Sans le proclamer publiquement, mais en le faisant savoir par divers chemins discrets, les mollahs souhaitent désormais négocier un grand arrangement avec l’Amérique.
Par Renaud Girard – Le Figaro
La dynamique de la réconciliation irano-saoudienne se poursuit. Le 18 août 2023, le ministre iranien des Affaires étrangères a été chaleureusement reçu à Djedda par le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS). Au Moyen-Orient, la hache de guerre entre chiites et sunnites semble enterrée, du moins provisoirement.
Dans ce dialogue entre persans et arabes, dont les schémas mentaux sont très différents, des incompréhensions et des malentendus subsistent fatalement. Les Iraniens souhaiteraient par exemple que le royaume s’implique davantage pour une solution politique au Yémen, quitte à ce qu’il convoque un sommet régional, où houthistes chiites et sudistes sunnites négocieraient sous l’œil de leurs voisins arabes et perse. Mais des difficultés sporadiques sur le dossier du Yémen (où le cessez-le-feu tient depuis un an et demi) sont un arbre qui ne devrait pas cacher la forêt. La forêt, c’est la volonté commune des Iraniens et des Saoudiens de travailler en partenaires plutôt qu’en ennemis.
Le changement de logiciel chez les dirigeants iraniens va encore plus loin. Sans le proclamer publiquement, mais en le faisant savoir par divers chemins discrets, les mollahs souhaitent désormais négocier un grand arrangement avec l’Amérique. Les sanctions pénalisent considérablement l’économie iranienne. En contemplant, à 50 milles nautiques de chez eux, la spectaculaire croissance de Dubaï, les Iraniens ont commencé à saisir le coût faramineux de leurs occasions manquées. En quarante ans de régime « révolutionnaire », à combien de centaines de milliards de dollars se comptent leurs pertes par rapport à leurs voisins, les pétromonarchies sunnites du golfe Persique ?
Par ailleurs, les mollahs saisissent que leur amitié avec la Chine et la Russie ne va pas les mener très loin. La Chine leur achète du pétrole et du gaz avec un gros discount et leur propose toute sa gamme de produits manufacturés. Mais le partenariat entre Téhéran et Pékin en restera là. Il n’équivaudra jamais au partenariat stratégique entre Téhéran et Washington, de 1943 à 1979, qui permit à la Perse de se développer comme jamais.
Avec la Russie, les mollahs entretiennent également une amitié superficielle. Certes, ils partagent un ennemi commun, la démocratie à l’occidentale. Certes, Russie et Iran ne supportent pas les leçons de morale que les Occidentaux s’acharnent à leur donner. Mais un tel lien idéologique négatif ne suffit pas à faire un partenariat solide. La réalité est que la Russie et l’Iran sont deux puissances rivales commercialement et géopolitiquement. Commercialement, elles se concurrencent sur le marché international des hydrocarbures. Géopolitiquement, elles sont rivales autour de la mer Caspienne et en Syrie. Il n’est pas sûr que cette rivalité restera toujours aussi amicale qu’aujourd’hui.
Historiquement, géographiquement, économiquement, les meilleurs partenaires possibles pour les Iraniens sont les Européens et les Américains. Est-ce à dire que le régime iranien serait prêt à renoncer à ce qu’il est depuis quarante ans, à savoir une théocratie autoritaire ? Bien sûr que non. Mais, si les Occidentaux renoncent à s’ingérer dans ses affaires intérieures, il est prêt à passer des accords avec eux et à s’y tenir. Avec l’Administration Obama, il avait, en 2015, fait un deal où, en échange de la levée des sanctions, il suspendait son enrichissement d’uranium. L’Iran avait parfaitement honoré le deal ; c’est l’Amérique de Trump qui s’en était unilatéralement retirée. Et Biden n’a pas repris les termes initiaux de l’accord du 14 juillet 2015 (appelé JCPOA).