Téhéran envoie au Yémen des pièces détachées de missiles de pointe et des brouilleurs de drones
Benoit Faucon et Warren P. Strobel, The Wall Street Journal, L'Opinion
L’Iran envoie des armes de plus en plus sophistiquées à ses alliés Houthis au Yémen, affirment de hauts responsables et des analystes occidentaux, ce qui leur permet d’attaquer les navires marchands avec une plus grande eicacité et de perturber le commerce international malgré plusieurs semaines de frappes aériennes menées par les Etats-Unis.
Les Houthis, milice de bric et de broc opérant dans l’aride arrière-pays yéménite, autrefois tournés en dérision, se révèlent désormais l’un des affidés les plus capables de l’Iran, selon ces hauts responsables et ces analystes, et ce grâce au flux d’armes venues de Téhéran et à leur ingéniosité maison.
Entre autre matériel haut de gamme, l’Iran fournit aux Houthis des brouilleurs de drones et des pièces détachées de fusées et missiles à longue portée. Les Iraniens et leurs alliés libanais du Hezbollah envoient également des conseillers au Yémen pour aider les Houthis à organiser et à lancer leurs attaques.
Les attaques de missiles et de drones lancées par les Houthis contre des navires marchands et des bâtiments de guerre américains, sous prétexte de représailles de la guerre menée par Israël contre le Hamas, ont provoqué deux semaines de contre-attaques britanniques et américaines. Ces dernières risquent à leur tour d’attirer Washington dans une campagne militaire sans in et de susciter une escalade de la guerre par procuration entre les Etats-Unis et l’Iran. Au fur et à mesure qu’ils subissent la pression des frappes américaines, les responsables occidentaux constatent que les Houthis s’adaptent militairement, et ils estiment que les nouvelles technologies pourraient augmenter l’efficacité de leurs attaques contre les navires et le territoire israélien.
Lundi 22 janvier, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont lancé un deuxième assaut de taille contre huit sites houthis. C’était la huitième fois que les Américains visaient le groupe et son arsenal, dont la plupart des armes sont fournies par l’Iran. Selon les responsables étasuniens, ces frappes ont détruit des missiles, des drones et des sites de stockage d’armes.
Le 11 janvier, la veille de la première de ces contre-attaques occidentales, les SEAL, la force spéciale de la marine de guerre américaine, ont saisi un navire regorgeant de matériel militaire technologique iranien de pointe, selon les responsables et conseillers occidentaux. Il s’agissait notamment de kits d’assemblage pour le Ghadir, une roquette iranienne anti-navire d’une portée de 300 kilomètres que les Houthis n’ont encore jamais utilisée, des tuyères de moteur pour le Toufan, un missile balistique récemment dévoilé par le groupe susceptible de cibler plus efficacement Israël, et des extensions optiques conçues pour améliorer la précision des attaques de drones. Trois jours plus tôt, les autorités d’Oman ont également conisqué des brouilleurs de drones qui, selon les responsables et les conseillers occidentaux, viendraient également d’Iran. En plus des armes,
le Corps des gardiens de la révolution islamique iranien et son allié libanais, le Hezbollah, ont envoyé des conseillers au Yémen pour aider à organiser les attaques navales du groupe et le lancement de roquettes et de drones, selon des conseillers spécialistes de la sécurité et de hauts responsables occidentaux. Téhéran recrute des contrebandiers pour introduire les armes au Yémen depuis l’Iran et des intermédiaires pour acheter des pièces détachées par le biais de sociétés-écrans. Des ingénieurs au Yémen et dans d’autres pays de la région aident à assembler les missiles et les drones et à les faire fonctionner, et des employés du secteur du transport maritime fournissent des renseignements en temps réel sur les navires à cibler, selon les mêmes sources.
L’intensification de l’aide militaire apportée par l’Iran aux Houthis a conduit Washington à se plaindre à Téhéran par l’intermédiaire des Suisses.
« L’Iran est un fournisseur des Houthis et livre des équipements, des formations et de l’expertise à d’autres organisations opérant par procuration dans la région », a déclaré un haut responsable américain de la Défense le 22 janvier au soir. « Nous avons exprimé (...) que nous considérions cette activité comme inacceptable. » Un porte-parole de la délégation iranienne aux Nations unies à New York n’a pas réagi à notre demande de commentaire.
L’aide que l’Iran apporte aux Houthis est gérée par des officiers choisis parmi l’élite des Gardiens de la révolution. Le responsable des opérations de Téhéran dans le pays s’appelle Abdolreza Shahlai ; il a supervisé des attaques contre des soldats américains en Irak, selon les sources occidentales. Il fait désormais l’objet d’un avis de recherche lancé par Washington qui a mis sa tête à prix à 15 millions de dollars.
Les conseillers en sécurité et responsables occidentaux rapportent que le transfert de technologies de missiles balistiques et les formations sont supervisés par l’Unité 340, qui a formé le personnel houthi en Iran et au Liban et est dirigée par Hamid Fazeli, ancien chef du programme de fusées spatiales iranien.
« La résistance a ses propres outils »
Les forces paramilitaires iraniennes fournissent également des renseignements en temps réel et des armes, dont des drones et des missiles, aux Houthis yéménites, que les rebelles utilisent pour viser les navires qui passent par la mer Rouge, selon des responsables de la sécurité de la région et occidentaux.
L’Iran nie toute implication dans les opérations des Houthis et affirme que les actions de ce groupe ne sont motivées que par la colère suscitée par la guerre à Gaza. « La résistance a ses propres outils (...) et agit en fonction de ses propres décisions et de ses capacités », a justiié Ali Bagheri, ministre iranien adjoint des Afaires étrangères, en décembre, en faisant référence à ses alliés au Yémen et dans tout le Moyen-Orient.
Mais les spécialistes de l’Iran affirment que si la faction yéménite agit largement de manière autonome, l’Iran permet l’escalade de la situation parce que cela lui permet de faire pression sur Israël et les Etats-Unis sans risquer de représailles directes.
« L’ADN militaire de l’Iran est de nier toute responsabilité et de faire en sorte que ce soit les autres qui fassent le sale boulot », explique Saeid Golkar, spécialiste des services de sécurité de Téhéran à l’université du Tennessee à Chattanooga.
Afin de réduire l’arsenal des Houthis, les Etats-Unis et leurs alliés bombardent des sites de lancement de missiles et des caches d’armes au Yémen et patrouillent dans les eaux pour interrompre le flux d’armes à destination des Houthis. C’est ce qu’il s’est passé le 11 janvier lors d’une opération qui a donné lieu à la saisie de pièces détachées de missiles iraniens dernier cri destinées aux rebelles houthis du Yémen, et lors de laquelle deux membres des SEAL ont été perdus en mer.
Mais les Houthis et leurs alliés iraniens s’adaptent à la pression. Après que des navires de guerre américains se sont rendus en mer Rouge, les rebelles yéménites se sont mis à viser des cibles vers l’est dans le golfe d’Aden, où les Etats-Unis n’ont aucune présence, selon des dirigeants du transport maritime.
Les Houthis prennent également soin de déplacer équipements et personnels pour éviter les frappes et semblent recevoir des armes sous forme de colis flottants plutôt que dans le cadre de transferts de navire à navire qui seraient plus visibles depuis les airs, selon les sources occidentales. Et un navire-espion iranien qui fournissait des renseignements sur des cibles dans la mer Rouge a quitté la zone, probablement pour éviter d’être ciblé par les Etats-Unis.
Pour Behnam Ben Taleblu, chercheur au think-tank Foundation for Defense of Democracies de Washington, les Houthis disposent de la capacité de frappe à longue portée la plus meurtrière de tous les groupes qui servent à l’Iran dans ses guerres par procuration, et ce sont les seuls à utiliser des missiles balistiques antinavires.
Les Houthis ont utilisé au moins à une occasion un missile qui a ensuite été retrouvé dans l’arsenal iranien, premier exemple connu de prolifération de missiles balistiques de mandataire à mécène, dit-il.
« Certaines preuves laissent penser que le Yémen est un important champ de bataille pour les tests et le potentiel développement d’armes iraniennes », poursuit cet expert. « L’Iran possède à la fois un arsenal sur son territoire, et un arsenal en exil. »