L’adhésion de six nouveaux pays au sein du groupe des BRICS, annoncée lors de son dernier sommet à Johannesburg, a sonné pour de nombreux analystes comme l’avènement d’un nouvel ordre mondial où les Etats-Unis ne seraient plus la puissance dominante.
Ardavan Amir-Aslani - atlantico
L’adhésion de six nouveaux pays au sein du groupe des BRICS, annoncée lors de son dernier sommet à Johannesburg, a sonné pour de nombreux analystes comme l’avènement d’un nouvel ordre mondial où les Etats-Unis ne seraient plus la puissance dominante. Certes, en invitant l’Argentine, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, les membres-fondateurs ont pavé la voie à la plus grande expansion de leur organisation depuis sa fondation en 2009. C’est certes la preuve que de profonds bouleversements stratégiques et une redéfinition des alliances sont à l’oeuvre depuis les trois dernières années, la Chine et la Russie désirant particulièrement structurer une alternative politique et économique au multilatéralisme bâti après 1945. Mais faut-il voir dans ces BRICS augmentés, qui représenteront près d’un quart du PIB mondial, l’émergence d’un nouveau « mouvement des pays non-alignés » et un véritable bloc de puissances influentes capable de rivaliser avec l’Occident ?
C’est faire peu de cas des dynamiques internes de l’organisation et de leurs conséquences. En effet, plusieurs défauts structurels l’affectent, en premier lieu un manque évident de cohésion. Les tensions géopolitiques entre plusieurs pays-membres préexistaient à leur entrée au sein des BRICS, et leur adhésion ne contribuera sans doute en rien à les apaiser. C’est ainsi le cas entre la Chine et l’Inde, deux membres fondateurs toujours aux prises avec un profond différend frontalier dans l’Himalaya. Les nouveaux membres amènent également avec eux d’autres conflits potentiels : ainsi l’Egypte et l’Ethiopie, en conflit sur les conséquences du barrage de la Renaissance sur le débit du Nil, ainsi l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui ont certes rétabli leurs relations diplomatiques via l’accord irano-saoudien, mais sont encore loin d’avoir dépassé leur rivalité régionale. Il semble dès lors difficile de structurer un groupe de puissances en une entité politiquement forte avec autant de dissensions internes et de profondes différences structurelles, politiques ou économiques. Entre les BRICS et le Mouvement des Non-Alignés, le principal point commun risque fort d’être le manque d’efficacité stratégique.
La Chine, rapidement présentée comme la grande puissance gagnante de cette expansion, en tirera principalement une vitrine supplémentaire pour présenter ses projets géostratégiques comme les Nouvelles Routes de la Soie. Mais il lui sera difficile de faire des BRICS un moyen d’influence majeur. En effet, la plupart des membres du groupe, y compris les nouveaux venus, sont des alliés historiques des Etats-Unis – c’est clairement le cas de l’Arabie Saoudite, des Emirats et de l’Egypte, engagés dans des alliances sécuritaires avec Washington face auxquelles les promesses de la Chine seront insuffisantes pour entraîner une rupture. Membre des BRICS, l’Inde est par ailleurs membre de deux organisations sécuritaires fondées par les Etats-Unis, le Dialogue Quadrilatéral pour la Sécurité aux côtés de l’Australie et du Japon, et le forum I2U2 où l’on retrouve également les Emirats et Israël.
Lors du sommet de Johannesburg, l’Inde n’a d’ailleurs pas hésité à jouer sa propre partition, le Premier ministre Narendra Modi appelant les autres pays à développer « des chaînes d’approvisionnement résilientes et inclusives », soit une invitation très claire à réduire leur dépendance économique à l’égard de la Chine. Si l’orientation anti-occidentale des BRICS voulue par la Chine et la Russie pourrait la placer dans une position délicate vis-à-vis de ses partenaires occidentaux, l’expansion de l’organisation pourrait en revanche permettre à l’Inde d’étendre sa clientèle au Moyen-Orient, région où elle cherche à développer son influence pour des raisons géopolitiques et énergétiques et où elle entretient déjà de bonnes relations avec trois puissances arabes – l’Egypte, l’Arabie Saoudite et les Emirats – ainsi qu’avec l’Iran.
Plus qu’une union de pays poursuivant un intérêt commun – favoriser un nouvel ordre mondial concurrent du modèle occidental – les BRICS pourraient donc bien au contraire devenir une nouvelle arène d’affrontements entre pays en concurrence pour développer leur propre influence sur la scène mondiale, et en particulier dans l’hémisphère sud. Si la Chine a plusieurs années d’avance dans la concrétisation de cette ambition, en particulier en Afrique, l’Inde et les pétromonarchies manifestent désormais le même engagement.
Loin d’incarner une véritable menace, ce groupe offre donc aux Occidentaux un lieu idéal d’observation des rivalités entre ses pays-membres afin d’en tirer le meilleur profit. L’expansion des BRICS doit néanmoins agir comme un avertissement : s’il est difficile de renverser totalement l’ordre occidental – la Chine et la Russie, souvent ensemble, ont passé l’essentiel du XXème siècle à tenter de le faire sans pour autant y parvenir – preuve en est que les économies désignées, par un abus de langage obsolète, comme « émergentes », sont désormais incontournables dans la définition des équilibres stratégiques. L’Occident doit donc réinventer ses relations avec ces puissances trop longtemps négligées, sous peine de se voir durablement supplanté par l’influence chinoise et russe.