Par Chloé Woitier - Le Figaro
À deux mois de la présidentielle américaine, le PDG de Meta multiplie les gestes pour apaiser ses relations difficiles avec le candidat républicain, qui l’accuse d’avoir interféré avec le scrutin de 2020.
« Nous avons Mark Zuckerberg à l’œil. S’il fait quelque chose d’illégal, il passera le reste de sa vie en prison - comme tous ceux qui interféreront avec la présidentielle de 2024. » Cet avertissement, qui figure dans son livre Save America, à paraître ce mardi, est signé Donald Trump. En légende d’une photo de lui et du PDG du groupe Meta, l’ex-président des États-Unis dénonce l’hypocrisie supposée de l’entrepreneur, « qui vient dîner avec sa charmante épouse à la Maison-Blanche, qui se montre aussi sympathique qu’on puisse l’être, tout en complotant » dans son dos afin d’empêcher sa réélection en 2020, affirme-t-il, sans apporter de preuves.
Ces quelques lignes disent tout de la pression que met lecamp républicain sur le patron de Facebook à deux mois de l’élection présidentielle. Elle illustre aussi l'opinion exécrable que le candidat républicain entretient envers le roi des réseaux sociaux. «Si on se débarrasse de TikTok, alors Facebook et Zuckershmuck (erreur volontaire et insultante, NDLR) vont gagner deux fois plus d’argent. Je ne veux pas que Facebook aille mieux. Ils sont les véritables ennemis du peuple!», clamait en mars dernier celui qui, quatre ans plus tôt, voulait pourtant bannir le réseau social chinois …
Donald Trump n’a jamais digéré d’avoir été exclu de Facebook et d’Instagram au lendemain des émeutes du Capitole de janvier 2021. Mais le camp conservateur entretient aussi l’idée que Mark Zuckerberg et son épouse, Priscilla, auraient aidé à la victoire de Joe Biden grâce à un don illégal de 400 millions de dollars.
Les époux ont versé en 2020 ces «Zuckerbucks»,comme les surnomment certains républicains, à deux ONG qui les ont ensuite reversés à des milliers de bureaux de vote sous-financés. Objectif officiel: aider ces derniers à faire face aux frais inattendus d’un scrutin en temps de pandémie: mise en place de bureaux «sans contact», traitement des bulletins envoyés par correspondance… Selon le camp Trump, cet argent aurait, en fait, bénéficié aux circonscriptions favorables aux démocrates. La polémique, qui nourrit la rhétorique d’une «élection volée», est telle que, à ce jour, 27 États américains ont interdit ou strictement encadré ce type de donation privée.
Difficile pour Meta d’ignorer ces menaces alors que J.D. Vance, le colistier de Donald Trump, appelle à démanteler les grandes entreprises américaines de la tech. Mark Zuckerberg semble donc bien décidé, ces dernières semaines, à arrondir les angles avec les conservateurs. Le 19 juillet, le PDG est ainsi revenu sur la tentative d’assassinat contre le candidat républicain. «Voir Donald Trump se relever, le poing en l’air, avec le drapeau américain… c’est l’une des choses les plus“badass” que j’ai vu de ma vie, s’extasie-t-il au micro de Bloomberg. En tant qu’Américain, il est difficile de ne pas être ému par cet esprit de combat, et je pense que c’est la raison pour laquelle beaucoup de gensl’apprécient.»
Commission d’enquête
Outre la flatterie, le milliardaire s’est engagé fin août à ne soutenir aucun des deux candidats à la Maison-Blanche. «Mon objectif est d’être neutre et de ne pas jouer un quelconque rôle dans ce scrutin - ou même d’avoir l’air d’en jouer un. Je ne ferai donc aucune donation lors de ces élections», écrit-il.
Cet engagement apparaît dans une lettre, qui a été brandie comme un trophée par le Parti républicain. Dans cette missive adressée au député Jim Jordan, qui mène une commission d’enquête sur la supposée censure des discours conservateurs sur les réseaux sociaux, le PDG de Meta évoque les «pressions répétées des hauts fonctionnaires de l'administration Biden» pour que son groupe «censure» en 2021 «certains contenus autour du Covid-19, y compris l'humour et la satire». «Je crois que la pression du gouvernement était une erreur, et je regrette que nous n'ayons pas davantage pris la parole à ce sujet », poursuit Mark Zuckerberg, tout en précisant que les décisions de retirer ou non les contenus étaient celles du groupe Méta, «et nous les assumons». «C’est une victoire pour la liberté d’expression», ont commenté les élus républicains.
«Pourquoi Zuckerberg a envoyé une telle lettre ?Pour signaler aux républicains qu’il n’a rien contre eux», commente Nina Jankowicz, spécialistede la lutte contre la désinformation. Katie Harbath, ancienne directrice des politiques de modération de Facebook (2011-2021), rappelle dans sa newsletter que «Meta, qui est coincé entre le marteau et l'enclume» des camps républicains et démocrates, «joue avec cette lettre sur une ligne très fine». «Mark (Zuckerberg) ne souhaite vraiment pas être mêlé aux polémiques politiciennes cet automne», poursuit-elle. Les prochaines semaines montreront si sa stratégie d'apaisement fonctionne.