Le milliardaire républicain a promis, pendant sa campagne, d’imposer des droits de douane à la Chine ainsi qu’aux pays vers lesquels le déficit commercial américain s’est déporté ces dernières années.
Par Julien Bouissou. LE MONDE.
Les pays en développement se préparent à une année 2025 difficile, dès l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, le 20 janvier. Le président élu des Etats-Unis a déjà usé de son arme favorite, le relèvement des droits de douane, pour imposer ses exigences aux neuf pays des BRICS, dont font partie l’Inde, la Chine, la Russie ou encore l’Afrique du Sud. Alors que ces derniers avaient plaidé, fin octobre, lors d’un sommet à Kazan (Russie), pour un développement des échanges en monnaie locale, il leur a demandé, début décembre, « de ne pas soutenir une autre monnaie pour remplacer le puissant dollar américain, faute de quoi, ils seront soumis à des droits de douane de 100 % et devront s’attendre à dire adieu à leurs ventes dans la merveilleuse économie américaine ».
Les émergents sont devenus les nouvelles cibles de Donald Trump, depuis que le déficit commercial américain s’est déporté de la Chine vers eux. Donald Trump a promis pendant sa campagne d’imposer non seulement des droits de douane de 60 % sur les importations en provenance de Chine, affirmant plus tard qu’ils seraient relevés de 10 % dès le premier jour de son mandat, mais aussi de 10 % sur les marchandises venant d’ailleurs.
Le Vietnam dans le viseur
« Donald Trump a tiré les leçons du passé et a compris qu’en ciblant la Chine, il fallait éviter les effets de contournement », explique Julien Marcilly, chef économiste du cabinet de conseil Global Sovereign Advisory. Jamieson Greer, tout juste nommé par Donald Trump pour être le représentant américain au commerce, avait en effet plaidé en mai pour un durcissement des règles commerciales à l’égard des « pays du contournement », ceux dont les entreprises chinoises se servent pour contourner les barrières douanières américaines.
Le Vietnam, en particulier, a du souci à se faire. En quelques années, il est devenu le quatrième exportateur vers les Etats-Unis, derrière l’Union européenne, la Chine et le Mexique, ce qui lui avait valu d’être qualifié de « pire abuseur de tout le monde » par Donald Trump à la toute fin de son mandat, en 2019. De fait, le décollage des investissements étrangers au Vietnam a coïncidé avec le début de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, en 2016. Il a attiré 290 milliards de dollars (280 milliards d’euros) d’investissements étrangers ces sept dernières années, l’équivalent de ce qu’il avait reçu au cours des deux décennies précédentes.
Inquiet de devenir à son tour la victime d’une guerre tarifaire américaine, le vice-ministre des affaires étrangères vietnamien, Do Hung Viet, a pris les devants. Il a dévoilé, fin novembre, son intention de « promouvoir un commerce durable et harmonieux avec les Etats-Unis », tout en précisant que son pays augmenterait ses achats de produits américains, comme les puces électroniques ou les avions.
Les entreprises chinoises se sont aussi installées au Mexique, qui partage avec les Etats-Unis une frontière commune et un espace de libre-échange. Leurs investissements y ont presque décuplé entre 2017 et 2022, passant de 31,6 à 282 millions de dollars. Le géant de l’électronique et de l’électroménager Hisense a annoncé, en 2021, un financement de 260 millions de dollars dans une usine à Monterrey, dans le nord-est du pays, et le numéro deux mondial des véhicules électriques, BYD, qui lorgne aussi le marché nord-américain, souhaite s’y implanter. Donald Trump a menacé d’imposer des droits de douane de 25 % au Mexique et au Canada.
« On passe d’un multilatéralisme régi par des règles à un multilatéralisme transactionnel, où chaque pays émergent va devoir négocier de son côté avec les Etats-Unis », observe Hakim Ben Hammouda, ancien ministre de l’économie et des finances tunisien et directeur du cercle de réflexion Global Institute 4 Transitions. Comme l’a laissé entendre le Vietnam, certains pays s’engageront à acheter des produits américains, d’autres mettront dans la balance leurs ressources en minerais stratégiques. Pour sécuriser leur approvisionnement dans l’industrie liée à la transition énergétique, les Etats-Unis convoitent en effet les ressources des pays du Sud, à l’instar de la République démocratique du Congo, de la Guinée, du Chili ou encore des Philippines.
Un manque à gagner
La nouvelle guerre tarifaire de Donald Trump, si elle ralentit la croissance chinoise, va aussi toucher par ricochet les émergents. Le cabinet d’études Global Sovereign Advisory estime qu’avec une hausse des droits de douane américains de 60 %, le ralentissement de l’activité chinoise entraînerait une diminution de 10 % de ses importations de biens intermédiaires ainsi qu’une chute de sa demande en métaux précieux et en pétrole raffiné.
La Mongolie serait le pays le plus affecté avec une baisse de 8,7 % de ses exportations, ce qui se traduirait par une diminution de 6,6 % de son produit intérieur brut. L’impact serait également important pour le Vietnam, Taïwan, la Malaisie, le Laos ou encore l’Angola et le Congo. Selon les prévisions de la Banque mondiale d’octobre 2024, les prix des matières premières devraient baisser de 5 % en 2025 puis de 2 % en 2026, leur plus bas niveau depuis 2020. Un manque à gagner important pour de nombreux pays du Sud qui dépendent des exportations de matières premières pour rembourser leurs dettes. Une cinquantaine de pays en développement y consacrent plus de 10 % de leurs revenus.
Pour ceux qui ont emprunté en dollars, l’appréciation de la devise américaine est une mauvaise nouvelle, car il leur faudra rembourser, en monnaie locale, bien davantage. L’indice Bloomberg Dollar Spot, qui mesure l’évolution de son cours, s’est envolé de 7 % en 2024, la meilleure performance depuis 2015. Et elle devrait connaître de nouveaux sommets en 2025, avec la baisse attendue des taux d’intérêt directeurs américains, et l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Seuls les pays exportateurs de produits manufacturiers, principalement en Asie du Sud-Est, devraient tirer profit de cette appréciation du dollar, car leurs produits, achetés en devise américaine, coûteront moins cher.