Entretien Au lendemain de l’annonce du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, mercredi 15 janvier, Mgr Rafic Nahra, évêque auxiliaire du Patriarcat de Jérusalem, se dit soulagé tout en gardant une certaine prudence. Il espère que cette étape marquera un nouveau départ vers une solution politique au conflit israélo-palestinien.
La Croix : Quelle a été votre réaction à l’annonce du cessez-le-feu le 15 janvier ?
Mgr Rafic Nahra : Un sentiment de soulagement et de répit, mais prudent, parce que la situation est très fragile. C’est encore une petite plante. Mais cette fois-ci, cela a l’air sérieux. Espérons que les violences s’arrêtent parce que les souffrances ont été considérables de tous côtés. Et ce n’est qu’un premier pas de cet accord par étapes de quarante-deux jours au cours desquels les uns et les autres devront respecter les règles du jeu.
Ceux qui sentiront le changement immédiat sont les Gazaouis et les familles des otages qui ont vécu des événements traumatiques. Le patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pierbattista Pizzaballa, est en contact quotidien avec la paroisse de Gaza. Tout au long de la guerre, avec beaucoup d’efforts, nous avons réussi à leur faire parvenir des produits alimentaires et des médicaments, nécessaires pour vivre. Les biens que nous envoyions n’étaient pas donnés uniquement à la petite communauté chrétienne de Gaza, ils étaient partagés généreusement avec les familles alentour. L’aide de l’Église était précieuse mais limitée, étant donné l’étendue du désastre. Aujourd’hui, nous espérons que cet accord fonctionne tout en étant bien conscients qu’il sera fragile tant qu’une solution au conflit israélo-palestinien ne sera pas trouvée.
Qu’attendez-vous ?
R. N. : Ce conflit dure depuis des dizaines d’années. Les accords obtenus par le passé n’ont pas tenu. Cette fois-ci, il faut vraiment qu’une solution juste soit trouvée, qui assure la dignité et la sécurité de tous. Personnellement, il me semble évident que les 5 millions de Palestiniens qui vivent dans les Territoires palestiniens doivent pouvoir bénéficier d’une réelle autonomie pour pouvoir vivre dignement. En même temps, il faut que la sécurité de l’État d’Israël soit assurée. Cette solution est indispensable car, malheureusement, les dizaines d’années précédentes nous ont montré que tant que le conflit n’est pas résolu, la violence reprend à un moment ou à un autre.
À Nazareth, où vous vivez, vous disiez il y a quelques mois que les relations s’étaient considérablement tendues entre Juifs et Arabes israéliens, dont un certain nombre sont chrétiens. Ce cessez-le-feu peut-il améliorer les relations ?
R. N. : À Nazareth, la nouvelle phase n’a pas attendu le cessez-le-feu. Les premiers mois de la guerre ont beaucoup marqué les relations mutuelles entre Juifs et Arabes. Les discours de soupçon et de refus de l’autre, alimentés par des paroles politiques, ont eu une influence très forte dans la société. Pendant la guerre, beaucoup de Juifs et d’Arabes israéliens ont continué à collaborer ensemble, mais des jeunes Arabes pouvaient aussi avoir du mal à trouver du travail, victimes de stéréotypes comme celui selon lequel les Arabes seraient violents.
Mais ces derniers mois, j’ai perçu une volonté de renouer les liens et de faire en sorte que la vie reprenne. Avant la guerre par exemple, la basilique de Nazareth était visitée par un grand nombre de Juifs israéliens des villes alentour qui en profitaient pour prendre un café ou manger une pâtisserie. Tout cela s’est complètement arrêté après le 7 octobre 2023, les gens avaient peur et plus personne n’est venu pendant plusieurs mois. Depuis quelque temps, les visites reprennent doucement.
Aujourd’hui, il faut impérativement reconstruire la confiance et passer d’un discours qui divise à des paroles qui guérissent et rapprochent. Il n’y a rien à faire : en Israël, Juifs et Arabes vivent ensemble.
Pensez-vous que le cessez-le-feu peut annoncer le retour des pèlerins en Terre sainte ?
R. N. : Vivement qu’ils reviennent ! À tous points de vue : matériellement, les pèlerinages permettaient de vivre à beaucoup de familles qui tiennent des hôtels, des restaurants et des magasins. Ceux-là n’ont plus aucun revenu depuis plusieurs mois. Les pèlerins sont aussi indispensables spirituellement : leur présence donne âme et vie aux Lieux saints, qui sont actuellement des lieux désolés. Les Lieux saints ne sont pas faits pour être des pierres inertes. Et quand les pèlerins viennent, ils nous rencontrent, nous les chrétiens locaux, et cela nous encourage. Ces visites permettent de rattacher notre petite Église avec l’Église universelle.
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► Les responsables catholiques se réjouissent du cessez-le-feu
Dans un communiqué publié le 16 janvier, les Ordinaires catholiques de Terre sainte se félicitent de l’annonce du cessez-le-feu à Gaza, et espèrent qu’il « marquera une fin importante à la violence qui a causé des souffrances incommensurables » et « le début d’une nouvelle voie vers la réconciliation, la justice et une paix durable ». Ils estiment toutefois que celle-ci ne peut être obtenue que « par une solution juste qui s’attaque à l’origine de cette lutte de longue date ». Ils appellent également les dirigeants politiques et la communauté internationale à « développer une vision politique claire et juste pour l’après-guerre ».