Les progrès du programme balistique iranien inquiètent les Occidentaux

Les progrès du programme balistique iranien inquiètent les Occidentaux
السبت 10 مايو, 2025

Alors qu’un nouveau round de négociations sur le nucléaire iranien devait avoir lieu à Oman, dimanche, Téhéran poursuit le renforcement de son arsenal et possède aujourd’hui plusieurs types de missiles capables d’atteindre l’est de l’Europe.

Par Ghazal Golshiri et Elise Vincent. Le Monde.

Alors qu’un nouveau round de négociations sur le programme nucléaire de Téhéran devait avoir lieu dimanche 11 mai, à Oman, entre l’Iran et les Etats-Unis, l’encadrement de l’enrichissement de l’uranium iranien n’est pas le seul enjeu des discussions, aux yeux des Occidentaux. Un autre dossier compte beaucoup pour Washington, Paris et d’autres capitales du Vieux Continent : le programme balistique iranien, jugé de plus en plus menaçant, avec des missiles désormais capables d’atteindre une partie de l’Europe.
L’accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA), qui limitait les activités atomiques de Téhéran, est devenu caduc depuis le retrait américain, en 2018, sous la première présidence de Donald Trump. En réponse, l’Iran s’est progressivement affranchi de nombreux de ses engagements. Aujourd’hui, les Occidentaux ont pu mesurer les progrès de son programme balistique lors de l’attaque contre Israël, en octobre 2024.

Même si la plupart des missiles ont été interceptés par la défense sol-air israélienne, Téhéran dispose d’un arsenal qui n’a jamais été aussi poussé. Selon les experts, trois ou quatre types de missiles de portée intermédiaire (IRBM) développés par l’Iran sont maintenant en mesure d’atteindre l’est de l’Europe, avec des portées annoncées de 1 700 à 3 000 kilomètres : l’Emad, le Ghadr-1, le Khorramshahr et le Sejjil. En fonction de la charge, certains spécialistes considèrent même que l’Iran est, depuis plusieurs années, en mesure d’atteindre un arc allant du nord des Alpes italiennes, en passant par l’est de la France, le Danemark, la Suède et la Finlande.

Fin mars, le commandement stratégique des Etats-Unis (Stratcom), chargé de la dissuasion nucléaire, est allé plus loin. Dans sa déclaration de « posture pour 2025 », ce document qui cadre chaque année ses axes de travail, le général Anthony Cotton, chef de Stratcom, a fait valoir que l’Iran pourrait bientôt se doter d’un missile balistique intercontinental (ICBM), un vecteur d’une portée supérieure à 5 500 km. De quoi mettre à sa portée la base américaine de Diego Garcia, située dans l’archipel des Chagos, au milieu de l’océan Indien, cruciale pour ses opérations en Indo-Pacifique.

Missiles hypersoniques Les autorités iraniennes assurent depuis plusieurs années que la portée de leurs missiles – dont les stocks sont évalués à plusieurs milliers – ne dépasse pas 2 000 kilomètres. En juin 2021, le guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, qui commande l’ensemble des forces armées du pays, avait déclaré avoir donné l’ordre d’interdire la fabrication de missiles ayant une portée supérieure à 2 000 kilomètres.

Même si l’Europe n’est pas la cible numéro un de l’Iran, qui demeure concentré sur Israël et la sécurité de son territoire national, la montée en gamme de son arsenal est jugée préoccupante parce qu’elle se combine à d’autres développements technologiques, comme des missiles hypersoniques, c’est-à-dire ma nœuvrant, donc plus difficiles à intercepter. Un nouveau modèle, baptisé Ghassem Basir, a encore été dévoilé le 4 mai. Un missile comme le Khorramshahr est aussi, « depuis le départ (…) capable de transporter une ogive nucléaire », détaillait Farzin Nadimi, spécialiste de la sécurité du golfe Persique et chercheur au Washington Institute, dans une note publiée en 2023.

L’Iran met régulièrement en scène son arsenal, organisé autour d’un réseau de tunnels répartis dans diverses régions montagneuses du pays. Le régime appelle ces sites « villes de missiles », destinées à la fois au stockage et au lancement de missiles balistiques, de missiles de croisière, ainsi que d’autres équipements comme des drones ou des systèmes de défense aérienne. La « dernière ville des missiles » a été dévoilée le 25 mars, le même jour que la publication de la posture 2025 du Stratcom américain.

« Les Iraniens arrivent à la table des négociations en position de force », estime Benjamin Blandin, chercheur associé au Korea Institute of Maritime Strategy et spécialiste des enjeux de guerre asymétrique dans la zone indo-pacifique. « L’arsenal iranien n’a jamais été aussi important et diversifié et les frappes de 2020 contre plusieurs bases américaines en Irak, et plus récemment envers Israël, démontrent leur portée et leur précision. Téhéran est d’autant plus en confiance que même les plus grosses bombes américaines, les “MOAB”, ne sont pas en mesure de détruire son réseau de bases souterraines », ajoute M. Blandin.

Les missiles iraniens ne seraient toutefois pas en mesure d’assurer une frappe de précision jusqu’en Europe ou sur Diego Garcia, relativise le chercheur. « Les Iraniens n’ont jamais fait de tests à de telles distances et ils ne disposent pas, à ce stade, de capacités de guidage continu et terminal de leurs missiles », reprend-il. Cette analyse est partagée par certaines chancelleries européennes.

Alors que les discussions sur le nucléaire reprennent, les Iraniens savent que leur arsenal est une de leur meilleure assurance-vie et ils en font une « ligne rouge ». A ce titre, leur programme balistique ne fait pas partie, pour l’heure, des sujets amenés à être négociés officiellement. Les Européens signataires du JCPoA (Allemagne, Royaume-Uni, France) estiment cependant une négociation possible d’ici à l’expiration définitive du « deal », en octobre, même s’ils demeurent, pour l’instant, à l’écart des discussions entre Téhéran et Washington. Le risque de déclenchement du « snapback », mécanisme de rétablissement automatique des sanctions en cas d’échec des négociations, pourrait pousser la République islamique à faire des concessions. Celui-ci pourrait, en effet, permettre d’entraver le programme balistique de l’Iran.