Riche en gaz et en pétrole, le pays traverse une crise énergétique sans précédent. Coupures d’électricité, fermetures d’écoles et industries paralysées illustrent les failles d’une gestion minée par les sanctions, la corruption et un réseau obsolète.
Par Clara Galtier. LE FIGARO
La séquence a marqué les esprits en Iran. Lors de la diffusion d’un célèbre talk-show télévisé, une coupure de courant a plongé le plateau dans le noir, provoquant un rire gêné chez les présentateurs. Les aléas du direct ? Pas tout à fait. Le pays est confronté à une pénurie si aiguë que plusieurs centrales électriques ont été mises à l’arrêt, faute de gaz et de carburant. Toutes les écoles, universités, administrations publiques, ainsi qu’une grande partie des agences bancaires, ont été contraintes de fermer leurs portes plusieurs jours consécutifs. En novembre, déjà, les autorités avaient instauré des coupures de courant à l’échelle nationale, de 9 heures à 17 heures, pour faire face à l’escalade de la crise. « Autrefois, elles duraient quelques heures par jour… Aujourd’hui, l’électricité n’est disponible que pendant quelques heures », déplore la sociologue et politologue iranienne Mahnaz Shirali, enseignante à Paris.
Enplein cœur de l’hiver, «le pays qui dort sur un océan de gaz et de pétrole ne parvient même plus à se chauffer», ironise-t-elle avec amertume. Le régime des mollahs invoque à la télévision d’État des pannes dues à un accroissement de la demande en électricité. La chute des températures a en effet conduit à un pic sur le réseau domestique de gaz, qui alimente 90% des foyers iraniens, compliquant l’approvisionnement des entreprises, administrations et centrales thermiques. Conséquence : plusieurs zones industrielles ont cessé leurs activités, entraînant des pertes estimées à plusieurs millions de dollars dans une économie déjà en récession. Le président iranien, Massoud Pezechkian, a même présenté ses excuses pour les coupures d’électricité à répétition, qui exaspèrent la population. Fragilisé par la chute du boucher de Damas, le régime apparaît d’autant plus vulnérable que le pays est toujours traversé par la contestation Femme, Vie, Liberté.
La crise énergétique résulte du cumul de plusieurs facteurs. Michel Makinsky, directeur général du cabinet de conseils en géopolitique Ageromys International, pointe la très grande fragilité du réseau électrique. «Il n’a pas été modernisé depuis des années, ce qui engendre des pertes considérables», préciset-il. L’Iran a beau être le septième producteur mondial de pétrole brut et détenir les deuxièmes plus grandes réserves de gaz naturel, ses industries d’extraction et de raffinerie sont en déliquescence. Les hydrocarbures, piliers de l’économie iranienne, sont surtout destinés à l’export et, faute d’une «bonne gestion», la production peine à satisfaire les besoins domestiques. À cela s’ajoute la contrebande : selon l’Institut de Washington, un centre de recherche, plus de 20% du carburant produit en Iran, soit 120 millions de litres par jour, sont revendus à l’étranger, notamment en Irak et en Turquie, où les prix à la pompe sont jusqu’à quinze fois plus élevés.
Pour moderniser son réseau électrique, l’Iran aurait besoin de technologies de pointe afin d’optimiser la distribution ou d’équipements pour construire des centrales de nouvelle génération. Le problème étant qu’ils proviennent essentiellement de pays occidentaux ou asiatiques et que les sanctions entravent ces importations. Quant au gaz, qui représente 70% du mix énergétique en 2023, les prix sont tellement bas qu’ils poussent à une consommation effrénée. «L’Iranien moyen n’a aucune conscience des enjeux de maîtrise de l’énergie», appuie Michel Makinsky. Selon la note de Bercy, les subventions massives- estimées à 150 milliards de dollars pour l’électricité, le gaz et les carburants-, combinées à des prix strictement encadrés, dissuadent les initiatives visant à rationaliser la consommation.
Le gouvernement n’a pas non plus anticipé l’intensité de la vague de froid actuelle, avec des températures pouvant descendre jusqu’à -30°C dans certaines régions. Les autorités s’attendent par conséquent à une pénurie de 260 millions de mètres cubes de gaz par jour, soit environ un tiers de la production. Les systèmes de climatisation vétustes, omniprésents en été comme en hiver, aggravent encore la situation en consommant des quantités disproportionnées d’énergie, selon une étude du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS).
Habituées aux coupures, les centrales électriques iraniennes fonctionnent souvent grâce à des chaudières hybrides, alternant gaz et mazout. Mais dans un pays où la pollution atmosphérique atteint des niveaux alarmants, les autorités ont récemment interdit l’usage du fioul dans plusieurs centrales. Autre raison qui explique la situation : «La consommation monstrueuse des fermes à bitcoins», dénonce l’expert d’Ageromys. La plupart d’entre elles, illicites, seraient «occupées par des gardiens de la révolution». Téhéran a en effet besoin de cryptomonnaie pour ses échanges extérieurs. Les devises numériques lui permettent de contourner les problèmes liés au change et au système de paiement Swift, dont la République islamique est exclue. Toujours d’après les informations de Bercy, la résolution de la crise énergétique nécessiterait des investissements à hauteur de 250 milliards de dollars pour le secteur pétrogazier et 19 milliards de dollars pour le secteur électrique.
Pour Mahnaz Shirali, ces pénuries sont surtout le reflet d’une mauvaise gouvernance structurelle. «Même sans sanctions, ce régime, par son incompétence et sa diplomatie belliqueuse, n’est pas capable de diriger efficacement le pays, martèle-t-elle. Les Iraniens, qui peinent depuis des années à se nourrir, ne peuvent désormais plus se chauffer… Lorsque les institutions politiques ne fonctionnent pas, l’économie non plus.»