Le travail de l’institution de microcrédit affiliée au Parti de Dieu est gelé depuis que plusieurs de ses filiales ont été bombardées en octobre. L’organisme était un filet de sécurité social pour de nombreuses familles chiites en temps de crise financière.
Par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance), LE MONDE
Un mois après les frappes israéliennes qui ont visé plusieurs branches d’AlQard Al-Hassan (le « prêt bienveillant », en arabe) dans la banlieue sud de Beyrouth, à Baalbek ou à Sour, le 20 octobre, Hussein (il n’a pas souhaité donner son nom de famille pour des raisons de sécurité) est sans nouvelles de l’institution de microcrédit gérée par le Hezbollah. Il a tenté, en vain, de joindre l’administration.
Employé de l’Etat, il avait déposé de l’or en garantie, et obtenu un prêt de 2 500 dollars (2 400 euros) pour aménager son logement. Une somme perdue : l’habitation, à Jnah, un quartier populaire chiite à la lisière de la banlieue sud, a été lourdement endommagée lors d’un bombardement en octobre. Hussein n’est pas un militant du Hezbollah : il s’est tourné vers Al-Qard Al-Hassan, peu avant la guerre, car il ne pouvait pas obtenir de crédit bancaire : son salaire s’est effondré avec la faillite financière de 2019, et les banques n’octroient que de très rares prêts, à des clients privilégiés.
Le ciblage de l’organisme social du mouvement chiite a plongé dans l’incertitude des centaines de milliers de clients, débiteurs ou épargnants, en majorité issus de la communauté chiite. Le flou demeure sur ce qu’il est advenu des réserves de devises et d’or. Mohamed Afif, porte-parole du Hezbollah, tué dans un raid israélien à Beyrouth, le 17 novembre, avait assuré qu’Al-Qard Al-Hassan respecterait « ses engagements ». Un résident de Bint Jbeil, une localité située à la frontière libano-israélienne aujourd’hui désertée par les civils, affirme qu’il a observé l’agence locale être vidée, quelques jours après l’attaque par l’Etat hébreu de bipeurs et de talkieswalkies piégés de membres du Hezbollah, les 17 et 18 septembre. Il avait vu, dans cette évacuation, le signe que la guerre arrivait. Le 23 septembre, l’armée israélienne lançait son offensive au Liban.
Les frappes d’octobre ont nourri la psychose parmi les habitants installés à proximité des bureaux de la banque encore debout, à Beyrouth et en région. L’armée israélienne accuse Al-Qard Al-Hassan d’être impliquée « dans le financement des opérations terroristes du Hezbollah ». L’association est, depuis 2007, sous sanctions de Washington, qui l’accuse de blanchiment d’argent. Elle est enregistrée auprès des autorités libanaises, mais opère en dehors du circuit financier. Toutes les branches – une trentaine au total – sont fermées aujourd’hui.
Réseau d’outils d’influence
L’organisation de microfinance n’est « ni une banque ni un outil de financement du Hezbollah », dit Aurélie Daher, professeure de sciences politiques et autrice de l’ouvrage Le Hezbollah. Mobilisation et pouvoir (PUF, 2014). Derrière son ciblage, « le calcul israélien semble être de détruire le lien entre le Hezbollah et sa base, d’instiller le doute sur sa capacité à restituer les cautions et, plus largement, sur ce que le mouvement pourra entreprendre en matière de reconstruction », estime-t-elle. Après la guerre de 2006, le Hezbollah était intervenu dans la reconstruction, avec des fonds iraniens.
L’association a été créée au début des années 1980, en même temps qu’émerge le mouvement chiite parrainé par Téhéran. Elle fait partie du réseau d’outils d’influence du Hezbollah au sein de la communauté chiite, qui comprend des hôpitaux, des supermarchés… C’est un filet social et un moyen de fabriquer de la redevabilité. Les autres partis libanais pratiquent aussi le patronage, mais à une échelle moindre.
Au début des années 2000, Al-Qard Al-Hassan est la plus grande organisation de microcrédits au Liban. Le montant maximal d’un prêt, à taux zéro, selon les principes de la finance islamique, est de 5 000 dollars. La crise de 2019 lui fait prendre une tout autre taille : quelque 200 000 crédits sont octroyés cette année-là, selon l’ancien mensuel Le Commerce du Levant, contre environ 9 000 une dizaine d’années plus tôt. De nouvelles branches voient le jour.
« Avec la crise, et parce que les banques ont volé l’argent des gens, beaucoup à Baalbek ont eu recours à Al-Qard Al-Hassan. L’argent obtenu, en hypothéquant de l’or, leur a permis de payer des factures, de manger, d’ouvrir un petit commerce… Des personnes ont déposé leur épargne pour qu’elle soit en sécurité, dit un notable de la ville, critique du Hezbollah, qui a requis l’anonymat. Cela a rendu service à de nombreux foyers. Mais ce n’est pas de la charité ! Et le fait est que la banque centrale [libanaise] n’a aucune visibilité sur les volumes financiers brassés. »
Un entrepreneur originaire de la région de Sour, dans le Sud, qui s’exprime également sous le couvert de l’anonymat, confirme l’attractivité de la structure : « Même pour installer des panneaux solaires, des habitants du Sud ont sollicité Al-Qard Al-Hassan, car les banques ne sont pas fonctionnelles. » Selon cet homme, qui soutient le Hezbollah dans son combat contre Israël, bien qu’il soit éloigné de ses vues politiques, l’institution a été bombardée afin de « casser le lien social. Le même but est poursuivi quand des secouristes sont tués : il s’agit de briser l’espoir des gens qu’ils puissent obtenir de l’aide ». Il ne croit pas, pourtant, au délitement. « Les chiites sont en train d’être matraqués par Israël. Cela va renforcer l’esprit de résistance », prophétise celui qui souhaite surtout que la guerre en cours « soit la dernière ».