María Corina Machado : "L’Iran et le Hezbollah étendent leurs actions jusqu’au Venezuela"

Grande favorite des primaires de l’opposition vénézuélienne prévues le 22 octobre, cette "dame de fer" dont la popularité inquiète le régime de Maduro évoque les liaisons (très) dangereuses de Caracas avec Téhéran, Moscou et le Hezbollah.

Personnalité marquante du Venezuela, persécutée par le pouvoir, l’opposante María Corina Machado a été la première à combattre le régime de Hugo Chávez, transformé en véritable tyrannie sous Nicolás Maduro. Et cela, sans jamais se compromettre avec le pouvoir, qui, au fil des ans, est passé maître dans l’art de diviser l’opposition, parfois en achetant ses leaders.

Voici cette "dame de fer" de 56 ans portée par un mouvement populaire inédit des classes populaire qui veulent en finir avec la corruption et la violence d’un régime qui emprisonne, torture, affame et pousse ses habitants à l’exil. Si les élections étaient libres et transparentes, celle de "María Corina" à la présidentielle de 2024 (aucune date n’a encore été fixée pour le scrutin) ne ferait aucun doute tant sa popularité est massive et l’impopularité de Maduro, flagrante.

D’ici là, la candidate du mouvement Vente ("Viens !"), qui parcourt le pays en voiture depuis des années (le régime, qui la persécute par tous les moyens, lui interdit de monter dans un avion), doit remporter les primaires de l’opposition, organisées dans des conditions héroïques et prévues le 22 octobre. Parmi les 12 candidats, cette ingénieure dont les enfants sont en exil – interdite de sortie du territoire, elle ne les a pas vus depuis dix ans – est la grande favorite.

A quelques jours du scrutin, elle a accordé une interview à L’Express, que nous publions en deux parties. Dans celle-ci, portant sur la politique internationale (la seconde sera consacrée à la politique intérieure), elle évoque comment l’Iran a construit une relation de long terme avec le régime de Nicolás Maduro et comment le mouvement pro-iranien Hezbollah s’est immiscé dans son pays, qu’il utilise comme tête de pont au cœur des Amériques dans le cadre d’un axe Caracas-La Havane-Moscou-Téhéran. Objectif ? Déstabiliser les Etats-Unis dans ce qui était autrefois son pré carré. Entretien exclusif.

L’Express : Que vous inspire le commentaire de Nicolás Maduro, qui, en réaction aux massacres du Hamas en Israël, affirme que Jésus-Christ était "un Palestinien [doublé d’un] combattant anti-impérialiste [condamné à mort] par l’oligarchie de l’Empire espagnol" ? (Lequel, au demeurant, n’existait pas…)

María Corina Machado : Cette affirmation lamentable ne mérite pas d’être analysée. Elle ne représente en tout cas aucunement le sentiment des Vénézuéliens, qui rejettent tout type de violence et de terrorisme. Mes compatriotes savent aussi que les Palestiniens – dont ils n’oublient pas les souffrances – sont également des victimes du Hamas. Que Maduro ne condamne pas les massacres du 7 octobre ; qu’il n’exprime aucune empathie à l’égard des Israéliens, mais que, au contraire, il se positionne contre Israël, est incroyable, au-delà des mots.

Cela nous conduit à examiner les liens du Venezuela avec l’Iran, le Hezbollah et d’autres organisations criminelles. La relation Caracas-Téhéran n’est pas récente. Elle a commencé sous Hugo Chávez [NDLR : président de 1999 à son décès, en 2013], dont Nicolás Maduro était le ministre des Affaires étrangères, et s’inscrit dans un axe Cuba-Russie-Iran. Dès l’origine du "chavisme", Cuba a en effet réussi à prendre le contrôle du Venezuela. Et cela, sans tirer le moindre coup de feu. Fidel Castro et son régime ont pris l’ascendant et subtilement mis en place un tutorat sur Chávez. Aussitôt, ils l’ont entraîné dans la sphère russe. Car Cuba entretient avec Moscou une relation qui remonte au temps de l’URSS. La Havane a aussi noué dès les années 1960 des relations avec tous les mouvements révolutionnaires du Proche-Orient : Organisation de libération de la Palestine [OLP], Front populaire de libération de la Palestine [FPLP], etc.

Et l’Iran ?

Parallèlement à la Russie, Hugo Chávez a établi une relation étroite avec l’Iran, notamment à travers son grand ami Mahmoud Ahmadinejad, président de la République islamique de 2005 à 2013. Le nombre de voyages effectués par Chávez dans le monde musulman (notamment en Libye, en Syrie et en Iran) montrait déjà que, poussé par Cuba, il avait tourné le dos au monde occidental. Via l’Iran, des liens se sont noués avec le Hezbollah libanais, qui est aujourd’hui le bras armé de l’Iran en Amérique latine. Car l’Iran et le Hezbollah étendent leurs actions jusqu’au Venezuela.

Mais que vient faire le Hezbollah dans cette affaire ?

Comme la Russie, l’Iran, mais aussi le Hezbollah, ont fait du Venezuela leur tête de pont au cœur géographique des Amériques, tout près des Etats-Unis. Rien qu’en 2022, il y a eu 214 vols commerciaux entre Caracas et Téhéran. L’Iran a utilisé notre système bancaire pour échapper aux sanctions occidentales. Au Venezuela, il a trouvé un allié complaisant. Le régime chaviste possède en effet toute latitude pour fournir des faux passeports à des Iraniens. Ce qu’il a fait. Il se trouve, aussi, qu’au cours des dix dernières années, un quart de nos compatriotes ont fui le Venezuela pour s’installer dans tous les pays de l’Amérique du Nord et du Sud. Un quart ! C’est comme si 15 millions de Français partaient à l’étranger en une décennie !

D’ailleurs, le régime a intentionnellement provoqué cette migration, à la fois pour se débarrasser des forces vives qui pouvaient s’opposer à lui et pour déstabiliser d’autres pays, notamment les Etats-Unis. Munis de faux documents d’identité, des Iraniens, des Palestiniens ou des Libanais liés au Hezbollah – voire au Hamas – peuvent facilement se mêler au flux de migrants latinos et s’infiltrer aux Etats-Unis clandestinement. Pour l’Iran comme pour la Russie, l’arme des migrants est devenue un vecteur de la guerre asymétrique en vue d’infiltration et de déstabilisation.

Que recouvre, au juste, la relation Venezuela-Cuba-Russie ?

Tous les domaines. L’économie, la défense, la diplomatie, le renseignement, le commerce. Dès le commencement, Hugo Chávez a reconfiguré l’armée vénézuélienne en remplaçant les équipements occidentaux par du matériel russe ou chinois. Les achats d’armes à la Russie ont été estimés à un montant allant de 9 à 14 milliards de dollars.

“Par principe, Maduro est l'ennemi d'Israël”
La doctrine militaire vénézuélienne a, elle aussi, évolué. Elle inclut ainsi les notions de "guerre populaire prolongée" ou "d’ennemi de l’intérieur", deux concepts en vogue à Moscou comme à Téhéran ou à La Havane. Le Venezuela a aussi fait siennes d’autres conceptions que partagent la Russie et l’Iran : la guerre asymétrique, la déstabilisation par des moyens non conventionnels, la propagation de fake news, etc.

Outre des agents du Hezbollah, y a-t-il des membres ou des représentants du Hamas au Venezuela ?

Je ne saurais répondre à cette question. Mais, pour le contexte historique, rappelons que de nombreux "Syro-Libanais" se sont établis en Amérique latine voilà un siècle. De plus, la participation du Venezuela à l’Opep [l’Organisation des pays exportateurs de pétrole], dont elle est un des membres fondateurs, a depuis longtemps rapproché notre pays du monde musulman. Au quotidien, il est évidemment impossible de distinguer un Arabe, ou descendant d’Arabe, qui vit légitimement au Venezuela, d’un autre qui aurait des liens avec le Hezbollah. Ce qui est évident, en revanche, ce sont les affinités entre l’Iran et le Venezuela, qui poursuivent le même objectif : la déstabilisation du monde occidental.

L’autre point commun entre le Hezbollah et le régime de Maduro, c’est la nature criminelle de leurs activités. Ensemble, ils exploitent des mines d’or et de coltan en Amazonie, saccageant au passage la forêt tropicale et déplaçant des populations indigènes. Ils trafiquent aussi du pétrole en contournant les sanctions américaines. Et ils se servent de notre place bancaire qui est devenue un grand centre de blanchiment. Pour les Iraniens et les Russes – qui passent des vacances de rêve sur l’île paradisiaque de Margarita –, le Venezuela est un sanctuaire où ils opèrent hors la loi. Enfin, il est évident que, compte tenu de sa position géographique à proximité des Etats-Unis, notre pays possède une valeur stratégique énorme pour le Russie, l’Iran et la Chine.

On parle depuis quelques années de la présence de mercenaires du groupe Wagner aux Venezuela. Info ou intox ?

La présence d’éléments russes dans la région frontalière avec la Colombie paraît avérée. Il y a de nombreux témoignages en ce sens. Mais c’est impossible à prouver. Le danger, c’est que ces mercenaires entraînent des groupes paramilitaires, c’est-à-dire des civils et non des militaires. Armer des civils qui se fondent dans la masse pour fabriquer "un peuple en arme" susceptible de défendre la "révolution" chaviste à coups de fusil, voilà un autre point de ressemblance avec le Hamas, qui se cache parmi la population pour se rendre indétectable.

Hugo Chávez, à la veille d’un voyage chez Mouammar Kadhafi – où il avait reçu un "prix des droits de l’homme"… – a un jour qualifié Israël de "pays maudit". Qu’en pensez-vous ?

Hugo Chávez a toujours cherché à se donner un rôle en nouant des alliances avec des pays hostiles à l’Occident. Il y est parvenu en se rapprochant de Cuba, de la Russie, de l’Iran et de la Chine. Tous ces pays alliés du régime de Nicolás Maduro cherchent à saper et à détruire les valeurs de démocratie et de liberté qui sont les nôtres. Et qui sont aussi celles d’Israël. Par principe, Maduro, comme Chávez hier, est donc l’ennemi d’Israël.

L'Express