Les Etats-Unis ont annoncé la création, avec une dizaine d’autres pays, d’une task force navale visant les rebelles yéménites, hostiles à l’Israël et soutenus par l’Iran
Pascal Airault - L'Opinion
Les faits - La France a annoncé, mardi, qu’elle participerait « sous commandement national » à la coalition initiée par les Etats-Unis visant à préserver la libre circulation dans la Mer Rouge. La marine tricolore déploie en permanence des capacités dans cette zone, avec les missions européennes Agénor et Atalante et le soutien à des coalitions navales comme la Combined Task Force 153, sous leadership américain. Le 11 décembre, la frégate Languedoc a riposté aux attaques des Houthis qui visaient le tanker norvégien Strinda.
L’opération baptisée « Gardien de la prospérité » ne séduit pas vraiment les dirigeants arabes. La Maison blanche n’a pas réussi à rallier au-delà du cercle occidental malgré le déplacement de Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, au Moyen-Orient, et l’implication de Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden.
Résultat : six Etats européens (Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne et France) et le Canada vont participer à la coalition anti-Houthis sous leadership américain pour préserver la libre circulation dans la Mer Rouge. Les Seychelles, chapelet d'îles largement inhabitées, s'y sont aussi jointes, mais pas les monarchies du Golfe à l'exception de Bahreïn. Cet autre archipel de la côte orientale du golfe Persique n'a pas pu dire non. Manama, sa capitale, abrite en effet l'Etat major de la force navale américaine dans la région.
C'est un camouflet alors que les rebelles du Yémen ont pris pour cible plusieurs pétroliers et cargos ain de soutenir le Hamas dans sa guerre contre Israël. Au cours du week-end, les marines américaine et britannique ont abattu 15 drones lancés depuis les zones du Yémen contrôlées par les rebelles. Ce proxy de l'Iran perturbe surtout le transport maritime et contribue à la hausse des prix du pétrole. Plus de 12 % du commerce mondial transite par la mer Rouge.
Royalties. Un des pays les plus touchés est l'Egypte. Mais le président Abdel Fattah al-Sissi, qui vient juste d'être réélu à la tête du pays, ne souhaite visiblement pas intervenir contre les rebelles soutenus pas l'Iran. Il se mettrait, de plus, son opinion publique à dos. Celle-ci cautionne largement l'action des Houthis par solidarité avec le peuple de Gaza.
Pourtant, la menace houthi est bien présente. Elle pèse notamment sur les touristes du Sinaï. La défense aérienne égyptienne a abattu la semaine dernière un drone au large des côtes sur de la mer Rouge, près de la station balnéaire de Dahab. Le Caire devrait aussi être durement frappé au portefeuille.
La major pétrolière BP Plc, les armateurs MSC ainsi que A.P. Moller-Maersk déroutent déjà une partie de leurs navires vers les côtes de l'Afrique occidentale. Un manque à gagner alors que le canal de Suez, long de 192 km est la route maritime la plus rapide entre l'Asie et l'Europe. C'est une voie très empruntée pour l'acheminement des hydrocarbures. Plus de 9 millions de barils de pétrole par jour ont transité par le canal au cours du premier semestre 2023, soit 9 % de la demande mondiale. Les royalties payées à l'Egypte ont atteint un record de 9,4 milliards de dollars cette année. Le pays n'est pas en mesure de supporter un arrêt du traffic.
Les efforts des Etats-Unis se heurtent aussi aux désaccords entre deux autres alliés arabes de Washington impliqués de 2015 à 2022 dans la longue guerre civile au Yémen. Or, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis soutiennent des factions concurrentes des Houthis et ont opté pour des stratégies de traitement différentes avec les Houthis.
L'Arabie saoudite soutient une approche mesurée. Principale crainte : que le retour de la belligérance n'incite les Houthis à devenir encore plus agressifs avec des risques de remise en cause de la trêve fragile dans la guerre du Yémen. Riyad tente de parvenir à un cessez-le-feu permanent et éviter une guerre régionale alors que ses relations se sont réchaufées avec l'Iran. Ses dirigeants ont encore en mémoire l'attaque de drone sur une usine de traitement du brut qui avait momentanément réduit de moitié la production nationale, en 2019.
« L'initiative américaine est intéressante, notamment pour partager le renseignement, a souligné Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, devant les députés français. Les coalitions sur mesure sont nécessaires et il faut emmener les partenaires de la région. »
Solidarité. Mardi soir, ce dernier devait recevoir à Paris son homologue saoudien, Khaled ben Salmane. La libre circulation en mer Rouge était au menu des discussions avec le frère du prince héritier, Mohammed ben Salmane.
Les Emirats arabes unis semblent les plus enclins à appuyer une action militaire mais ne veulent pas être le seul pays important de la région à la porter, d'autant que les Houthis s'en sont aussi pris à leurs infrastructures par le passé.
Enfin, ce n'est pas dans la tradition du sultanat d'Oman, facilitateur de paix dans la région, de participer à de telles initiatives. Selon Bloomberg, Mascate aurait ouvert un canal de discussion indirect entre les Houthis et la Maison blanche. Mais celui-ci n'a pas abouti. Les rebelles assurent qu'ils continueront leurs attaques tant qu'Israël poursuivra son ofensive dans la bande de Gaza.
« Dans le contexte volatil actuel, les dirigeants des pays du Golfe ne veulent pas exposer inutilement leur territoire à des tirs de missiles en représailles, analyse Emmanuel Maged, consultant sur le Moyen-Orient. Ils n'ont pas non plus envie de passer aux yeux de leur opinion publique pour des collaborateurs d'Israël alors que les Houthis prétendent agir seulement contre les navires à destination de cet Etat, en solidarité envers le peuple gazaoui. »