Si d’aventure les négociations entre l’Iran et l’Occident permettaient d’obtenir un nouvel accord politique contraignant, nul doute qu’Israël y répondrait par un regain de bellicisme.
Ardavan Amir-Aslani - L'Atlantico
La veille de l’arrivée d’Ebrahim Raïssi à l’Assemblée générale de l’ONU, les Etats-Unis et l’Iran ont réalisé l’échange de prisonniers attendu depuis plusieurs semaines. Même si le discours critique du président iranien à l’égard du « deux poids, deux mesures » des Occidentaux et son rappel du désengagement américain en 2018 n’ont pas contribué à détendre l’atmosphère, l’évènement peut être malgré tout considéré comme le signe d’une reprise diplomatique entre les deux pays. Car Ebrahim Raïssi a également rappelé formellement la volonté de l’Iran de poursuivre les négociations sur la question nucléaire. Il était en effet attendu qu’en marge des réunions onusiennes, les diplomates iraniens rencontrent à nouveau leurs homologues européens, et qu’un sommet des chefs de la diplomatie iranienne, irakienne et de six Etats membres du Conseil de coopération du Golfe soit également organisé à New York à la demande de l’administration Biden. Mardi, le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères a officiellement confirmé que Téhéran acceptait ce principe. C’est donc là une étape majeure qui vient d’être franchie dans la reprise de la diplomatie nucléaire et la désescalade des tensions au Moyen-Orient.
Néanmoins, cette perspective survient dans un contexte qui demeure fragile. En effet, si ces annonces constituent de très bonnes nouvelles pour la diplomatie régionale, elles le sont beaucoup moins pour Israël. Farouche contempteur de l’accord sur le nucléaire iranien depuis 2015, l’État hébreu voit d’un très mauvais œil le moindre effort de normalisation entre les Etats-Unis, son principal allié, et l’Iran, son principal rival. Le coup d’éclat de Gilad Erdan, l’ambassadeur israélien à l’ONU, lors du discours du président iranien à la tribune de l’Assemblée mardi, l’a particulièrement bien illustré.
L’exacerbation des tensions entre Téhéran et Tel-Aviv suit logiquement de près la concrétisation du rapprochement diplomatique entre l’Iran et l’Occident. Récemment, les deux pays se sont ainsi mutuellement accusés de complots et d’attaques diverses. Les autorités iraniennes soupçonnent ainsi Israël d’attiser les troubles sociaux en Iran en travaillant avec des médias iraniens en exil, tandis que le chef du Mossad a promis une riposte contre des officiels iraniens suite à la rumeur d’une attaque contre des pèlerins juifs en Ukraine. Les médias conservateurs iraniens se sont en effet empressés de fustiger la visite du chef des services de renseignements israéliens à Londres, où il aurait échangé avec des journalistes iraniens des médias BBC Persian, Iran international et le service en farsi de la radio Voice of America. Une preuve de plus, pour la ligne dure du régime iranien, de la duplicité des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne et de leur volonté d’organiser « la sédition » au sein de la nation iranienne, avec la complicité évidente d’Israël. Au demeurant, la surenchère verbale du chef du Mossad, et l’identification sur une chaîne de télévision israélienne de plusieurs hauts gradés des Gardiens de la Révolution présentés comme de potentielles cibles, n’ont pu que confirmer aux yeux des conservateurs iraniens les intentions du « régime terroriste » de Tel-Aviv.
La guerre de l’ombre entre Israël et l’Iran se poursuit donc à mesure que Téhéran affirme ses capacités militaires et normalise ses relations au Moyen-Orient, et possiblement avec les Occidentaux. A ce titre, la principale angoisse de l’État hébreu est de voir l’Iran poursuivre son enrichissement d’uranium au-delà de 60 %, ce qui l’a poussé ces dernières années à multiplier les frappes contre ses infrastructures sensibles – notamment les sites de Natanz, Ispahan et Parchin, ainsi que les assassinats contre les scientifiques impliqués dans le développement du programme nucléaire iranien.
On pourrait néanmoins rappeler sans difficulté que l’Iran n’est devenu un « Etat du seuil » qu’en raison de la suspension du Joint Comprehensive Plan of Action à partir de mai 2018, du fait du retrait américain. Aussi, bien que Tel-Aviv poursuive un lobbying actif contre toute résurrection du JCPoA, c’est précisément ce traité qui avait permis de contraindre l’Iran en matière de développement nucléaire, agissant donc comme un bien meilleur rempart pour la sécurité d’Israël que la « pression maximale » voulue par Donald Trump et les faucons israéliens.
Ce climat de défiance et de tension permanent nourrit en retour la course à l’armement en Iran, où le développement accéléré de son arsenal de drones et de missiles balistiques se trouve justifié par la « nécessité » de protéger le pays contre l’ingérence israélienne. Les derniers drones de combat Mohajer, le dernier missile hypersonique dévoilé en juin, ainsi que les missiles de croisière d’une portée de plus de 1500 kilomètres, sont d’ailleurs à chaque fois présentés comme des « avertissements » à l’encontre de l’État hébreu, capables de percer son « Dôme de fer ».
Alors que les efforts entrepris depuis un an par l’Iran pourraient véritablement paver la voie à des annonces majeures dans les prochains mois, ce climat exacerbé par les faucons tant à Tel-Aviv qu’à Téhéran menace t-il véritablement la reprise diplomatique ? Certains experts, y compris en Israël, estiment que cette surenchère verbale est avant tout alimentée à dessein par le gouvernement Netanyahu à des fins électorales et de maîtrise de l’opinion publique, dans un contexte domestique tendu pour la droite israélienne. Ce faisant, Israël partage néanmoins un point commun avec les plus radicaux des conservateurs iraniens, partisans d’une ligne belliciste et d’une rupture définitive avec l’Occident, persuadés que l’Iran n’a nul besoin de diversifier ses alliances et que l’économie iranienne parvient déjà à survivre en dépit des sanctions américaines. Cette position est loin d’être partagée par les réformateurs, qui la jugent extrêmement dangereuse et contraire aux intérêts du pays.
Le contexte actuel illustre donc parfaitement le combat perpétuel entre faucons et partisans de la voie diplomatique, l’enjeu étant particulièrement critique pour l’Iran alors que le pays accumule les difficultés économiques et sociales. Si d’aventure les négociations entre l’Iran et l’Occident permettaient d’obtenir un nouvel accord politique contraignant, nul doute qu’Israël y répondrait par un regain de bellicisme. Ce faisant, il risquerait néanmoins un important isolement régional, alors que la plupart des grandes puissances arabes cherchent à normaliser leurs relations avec Téhéran.