Par Eliott Brachet et Philippe Jacqué, Le Monde
Un partenariat sera signé dimanche au Caire Bruxelles, Le Caire bureau européen, correspondance Après la Tunisie, l’Egypte. Trois premiers ministres européens – Giorgia Meloni, la présidente du conseil italien, Alexander De Croo et Kyriakos Mitsotakis, les premiers ministres belge et grec – et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, étaient attendus dimanche 17 mars au Caire. Ils devaient y parapher une « déclaration commune » avec Abdel Fattah Al-Sissi, le président égyptien, pour la mise en place d’un partenariat global avec l’Union européenne (UE).
A la clé pour l’Egypte, un chèque de 7,4 milliards d’euros, comme l’a révélé le Financial Times le 13 mars. Cet accord intervient après l’annonce, début mars, d’un prêt de 8 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros) du Fonds monétaire international à l’Egypte et, mi-février, d’un plan d’investissements de 35 milliards de dollars des Emirats arabes unis.
Pour Bruxelles, l’urgence est d’éviter un écroulement de l’économie égyptienne, très dépendante de l’extérieur. Depuis le Covid-19 et la guerre en Ukraine, elle est plongée dans le marasme et les déficits budgétaires. De surcroît, le pays doit faire face aux conséquences de la guerre à Gaza et aux attaques houthistes en mer Rouge, qui ont réduit les revenus que le pays tire du passage des navires par le canal de Suez. Le tourisme, qui avait atteint des records en 2023, pourrait luiaussi pâtir de la guerre.
« Manque de transparence »
La Commission devrait apporter 5 milliards d’euros de soutien budgétaire à l’Egypte, dont 1 milliard d’euros d’ici juin. Les 4 autres milliards suivront à plus long terme. Le ministre des finances, Mohamed Maait, a confirmé cette somme, évoquant une aide de « 5 à 6 milliards de dollars ».
Les 2,4 milliards supplémentaires sont constitués de projets, souvent déjà annoncés, dans les énergies renouvelables et d’un important volet migratoire. L’UE doit ainsi financer des bateaux de surveillance des côtes, que la France s’est engagée à livrer, « même si les départs des côtes égyptiennes sont rarissimes », rappelle Sara Prestianni, de l’ONG Euromed Rights.
Des moyens seront proposés pour sécuriser les frontières avec le Soudan et avec la Libye. Depuis plusieurs années, l’agence européenne Frontex a constaté une hausse des entrées irrégulières d’Egyptiens (plus de 25 000 tentatives en 2022) par la Libye ou la Tunisie. En outre, l’Egypte accueille près de 500 000 réfugiés soudanais, selon les données des Nations unies, et certains cherchent à rejoindre l’Europe par le même chemin. A cela s’ajoute la crainte que des Palestiniens puissent entrer massivement dans le pays.
« L’Europe fait de la migration une priorité. Or, si les candidats au départ augmentent, c’est à cause de la crise économique, juge au Caire Timothy Kaldas, codirecteur du Tahrir Institute for Middle East Policy. Si elle veut que les Egyptiens restent, elle devrait exiger un accord avec des conditions strictes afin d’améliorer la gouvernance et de s’assurer que ces aides aillent réellement à la population. »
Selon le chercheur, « cet accord manque de transparence. Le volet sur la conditionnalité de l’aide financière reste flou. » Il rappelle l’accord signé à l’été 2023 entre l’UE et la Tunisie. Déjà, l’Europe avait proposé un soutien budgétaire, doublé d’un fort volet migratoire. Jeudi 14 mars, à Strasbourg, les eurodéputés ont d’ailleurs voté une résolution condamnant le versement par la Commission de 150 millions d’aides à Tunis sans condition. « Cela a été fait sans contrôle du Parlement et sans contrepartie du gouvernement tunisien en matière de respect des droits de l’homme, critique l’écologiste français Mounir Satouri. L’Egypte ne respecte pas les droits de l’homme. L’UE est en train de se transformer en banque mondiale des dictateurs ! »
En Egypte, l’accord fait grincer des dents les défenseurs des droits humains. Le maréchal AlSissi dirige le pays d’une main de fer, réprimant férocement ses opposants avec près de 60 000 prisonniers d’opinion. Sa politique vis-à-vis des réfugiés n’est pas plus tendre, selon la Plateforme pour les réfugiés en Egypte.
Le 14 mars, cette ONG a dénoncé le traitement appliqué aux réfugiés soudanais dans le pays. Ils sont souvent harcelés par les autorités, forcés de payer d’importantes sommes en dollars, parfois arrêtés et, dans certains cas, renvoyés de force au Soudan. Bref, conclut M. Kaldas, « il y a un vrai risque qu’un accord sur les migrations mène à plus de répression des migrants en Egypte. La Commission devrait s’assurer que ses financements soient échelonnés dans le temps et menacer de les suspendre si les droits de l’homme ne sont pas respectés. »