Opinion. Le fondateur de la dynastie des Assad nourrissait trois objectifs. La chute de son fils Bachar illustre leur échec cuisant, juge notre chroniqueur Frédéric Encel.
Par Frédéric Encel. L'EXPRESS.
Bachar el-Assad est à la Une des manchettes, son père Hafez beaucoup moins. Pourtant, ce sont bien les trois échecs cuisants du fondateur dynastique que traduisent et incarneront la chute piteuse du calamiteux Bachar.
La nation arabe
Hafez el-Assad, "le lion", s’empare du pouvoir en Syrie en 1970. Il prétend d’abord incarner et renforcer al-watan, la patrie, et de faire de la Syrie l’étendard et le leader d’un monde arabe uni. En Syrie dans les années 1990, apparaissaient partout le visage du dictateur en plein culte de la personnalité et une carte figurant tout le monde arabe sous l’ombre d’un gigantesque drapeau syrien planté à Damas ! A la tête du parti nationaliste panarabe laïque Baas, fondé en 1945 au Liban, Assad rejette toute concurrence, notamment celle de l’autre démiurge régional, Saddam Hussein ; il ira ainsi jusqu’à rejoindre la coalition américano-onusienne de 1991 contre l’Irak… Quand Bachar tombe, le Baas n’est plus qu’une coquille vide et le nationalisme arabe un spectre qu’aucune force ne vient soutenir.
Et pour cause : si c’est au nom d’al-watan que Hafez prétend régner, c’est pour masquer son favoritisme pour sa propre communauté confessionnelle alaouite (environ 10 % des Syriens), un collectif issu du chiisme et donc méprisé par la majorité sunnite. Non seulement il place à tous les postes clés des Alaouites, mais ce clanisme effréné se double d’un népotisme absolu illustré par sa succession dynastique (en régime républicain !) en faveur de son puîné Bachar, rappelé d’urgence de Londres en 1994 à la mort de son frère aîné Bassel. Seuls des naïfs et des militants d’extrême droite croient encore que les Assad "protégeaient les minorités" ; ils n’auront jamais promu que la leur…
La Grande Syrie
La notion de Bilad el-Cham, le pays de Syrie, au sens très large et fluctuant du terme, survantée par les Assad, englobe à la fois le sandjak d’Alexandrette (cédé par la France mandataire à la Turquie en 1939) et le bloc Israël/Palestine, mais aussi et surtout le Liban indépendant depuis 1943 et reconnu comme tel par l’ONU. Dès 1976, Assad envahit le pays du Cèdre en guerre civile pour y "sauver" les chrétiens. Son régime y supprimera évidemment l’ambassade, y pillera les ressources et y assassinera nombre d’opposants, d’élus, d’intellectuels et de soldats français et américains de maintien de la paix (avec le Hezbollah complice), pour n’en repartir qu’en 2005 sous la pression populaire. En mars 2000, Assad refuse en outre à Clinton un plan de paix israélien lui offrant 98,5 % du Golan perdu en 1967, accord inespéré au regard des rapports de force ! En 2024, ne reste de la "Grande Syrie" que l’axe des quatre villes et quelques arpents côtiers et désertiques, sans le Liban, le Golan, le bloc Israël/Palestine, l’outre-Euphrate (kurde), la Rojava (turque) et même le Djebel druze…
La Palestine
Assad prétend faire de la Palestine sa priorité, comme tant d’autres despotes arabes avant et après lui, par la destruction de "l’entité sioniste". Or, sauf en 1973 (pour récupérer une zone syrienne sans rapport avec les territoires palestiniens !), il n’attaque jamais frontalement Israël, et son fils moins encore. En revanche, moins dangereux, père et fils auront successivement opprimé la minuscule communauté juive de Syrie, martyrisé les prisonniers israéliens de cette guerre du Kippour, protégé l’assassin nazi Aloïs Brunner, et diffusé à fond antisémitisme et négationnisme.
Quant aux Palestiniens, les Syriens et leurs alliés du Hezbollah en tuèrent beaucoup, au Liban donc mais aussi en Syrie même ; en 2012, les dizaines de milliers de Palestiniens de Yarmouk, à Damas, sont ainsi écrasés sous les bombes. Hafez n’aura soutenu que la Saïka, un groupe armé palestinien mineur et complètement inféodé. Qui s’en serait étonné, puisque dès 1993 il avait condamné et combattu le processus de paix israélo-palestinien d’Oslo et sa perspective des deux Etats, en soutenant le Hamas islamiste contre l’Autorité palestinienne… nationaliste modérée ?
Finalement, si Hafez avait été au moins un soldat et un militant ayant risqué la mort, son rejeton n’aura vécu que de luxe et de lâcheté. Plus violent encore que son père, Bachar portait le nom d’un lion ; il aura dévoré et fui comme un rat.
PS : Pour bien comprendre la dictature des Assad, lire absolument Une Peine à vivre, de l’écrivain algérien Rachid Mimouni, et L’Arabe du futur, de Riad Sattouf.
Frédéric Encel, chroniqueur à L'Express, auteur d’une thèse de doctorat sur Jérusalem, publiée sous le titre "Géopolitique de Jérusalem" (Flammarion, 2009).