Par Antoun Souhaid
Depuis le début du conflit israélo-palestinien, l’attention se tourne vers l'Iran pour déterminer si cette puissance régionale envisage de s’impliquer dans le conflit, risquant ainsi d’aggraver la situation et d’intensifier la guerre. L’attaque du 7 octobre a modifié la dynamique au Moyen-Orient, replaçant la cause palestinienne, autrefois reléguée au second plan avec les accords d’Abraham et la possibilité de normalisation des Etats arabes avec Israël, au cœur des enjeux géopolitiques régionaux.
L’Iran, une puissance régionale
Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, marqué par la révolution des ayatollahs, l’Iran aspire à devenir une puissance régionale majeure et à jouer un rôle influent au sein du monde musulman à majorité sunnite. En effet, pour atteindre cet objectif, l’Iran a activement encouragé la formation de groupes à travers le Moyen-Orient, agissant comme ses « proxys » tant sur le plan politique que militaire. L’objectif est d’influencer la politique régionale et internationale en alignant les intérêts de ces groupes sur ceux de l’Iran. Au fil du temps, ces groupes ont évolué en milices, acquérant une importance telles qu’elles sont parfois perçues comme des acteurs non étatiques, tout en disposant d’une capacité d’influence presque équivalente à celles des Etats dans la région.
Le rôle de la République islamique d’Iran au Moyen-Orient
Le rôle de la République islamique d’Iran dans la région moyen-orientale a connu un développement remarquable depuis le déclenchement de la révolution islamique en 1979. Suite à cette victoire, Téhéran cherche à étendre son influence en exportant son modèle révolutionnaire vers les pays voisins, en établissant des alliances avec les minorités chiites des pays arabes. Parmi les exemples les plus marquants de cette stratégie, nous trouvons le Hezbollah libanais, un mouvement politico-militaire affilié à l’idéologie de la République islamique, le Hachd al-Chaabi en Irak et les Houthis au Yémen.
La cause palestinienne, un dossier cher à la République islamique d’Iran
Depuis sa création, la République islamique d’Iran adopte une position marquée dans la lutte contre le sionisme et la présence de l’Etat d’Israël. Avec l’accession au pouvoir des théocrates en 1979, la diplomatie iranienne repose sur une base théologique religieuse contraire à celle des juifs. L’Iran a évolué de l’état d’allié à celui d’ennemi déclaré d’Israël. Les discours officiels ont abandonné le terme « Israël » pour adopter des expressions telles que « le gouvernement criminel », l’ « ennemi sioniste » ou encore « l’entité cancéreuse ».
L’implication des Etats arabes dans le processus de paix avec Israël, a mis à l’écart la cause palestinienne, permettant à l’Iran de combler le vide, en se présentant comme le seul véritable soutien de cette cause. La cause palestinienne représente donc pour l’Iran la raison d’être de cette république.
Cependant, bien qu’elle se proclame jouant un rôle central dans le soutien à la cause palestinienne, l'implication de l’Iran dans la guerre de Gaza demeure relativement faible.
Iran et Israël de faux ennemis ?
Le 7 octobre 2023, au moment où le Hamas lançait son opération sans précédent, le commandant militaire de sa branche armé, Mohammad Deif, a appelé les Arabes et musulmans, en particulier l’Iran, les Etats et organisations qu’il domine (le Hezbollah libanais, les Houthis au Yémen, les milices chiites irakiennes et le régime syrien), à unir leurs fronts en participant à une guerre totale contre Israël. Cette stratégie de dissuasion suppose la coordination politique et militaire de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région, pour se soutenir mutuellement en cas d’attaque contre l’une d’entre elles.
Après l’attaque surprise contre Israël, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a salué le « tremblement de terre dévastateur » pour Israël, et a déclaré que l’Iran ne baisserait pas les mains de ceux qui ont planifié l’attaque. Cependant, ce discours a été suivi d’un démenti de l’implication de l’Iran dans cette attaque qui a causé la mort de près de 1 200 civils et pris plus de 240 otages. La riposte israélienne, entraînant la mort de plus de 11 000 Palestiniens, a été suivie d’une escalade rhétorique de la part de la République islamique, demandant à ses proxys d’intervenir dans les affrontements pour soutenir le peuple de Gaza et combattre Israël. Il semble que l’Iran n’ait pas pleinement mesuré l’ampleur de la réaction israélo-américaine.
Bien qu’elle se prétende le fer de lance de la cause palestinienne, l’Iran préfère éviter un conflit direct avec Israël, mais n’hésite pas à soutenir activement les Houthis au Yémen, les milices chiites en Irak et le Hezbollah libanais. Par exemple, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière entre le Liban et Israël, avec des escarmouches entre le Hezbollah et l’armée israélienne. De même, les forces Al-Fajr, branche militaire de la Jamaa Islamiya, dissoute en 1990, ont coordonné militairement avec le Hezbollah. Enfin, le Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban assument l’entière responsabilité de plusieurs attaques menées du sol libanais contre Israël. Au Yémen, les Houthis, en guise de démonstration de force, ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été interceptés en mer Rouge par le navire américain USS Carney en direction d'Israël. Ces attaques ont coïncidé avec celles menées par des milices chiites, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Syrie et en Irak. Il est donc question de sang arabe versé plutôt que de sang perse, dans le cadre d’une guerre par procuration menée via l’Axe de la Résistance pour servir les intérêts d’une puissance étrangère.
Malgré le message d’unité musulmane pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa, la participation aux hostilités reste limitée mais importante. La preuve : le mot d’ordre à son proxy irakien de tirer sur les bases américaines sans les toucher.
Cette stratégie menée par l’Iran lui permet d’externaliser le risque de confrontation directe avec les Etats-Unis et Israël, se dédouanant de toute responsabilité en cas d'attaque. C’est un moyen pour l'Iran de trouver une place sur l’échiquier de la négociation régionale. Avec les accords d’Abraham, l’Iran devient la seule puissance anti-israélienne ayant une influence dans les négociations régionales.
Signe de faiblesse de l’Iran ?
La faiblesse de l’Iran dans cette guerre s’est révélée à trois reprises :
D’une part, la volonté d'Israël de réaliser son objectif d’éradication du Hamas et d’aller jusqu’au plus haut niveau d’escalade. La faiblesse de l’Iran réside dans son soutien limité au peuple palestinien malgré les actions brutales pratiquées par Israël.
D’autre part, le soutien inconditionnel américain et européen à Israël, matérialisé par les visites de leurs dirigeants, la présence de bases militaires maritimes américaines dans la région et l’approvisionnement en armes. Ce soutien montre bien une disproportion dans l’équilibre militaire et un échec iranien sur le terrain.
Enfin, la faiblesse de l’Iran réside dans sa capacité à participer pleinement à la guerre en diversifiant les fronts, en particulier le Hezbollah libanais, qui fait face à une vague de contestation risquant d’entraîner le Liban dans une guerre perdue avec Israël. Or, la guerre entre les deux belligérants se limite aux frontières délimitant les deux pays dans le cadre d’un accord convenu appelé les règles d’engagement. L’implication minime des quatre fronts dans la guerre contre Israël et sa limitation à un soutien politique et moral afin d’éviter un embrasement général et le risque de faire perdre l’influence acquise au Moyen-Orient sont un signe de faiblesse de l’Iran et une justification de l’instrumentalisation de la République islamique de la cause palestinienne et du sang arabe.
Sommes-nous à la veille d’une guerre totale ?
L’évolution de la situation dépend de la manière dont l’armée israélienne gérera le conflit dans les prochaines heures et de la façon dont Hamas ripostera. Une invasion terrestre risquant de menacer l’existence du Hamas, pourrait entraîner des escalades dans tous les pays où se trouvent les alliés iraniens.
Que se passerait-il en cas de menace de la présence du Hamas ? Les escarmouches intensives aux frontières libano-israéliennes pourraient-elles évoluer vers un conflit à part entière ? La République islamique d’Iran se joindra-t-elle aux hostilités ? Que se passerait-il si Israël, qui se sent renforcé par le soutien inconditionnel de la communauté internationale au droit à l'autodéfense, décide de frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire suscite l’inquiétude de l’Etat hébreu ? Face à la riposte iranienne, les Etats-Unis soutiendront-ils Israël pour défendre l’Etat hébreu et mettre la rue arabe sur leur dos à la veille des élections présidentielles ?
La réponse à toutes ses questions demeure imprécise. Dans tous les cas, avec les accords d’Abraham suspendus pour le moment, la présence des groupes armées islamiques au Moyen-Orient est dans l’intérêt de l’Etat hébreu afin qu’il prouve à la communauté internationale que ces derniers agissent d’une manière violente menaçant sa sécurité. Il en va de même pour l’Iran, qui a tout intérêt à maintenir la présence d’Israël dans la région pour légitimer son discours anti-impérialiste. Cette logique ne fera qu’augmenter le risque d’escalade du conflit et maintiendra le soutien à Israël et aux proxys. Cependant, en attendant une réelle volonté de mettre fin à la guerre, ce sont malheureusement les civils qui supportent le coût de conflits motivés par des puissances égoïstes axées sur leurs propres intérêts.