Par Georges Malbrunot, Le Figaro
ANALYSE - Les États-Unis multiplient les appels téléphoniques aux dirigeants ayant de l’influence sur l’Iran, afin de prévenir une frappe qui menacerait de plonger le Moyen-Orient dans une très dangereuse escalade des violences.
La diplomatie empêchera-t-elle une frappe de l’Iran contre Israël? À Téhéran, le guide suprême et numéro un du régime, l’ayatollah Ali Khamenei, a affirmé mercredi qu’Israël «devait être puni», après le bombardement meurtrier inédit, attribué à l’État hébreu, le 1er avril, contre le consulat iranien de Damas en Syrie. Depuis, les États-Unis multiplient les appels téléphoniques aux dirigeants ayant de l’influence sur l’Iran afin de prévenir une frappe qui menace de plonger le Moyen-Orient dans une très dangereuse escalade des violences. Une fois de plus, c’est du sultanat d’Oman, médiateur habituel entre les deux ennemis américain et iranien, que sont venues des nouvelles relativement rassurantes.
Selon plusieurs sources iraniennes citées par l’agence Reuters, le chef de la diplomatie de Téhéran, Hossein Amir Abdollahian, a fait passer le message à Washington, dimanche, lors de sa visite à Mascate, que la « réponse » de son pays n’aurait pas pour conséquence une « escalade » des tensions et que Téhéran « ne se hâterait pas » de riposter à l’attaque israélienne à Damas, qui tua sept gardiens de la révolution, dont le plus haut gradé en charge des opérations en Syrie, au Liban et en Palestine, le général Mohammad Reza Zahedi.
Une source américaine du renseignement, citée par Reuters, a affirmé, de son côté, que la réponse iranienne serait « contrôlée », « non escalatoire », et que Téhéran ferait « probablement » appel à « ses relais régionaux pour lancer un certain nombre d’attaques contre Israël ». Parmi ses relais figurent le Hezbollah libanais, les milices chiites irakiennes et les rebelles yéménites houthistes.
Les scénarios d’une riposte iranienne sont au nombre de trois. Le premier et le plus redouté est une frappe iranienne, inédite, lancée depuis son territoire, visant Israël. « Israël répondra et attaquera l’Iran », a prévenu Israel Katz, son chef de la diplomatie. On serait alors au bord de l’embrasement régional tant redouté depuis l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre.
Cette option maximaliste marquerait une rupture de la politique iranienne traditionnelle. En effet, dans le passé, déjà confronté aux assassinats de très hauts cadres de son appareil militaire, la République islamique n’a jamais répondu directement à Israël ou aux États-Unis. Ce fut le cas après la liquidation en 2008 à Damas d’Imad Moughnié, figure du Hezbollah et de l’Iran, dans une opération conjointe israélo-américaine. Les représailles intervinrent des années plus tard, lorsque l’Iran et ses relais cherchèrent à s’en prendre à des intérêts israéliens en Bulgarie. En 2020, ensuite, lorsque les États-Unis éliminèrent dans une attaque aux drones à Bagdad le tout-puissant général Qassem Soleimani, l’Iran se contenta de lancer quelques roquettes sur la base militaire irakienne d’Ein el-Assad, au nord de Bagdad, où se trouvaient des militaires américains… après avoir prévenu Washington via la présidence de la République irakienne. La rhétorique belliqueuse iranienne ne fut pas suivie d’effets.
« Je ne vois pas l’Iran attaquer Israël, confie au Figaro un expert de la République islamique dans le Golfe. Le régime, qui sort d’une contestation populaire, est confronté à une grave crise économique, il est préoccupé par une réélection de Donald Trump aux États-Unis et il sait que son attaque ne dissuaderait pas Israël de riposter très durement, or c’est ce que l’Iran veut éviter depuis le 7 octobre. »
Deuxième scénario, et le plus probable : l’Iran, pour sauver la face et ne pas tomber dans un « piège » tendu par Israël, riposte en utilisant ses relais au Moyen-Orient. C’est la réponse asymétrique classique de Téhéran, qui lui permet de « nier » sa responsabilité opérationnelle tout en faisant venger par d’autres le « crime » de Damas. Une cible souvent citée par les experts serait le plateau du Golan syrien, occupé par Israël depuis 1967, et d’où sont partis les avions de chasse israéliens pour bombarder le consulat iranien dans la capitale syrienne.
Quelles factions pro-Iran en seraient à l’origine ? Le Hezbollah, dont le chef, Hassan Nasrallah, a « juré » de riposter à la mort du général Zahedi, le seul non-Libanais membre des instances dirigeantes de la milice chiite libanaise, ou alors des milices chiites irakiennes, qui n’ont pas attaqué les positions américaines en Irak depuis février. Téhéran et ses relais frapperaient ainsi Israël tout en visant un territoire occupé par l’État hébreu, une façon de limiter les ripostes israéliennes. D’autres cibles pourraient atteindre des installations sensibles en Israël qui seraient bombardées par le Hezbollah, à partir du Liban.
Troisième scénario : rien dans l’immédiat, mais l’Iran et/ou ses « proxys » s’en prennent dans les mois ou années à venir aux intérêts israéliens à l’étranger, en Afrique, par exemple, où les ennemis jurés s’observent en chiens de faïence. C’est la poursuite de la guerre de l’ombre à laquelle Tel-Aviv et Téhéran se livrent depuis plus de quinze ans, Israël cherchant à « neutraliser » la menace nucléaire iranienne.
« L’Iran ne cherche pas à élargir le champ de la guerre », a affirmé sur le réseau X son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, qui aurait reçu des États-Unis son visa pour se rendre prochainement à New York assister au débat organisé par les Nations unies sur une éventuelle reconnaissance internationale de la Palestine.
Depuis le 7 octobre, l’Iran, qui n’a pas été averti de l’attaque de son allié, le Hamas, en Israël, cherche à ne pas entrer dans une « guerre totale » face à l’État hébreu. En janvier, des pourparlers entre responsables américains et iraniens se sont tenus à Mascate, à Oman, afin de « calmer le jeu », en pleine guerre de Gaza.
Par « solidarité » avec son allié palestinien qu’il aide financièrement et logistiquement depuis des années, Téhéran laisse ses relais frapper Israël ou des intérêts américains et occidentaux en mer Rouge, mais les « proxys » iraniens répètent que leurs attaques cesseraient en cas de trêve conclue entre le Hamas et l’État hébreu.
Parvenue au seuil de la bombe, la République islamique, à la légitimité contestée par sa population, n’a aucun intérêt à ce qu’Israël frappe en riposte ses installations nucléaires. D’autre part, si une attaque israélienne sur le territoire iranien pourrait, au nom d’un nationalisme de ressentiment, ressouder certains Iraniens derrière le régime, beaucoup d’autres, en revanche, se réjouiraient de ce scénario de tous les dangers.