Par Georges Malbrunot, Le Figaro
DÉCRYPTAGE - Après le bombardement d’un consulat à Damas, le 1er avril, Téhéran avait besoin de sauver la face. Mais le régime est-il prêt à aller plus loin ?
Rompant avec sa politique traditionnelle de réponse asymétrique face à Israël, la République islamique d’Iran a, pour la première fois en quarante-cinq ans d’existence, attaqué directement l’État hébreu, la nuit dernière. Mais comme s’en est félicité, dimanche matin, un porte-parole de l’armée israélienne « 99% des drones et des missiles » tirés par Téhéran ont été interceptés par le système de défense israélien. Très peu de dégâts ont été causés. Aucun drone ne serait entré en Israël, seuls quelques missiles balistiques sont parvenus à toucher une base militaire dans le Sud. Le système de protection israélien, « Dôme de fer », a montré son efficacité.
Si l’Iran a rompu avec sa posture habituelle, c’est que Téhéran a éprouvé le besoin de laver l’affront, causé par la mort de sept de ses gardiens de la révolution dans un bombardement israélien le 1er avril contre son consulat à Damas, la capitale de son principal allié dans la région. Ce jour-là, l’État hébreu avait franchi une ligne rouge, s’en prenant pour la première fois à un bâtiment diplomatique iranien. Le guide suprême et numéro un du régime, l’ayatollah Ali Khamenei, avait promis de « punir » Israël. Contrairement au passé, la rhétorique belliqueuse iranienne s’est traduite par un passage à l’acte.
Jusqu’alors, c’est la guerre de l’ombre qui l’opposait à son ennemi juré, faite notamment d’assassinats de scientifiques iraniens par le Mossad, auxquels la République islamique répondait en attaquant ou en cherchant à attaquer des intérêts israéliens à l’étranger, mais aussi en laissant ses relais régionaux faire la guerre à sa place contre « l’entité sioniste », comme on l’appelle en Iran.
Cette guerre de l’ombre n’était plus suffisante, aux yeux de Téhéran. Après avoir attaqué pendant des années des convois d’armes iraniennes en Syrie, le long bras armé israélien a durci son action ces derniers mois en liquidant plusieurs hauts cadres des gardiens de la révolution, dont le général Mohammad Reza Zahedi, en charge des actions iraniennes au Liban, en Palestine et en Syrie, ainsi que son adjoint, le 1er avril, à Damas. La coupe était pleine pour les gardiens de la révolution, l’unité en charge de la protection du régime, impatients d’en découdre.
Attaque a minima
Leur « patience stratégique », concept cher aux Iraniens, avait des limites. D’autant que l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre en Israël les a mis en porte-à-faux. L’Iran n’avait pas été prévenu par son allié. Comment rester inerte quand on est à la tête d’un « axe » dit de « la résistance » à Israël et aux ÉtatsUnis - que l’on a soi-même mis en place - alors qu’un de ses alliés – le Hamas – et ses autres membres – le Hezbollah libanais et les rebelles Houthistes yéménites en particulier – livrent, depuis des mois, bataille à l’État hébreu ?
Mais le pouvoir iranien – attaché d’abord à sa survie et conscient de son infériorité militaire – ne veut pas en rajouter. Sitôt les salves de drones lancées, Téhéran a déclaré considérer l’affaire « close ».
« L’opération a été minutieusement calibrée et chorégraphiée », confie une source militaire française. Il n’y a pas eu de collaboration massive des alliés régionaux de l’Iran - deux roquettes seulement tirées par le Hezbollah contre le plateau du Golan et d’autre part les rebelles houthistes yéménites. Son attaque, suivie en direct sur les écrans de télévision, peut être considérée comme une attaque a minima. Ses cibles étaient militaires et non civiles, et il n’est pas interdit de penser que Téhéran - comme il l’avait fait en 2020 déjà, après l’assassinat d’un de ses chefs militaires par les États-Unis - ait averti au préalable Washington. Mais la République islamique a également prévenu qu’en cas de riposte israélienne la réponse iranienne serait cette fois « plus massive ». La crainte d’une avancée vers le nucléaire est redoutée.
« Si l’Iran a pris le risque d’attaquer Israël, c’est qu’au-delà de cette opération inédite le message passé est qu’une riposte israélienne entraînerait un passage vers la militarisation de son programme nucléaire, ce que les Occidentaux ne veulent justement pas », anticipe un expert familier de l’Iran dans le Golfe, qui craint que Benyamin Netanyahou persiste dans son désir de riposte.
Même s’ils sont calculés, l’Iran prend des risques. Téhéran a perdu le bénéfice de l’accusation d’escalade. C’est Benyamin Netanyahou qui légitimement peut accuser l’Iran de vouloir une escalade, et être tenté précisément par une réponse « lourde ». De leur côté, les dirigeants des pays arabes, sans dénoncer nommément l’Iran, désapprouvent, alors que leurs opinions pourraient être sur un registre différent. L’exemple de la Jordanie, voisine d’Israël, est particulièrement significatif. Lié en matière de sécurité aux États-Unis et, dans une moindre mesure à Israël, Amman a laissé de nombreux drones iraniens être interceptés au-dessus de son territoire. Quitte à mécontenter une fraction importante de sa population, acquise à la cause palestinienne. L’Iran a d’ailleurs averti la Jordanie, comme d’autres pays arabes, que s’ils ouvraient leur espace aérien aux avions de chasse israéliens dans une riposte à venir contre son territoire, lesdits pays arabes seraient, à leur tour, une cible pour Téhéran.
Mais, « nous n’en sommes pas encore là, relève Frédéric Charillon, professeur de relations internationales, car la pression est repassée sur Benyamin Netanyahou. Par son attaque, l’Iran vise en effet à souligner la dépendance d’Israël à ses alliés américains et européens. C’est un message qui est bien reçu dans une partie du monde, notamment au Sud », alors que le drame de Gaza se prolonge. Selon lui, « l’Iran a opposé la maîtrise de sa réponse aux risques que fait courir Benyamin Netanyahou aux Israéliens, avec le 7 octobre, l’attaque contre le consulat iranien en Syrie et maintenant avec cette riposte inédite de Téhéran contre l’État hébreu ».
Quelle suite attendre ? La réponse se trouve en grande partie aux États-Unis. Selon des fuites de presse, les responsables américains redoutent un nouvel aventurisme militaire israélien et « une réponse rapide » de Tel-Aviv contre l’Iran, qui entraînerait son allié américain dans une guerre régionale ou une avancée iranienne vers la bombe, dont Joe Biden ne veut surtout pas à six mois de l’élection présidentielle. D’où l’empressement du président américain a convoqué une réunion du G7 dimanche après-midi pour entériner une « réponse diplomatique » à la plus grave crise irano-israélienne de ces dernières décennies. Benyamin Netanyahou l’entendra-t-il ?