Les efforts incertains des Européens pour relancer les négociations nucléaires en attendant Trump

Les efforts incertains des Européens pour relancer les négociations nucléaires en attendant Trump
السبت 11 يناير, 2025

Des discussions reprennent à Genève lundi 13 janvier, mais le pessimisme prévaut.

Par Philippe Ricard. LE MONDE

L’initiative peut paraître illusoire, à l’heure où l’Iran continue de pousser les feux de son programme nucléaire. Lundi 13 janvier à Genève, de hauts diplomates français, allemand et britannique doivent retrouver leurs homologues iraniens pour tenter de bâtir un ultime chemin diplomatique afin d’empêcher Téhéran de se doter de la bombe. Si aucune percée n’est à prévoir à ce stade, les discussions sont révélatrices du souci des Européens, et des Iraniens, de trouver une voie alternative aux menaces formulées par le gouvernement israélien et par Donald Trump, à une semaine du retour du républicain à la Maison Blanche.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, se sent désormais en position de force face à Téhéran : il menace de bombarder les sites nucléaires iraniens, afin d’empêcher son adversaire régional de se doter de la bombe. De son côté, le président élu américain promet de revenir à sa politique de « pression maximale » contre l’Iran, inaugurée en 2018, lors du retrait, sous son égide, des Etats-Unis de l’accord signé trois ans plus tôt par son prédécesseur, Barack Obama : le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA), qui devait pourtant permettre, sur le papier, d’endiguer les efforts nucléaires militaires iraniens, au moins provisoirement.

Avant même l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, l’idée est, selon différentes sources, d’identifier les paramètres d’un incertain compromis, par le biais d’une « négociation musclée ». Pour les Européens, le simple fait que Téhéran accepte de discuter depuis quelques semaines illustre la forte inquiétude que suscite dans le pays le retour du républicain à la Maison Blanche. Mais pas question, dit-on à Paris, de lever les sanctions, sans que soit par ailleurs réglée la lancinante question des « otages d’Etat », ces ressortissants étrangers détenus dans les prisons iraniennes. Afin d’exiger la « libération immédiate » des trois Français retenus dans des « conditions de détention indignes », l’ambassadeur d’Iran en France a d’ailleurs été convoqué au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères vendredi 10 janvier.

Engagements violés
Les Occidentaux sont tous d’accord pour constater que la crise de prolifération nucléaire qu’ils ont longtemps cherché à éviter est désormais ouverte. Depuis le premier mandat de Donald Trump (2016-2020), les Iraniens ont relancé les travaux temporairement suspendus par le JCPoA, violant très largement leurs engagements initiaux, au point d’être proches de se doter de l’arme ultime.

Téhéran dispose de stocks d’uranium enrichi à 60 % bien supérieurs aux limites imposées, en vain, voici dix ans. Et continue de s’équiper de centrifugeuses susceptibles de décupler encore ses capacités de production, voire d’atteindre le seuil de 90 % nécessaire pour l’arme nucléaire. L’Iran continue par ailleurs de refuser à l’Agence internationale de l’énergie atomique les possibilités d’enquête et de vérification prévues par l’accord initial.

« L’accélération du programme nucléaire nous amène tout près du point de rupture », a estimé Emmanuel Macron, lundi 6 janvier devant les ambassadeurs français réunis à Paris, avant de plaider pour un nouveau cycle, élargi, de négociations : « L’Iran est un risque, si nous le laissons hors du cadre. Et il nous faut, sur la question du nucléaire, sur la question de l’activité balistique, sur les manœuvres de déstabilisation régionale, avoir, en effet, une discussion d’ensemble et bâtir des solutions vérifiables, irréversibles. »

Partenaires régionaux affaiblis
Les avis divergent cependant sur la capacité du régime à renoncer à son programme, au moment où l’équation de sécurité régionale s’est fortement dégradée pour lui. Depuis les attaques du 7 octobre 2023 contre Israël, le Hamas est très affaibli, après plus d’un an de guerre dans la bande de Gaza. Le Hezbollah libanais est décapité. Israël a fait la démonstration de sa supériorité militaire, notamment pour riposter aux frappes venues pour la première fois d’Iran, affaiblissant d’autant les velléités de dissuasion balistique du régime. La chute de son protégé Bachar Al-Assad en Syrie est le dernier revers en date pour Téhéran.

Pour de nombreux experts, l’Iran ne va pas se précipiter pour renoncer à un programme susceptible, en derniers recours, de conditionner sa survie. D’autres considèrent, au contraire, que cette nouvelle donne peut inciter le régime à entrer dans un cycle de négociations, dans l’espoir d’obtenir une levée des sanctions qui étouffent son économie.

Ces dernières semaines, les représentants européens ont testé leurs idées auprès de leurs contacts au sein de la prochaine administration américaine, avant de poursuivre leurs discussions avec les Iraniens. Dans leur esprit, il ne s’agit pas de « ressusciter » le compromis de 2015, devenu caduc en raison des progrès réalisés par l’Iran, mais d’en forger un nouveau, afin de revenir autant que possible sur ces avancées.

Dans l’esprit des négociateurs européens, il s’agit, au passage, de donner une ultime chance à la diplomatie avant que n’expire une bonne fois pour toutes, à l’automne prochain, le JCPoA. Un texte que ni les Européens ni les Iraniens n’ont formellement dénoncé, après la volte-face unilatérale de Donald Trump. Passé le mois d’octobre, il ne leur sera plus possible d’imposer automatiquement dans l’enceinte des Nations unies, comme le prévoit l’accord, de nouvelles sanctions contre le régime. Celles-ci risquent alors d’être bloquées par la Russie, voire par la Chine.

« Nous aurons, dans les prochains mois, à nous poser la question d’utiliser, et nous y sommes prêts, les mécanismes de rétablissement des sanctions d’ici à octobre prochain, mais il nous faut “engager plus large” pour avoir justement un traité plus exigeant », a fait valoir M. Macron, lundi. Une façon de manier la carotte et le bâton afin d’inciter Téhéran à négocier, sous la pression de la nouvelle administration américaine.

Le résultat est d’autant moins garanti que Moscou s’est rapproché de Téhéran au fil de la guerre en Ukraine, pour se fournir en drones, notamment, voire en missiles, comme le soupçonnent les Occidentaux. Pékin, de son côté, est devenu le principal acheteur de pétrole iranien, permettant à Téhéran de contourner les sanctions. Les officiels chinois sont cependant tenus informés de l’initiative européenne, mais se positionneront sans doute, selon un diplomate, en fonction des choix de Trump, quand celui-ci sera bel et bien revenu au pouvoir.