Se pourrait-il, se demande Dominique Moïsi, que « l'âge d'or » promis par Donald Trump à ses concitoyens, se révèle plutôt être « l'âge de bronze » de l'Occident démocratique. Le 20 janvier 2025 pourrait ainsi avoir marqué l'histoire au même titre que le 11 septembre 2001 ou le 9 novembre 1989.
Par Dominique Moïsi (géopolitologue, conseiller spécial de l’Institut Montaigne.) LES ECHOS.
Le 20 janvier 2025 restera-t-il dans les livres d'histoire comme une date clé, au même titre que le 9 novembre 1989 ou le 11 septembre 2001? Une entrée dans une réalité nouvelle qui nous force à changer de grille de lecture pour simplement comprendre le monde qui vient? La comparaison entre la chute du Mur de Berlin, celle des Tours de Manhattan et l'entrée en fonction de Donald Trump 2 peut sembler osée. Et pourtant? Ne s'agit-il pas, là encore, d'un tournant historique?
Du Chili de Salvador Allende, à l'Irak de Saddam Hussein, l'Amérique a fait la preuve hier qu'elle n'hésitait pas à encourager, sinon à imposer, le changement de régime chez les autres. Mais cette fois, c'est à elle-même que l'Amérique applique la formule du « Regime Change ». Et ce, avec des conséquences pour elle, et le monde, qui peuvent être proprement révolu tionnaires.
Au moment où les braises des incendies de Los Angeles ne sont pas encore pleinement maîtrisées, seraient-ce « Les Lumières de la Raison » qui semblent sur le point de s'éteindre aux Etats-Unis?
Cette entrée brutale de l'Amérique dans un nouveau monde n'est pas sans évoquer des anciens mondes. Sur le plan économique, comment ne pas établir une comparaison entre les géants de la tech que sont Musk, Bezos et Zuckerberg, et les « Robber Barons » de la fin du XIX et des débuts du XXe siècle, qu'étaient Carnegie, Vanderbilt et Rockefeller? Avec ce paradoxe: l'homme qui attire aujourd'hui la majorité des votes populaires, est aussi celui qui va permettre aux plus riches, de le devenir plus encore.
Une contre-révolution
Sur le plan géopolitique, Donald Trump 2, dans sa préférence affichée pour la clarté des rapports de force, et son peu de respect pour les frontières, (sauf celles des Etats-Unis), semble redécouvrir la politique des zones d'influences, si caгасtéristique de la diplomatie européenne de la fin du XIXe siècle.
Henry Kissinger souhaitait introduire en Amérique la sophistication de la diplomatie de l'Ancien Monde. C'est Donald Trump, qui, sans en être conscient sans doute, redécouvre les vieilles recettes de la loi de la force, et, qui sait peut-être aussi demain, celles de la diplomatie dite de la canonnière. Dans ce retour au passé, particulièrement anachronique, (au moment où la terre physique s'emballe), il semble même imaginer que l'on peut dénucléariser le monde comme il vient de le suggérer.
En déclarant ouvertement ses ambitions sur le Canal de Panama, le Groenland, et même de plus en plus ouvertement, le Canada, l'Amérique de Donald Trump 2 n'encourage-t-elle pas les ambitions expansionnistes de la Russie en Europe, sinon celles de la Chine à Taïwan? Chacun considérant qu'il ne fait que revendiquer ce qui lui est dû. « Vae victis (malheur aux vaincus) disaient les Romains. Dans le monde de Trump, il conviendrait de dire malheur aux plus faibles ». Avec cette sourde et légitime interrogation. Et si l'Europe se trouvait dans cette catégorie, marginalisée et de moins en moins considérée comme un acteur qui compte, au moment même où Washington s'inspire le plus, de son histoire diplomatique passée, au risque d'en reproduire les désastreuses erreurs qui conduisirent à son inexorable déclin? Se pourrait-il que l'âge d'or de l'Amérique, promis par Donald Trump à ses concitoyens, se révèle plutôt être « l'âge de bronze » de l'Occident démocratique?
Enfin sur le plan sociétal, ce à quoi nous assistons est, ni plus ni moins, qu'une contre révolution. Elle n'est pas aristocratique comme ce fut le cas en France après la période de la Révolution et de l'Empire. Cette contre révolution populaire s'appuyant sur le soi-disant bon sens, face à toutes formes de «dégénérescence» les transgenres en particulier, évoque davantage l'Allemagne des années 1930, que la France des années 1820.
Ce que nous vivons en ce moment aux Etats-Unis me fait penser à une plaisanterie chinoise très populaire autour des années 2009. Dans l'histoire récente de la Chine, il y a trois dates clés: 1949, 1979, 2009. En 1949, le Communisme sauva la Chine. En 1979, le capitalisme sauva la Chine. En 2009 la Chine sauva le capitalisme. Se peut-il, sur le même modèle, que l'on dise un jour de manière infiniment plus tragique: En 1941 l'Amérique sauva la démocratie. En 1989 elle contribua à l'élargir. En 2025, elle la remet en cause. »