. Un débat a aussi déchiré les participants sur les contrôleurs aériens. « Que suis-je censé faire ? a demandé le secrétaire aux transports Sean Duffy à Elon Musk. Je dois m’occuper de plusieurs accidents d’avion, et vos hommes veulent que je licencie les contrôleurs aériens. »

Sur son réseau Truth Social, Donald Trump a dû préciser les règles du jeu : « Il est très important de réduire les effectifs à leur niveau normal, mais il est également important de conserver les personnes les plus compétentes et les plus productives. » Sur le terrain, la colère monte. Après une coupe dans les programmes de santé pour les victimes des attentats du 11 septembre 2001, la représentante républicaine de l’Etat de New York Nicole Malliotakis a publié un communiqué furieux : « Nous devons utiliser un scalpel et non une massue, pour éviter des conséquences imprévues et une anxiété inutile. » Les réductions d’emplois fédéraux touchant des anciens combattants sont aussi très contestées.

Mot ironique
Alors que la machine à sabrer l’Etat fédéral suscite la zizanie, le chiffre de l’emploi a été accueilli avec soulagement par Wall Street, qui n’a pas accentué ses pertes vendredi après avoir effacé tous ses gains depuis l’élection de Donald Trump en décembre : le S&P 500 a connu un léger rebond de 0,55 %. Le marché n’a pas encore complètement tranché le débat entre ceux qui escomptent une chute rapide de l’économie – voire l’espèrent, estimant que c’est le seul moyen d’arrêter Donald Trump –, et ceux qui ne prévoient qu’un ralentissement.

« L’économie américaine ralentit clairement, mais ne s’effondre certainement pas », commente Christophe Boucher, directeur des investissements chez ABN Amro Investment Solutions. Jerome Powell, le président de la Reserve fédérale, a, lui, été ravi de ce chiffre médiocre, qui lui permet de rester caché, sans avoir à évoquer une baisse ou une hausse des taux, et sans affronter Donald Trump. « L’économie va bien. Elle n’a pas vraiment besoin que nous fassions quoi que ce soit. Nous pouvons donc attendre », a-t-il déclaré.

Les ingrédients de l’inquiétude sont connus : chaos dans l’administration ; politique illisible concernant les droits de douane annoncés, retirés puis remis ; risques inflationnistes portés par ces taxes aux frontières et les déficits publics ; pénurie de main-d’œuvre bon marché avec la fermeture des passages à la frontière du Rio Grande. C’est en tout cas ce que constate la Fed de Dallas, le 5 mars, qui reflète le sentiment sur le terrain : « Nos interlocuteurs ont noté une nette augmentation de l’incertitude. »

Pour l’instant, les allers et retours de Donald Trump rendent impossible d’investir sereinement aux Etats-Unis. Les fusions et acquisitions (en anglais M & A, acronyme pour mergers and acquisitions) sont retombées au plus bas, au grand désespoir des banques. Mais Scott Bessent a eu ce mot ironique réutilisant le slogan de Donald Trump MAGA, « Make America Great Again » (« rendez à l’Amérique sa grandeur ») : « MAGA ne veut pas dire Make M & A Great Again. »

Cité par le New York Times, Michael Strain, économiste à l’American Enterprise Institute, un organisme conservateur, tente un jugement mesuré : « Ce que le président Trump a proposé ne provoquera pas de récession. Mais cela ralentira la croissance. Cela augmentera le taux de chômage. Cela rendra les entreprises américaines moins compétitives. » Côté grands patrons, c’est encore le silence général, à commencer par ceux de la tech, qui ont tous fait allégeance. Seul dans le camp conservateur, le Wall Street Journal est parti en guerre ouverte. Après avoir qualifié la guerre commerciale de « plus stupide de l’histoire », le quotidien des affaires appelle à attaquer en justice les décrets protectionnistes pris par Donald Trump.