Mer Rouge : les armateurs croisent les doigts pour que la situation ne dégénère pas

Mer Rouge : les armateurs croisent les doigts pour que la situation ne dégénère pas
الخميس 14 ديسمبر, 2023

Les armateurs craignent que la situation s'aggrave. Les primes d'assurances s'envolent en mer Rouge, à la suite des attaques des rebelles Houthis contre des navires marchands, sous prétexte d'aider le Hamas contre Israël.

Anne Bauer et Denis Fainsilber - Les Echos

Pour l’heure, les armateurs n’ont pas encore pris de position publique, soucieux de ne pas ajouter de la braise dans une région explosive. Mais l’inquiétude monte.

Une fois de plus, le trafic maritime est menacé sur l’une de ses principales routes. Depuis trois semaines, la multiplication des attaques armées émanant des rebelles houthis contre les navires marchands au large du Yémen menace les armateurs du monde entier, qui empruntent cette zone de passage entre l’Asie et l’Europe.

Ce grand carrefour voit passer dans les deux sens 10 % du commerce mondial. Quelque 22.000 navires empruntent ces eaux chaque année. La mer Rouge et le golfe d’Aden, en passant par le détroit de Bab el Mandeb (103 km de long mais 27 km de large), sont une voie de passage obligée sur la route du canal de Suez, débouchant sur la Méditerranée.

Tous types de navires s’y croisent : porte-conteneurs, chimiquiers, supertankers, vraquiers, navires portes voitures, etc. Selon les données de Lloyd’s List Intelligence, le nombre de bâtiments croisant dans la zone est resté normal depuis le début des attaques.

Durant les deux semaines précédant les premiers signes belliqueux venus du Yémen, 381 bateaux marchands naviguaient chaque jour en moyenne en mer Rouge. Et cette moyenne a progressé à 390 navires quotidiens pendant la seconde quinzaine de novembre, en hausse par rapport à l’an dernier, selon les données du cabinet spécialisé.

Toutefois, l’avant-dernière attaque commise par les Houthis a franchi une ligne jaune. L’attaque contre le pétrolier-chimiquier Strinda, qui a eu lieu dans la nuit de lundi à mardi, a concerné un navire qui n’a aucun lien avec Israël : le « Strinda ».

En outre, les Houthis ont utilisé une arme de guerre, un missile normalement réservé au combat naval ! « Un missile qui tape un bateau de commerce, c’est un acte de guerre, pas de la simple piraterie », souligne-t-on au ministère des Armées. Et mercredi, un bâtiment de la marine américaine, le destroyer Mason, a abattu un drone lancé depuis le Yémen par les rebelles houthis dans sa direction, en réponse à des informations faisant état d’une attaque contre un navire commercial.

Au début du conflit entre Israël et le Hamas, les rebelles houthis, armés par le régime iranien, avaient jusqu’à présent seulement promis de viser, au moyen de drones, de roquettes ou de missiles, les navires liés à l’Etat hébreu. « Tous les navires israéliens ou liés à Israël deviendront une cible légitime », avaient-ils prévenu.

En temps normal, 7 % des navires touchant régulièrement les ports israéliens empruntent la route de la mer Rouge, ajoute Lloyd’s List.

Mais la menace des rebelles ne cesse de s’élargir comme en témoignent les attaques récentes contre plusieurs navires, battant pavillon des Bahamas, de Panama ou de Norvège, sans affiliation apparente avec l’Etat hébreu.

Au-delà de la nationalité des armateurs ou des affréteurs, se retrouvent aussi en première ligne les divers bateaux ayant fait escale à Haïfa, Tel-Aviv ou Ashdod. D’où une réaction immédiate des grands assureurs maritimes, qui ont fait monter les primes d’assurance des navires de diverses nationalités pour croiser en mer Rouge. Le groupe Maersk évoque des hausses de 200 % des primes d’assurance dans la zone depuis octobre.

Pas de parade simple
Pour les marins, une parade consiste à couper le signal AIS (Automatic Identification System), un procédé déjà utilisé en mer Noire depuis la guerre en Ukraine, pour ne pas laisser une signature trop visible aux assaillants. Mais selon les premiers relevés de Lloyd’s List, le nombre de transpondeurs coupés en mer Rouge n’est pas beaucoup plus élevé qu’avant les nouvelles menaces, l’étroitesse du détroit rendant cette parade très peu efficace.

Samedi, les Houthis avertissaient qu’ils empêcheraient le passage de tous les bateaux naviguant vers Israël, si ce pays n’autorisait pas davantage d’aide humanitaire dans Gaza. Mais ce prétexte lui-même ne se vérifie pas : le « Strinda » n’allait pas livrer du pétrole en Israël, comme l’a prétendu un porte-parole des Houthis, mais se dirigeait vers l’Italie. «

Si les Houthis se mettent en tête d’attaquer tous les navires battant pavillons européens simplement parce qu’ils considèrent que les pays européens sont trop proches d’Israël, la situation peut très vite devenir explosive », constate Frédéric Denèfle, directeur général du Groupement d’assurance de risques exceptionnels (Garex), spécialisé dans les risques de guerre en mer.

Rallonger la route
Pour l’heure, les tarifs d’assurance montent en flèche dans la zone. Et si les attaques se multiplient, les navires devront changer de route. Passer par le cap de Bonne-Espérance peut offrir une alternative, mais c oûteuse.

L’armateur israélien Zim, le numéro 10 mondial du secteur avec 2,1 % des capacités totales des porte-conteneurs selon le cabinet Alphaliner, a ainsi choisi de dérouter toute sa flotte par l’extrémité de l’Afrique. Mais cette solution rallonge les trajets de deux à trois semaines et fait donc monter les coûts du transport.

Les prix du pétrole s’étant repliés, les conséquences inflationnistes peuvent pour l’instant être maîtrisées. Mais l’imprévisibilité de la situation angoisse les transporteurs maritimes. D’autant plus que les Houthis gardent toujours en otage le Galaxy Leader, un navire d’une valeur de 100 millions d’euros, opéré par un armateur japonais, qu’ils ont abordé en envoyant des vidéos au monde entier.

Ils n’ont pas non plus libéré l’équipage, quelque 25 personnes dont des Bulgares, des Philippins, des Mexicains et des Ukrainiens, malgré les demandes déposées par le gouvernement japonais. Dans un communiqué diffusé mercredi 13 décembre, l’association Human Rights Watch rappelle d’ailleurs que toutes les attaques « qui visent des civils et des objets civils sont des crimes de guerre » et dénoncent cette détention d’otages.