Mohammed al-Thani: « Quiconque est un obstacle à la paix doit s'effacer »

Mohammed al-Thani: « Quiconque est un obstacle à la paix doit s'effacer »
الخميس 14 ديسمبر, 2023

Exclusif. Principal médiateur dans le dossier des otages entre Israël et le Hamas, le Premier ministre du Qatar, le cheikh Mohammed ben Abdulrahman al-Thani, répond au Point.

PROPOS RECUEILLIS À DOHA PAR LUC DE BAROCHEZ - Le Point

Le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de l'État du Qatar, le cheikh Mohammed ben Abdulrahman al-Thani, dirige la médiation entre Israël et le Hamas qui a abouti, grâce aussi à l'implication des États-Unis et de l'Égypte, à une pause humanitaire dans les combats à Gaza. Renouvelée à deux reprises, la trêve a permis, entre le 24 novembre et le 1 décembre, la libération de plus de 100 otages, notamment des femmes, des enfants et des travailleurs étrangers. Israël pense qu'il reste encore 137 otages aux mains du Hamas (dont quatre Français), sur les quelque 240 capturés lors de l'opération terroriste du 7 octobre. En marge du Forum de Doha, qui réunit chaque année au Qatar des responsables politiques du Proche-Orient et des analystes géopolitiques, le Premier ministre a pris le temps de recevoir Le Point pour un débriefing.

Le Point: Est-il difficile de jouer le rôle de médiateur dans une telle guerre?

Mohammedal-Thani: Ce n'est certes pas facile... Mais, au bout du compte, tout ce qu'un médiateur peut raisonnablement espérer, à savoir préserver la vie de personnes innocentes, mettre fin à un conflit, épargner une catastrophe humanitaire, cela vaut la peine d'être tenté, vous savez, et cela vaut aussi la peine d'être scruté, comme nous le sommes pour le rôle que nous jouons.

Pourquoi les pourparlers menés entre Israël et le Hamas grâce à votre médiation ont-ils échoué le 1er décembre, après la libération de plus de cent otages ?

Je ne dirais pas que les pourparlers ont échoué, c'est plutôt l'accord qui a capoté, alors que nous approchions de la fin de sa mise en œuvre. Le domaine couvert par l'accord n'était pas aussi vaste qu'on aurait pu l'espérer. Le désaccord final portait sur la définition des femmes otages qui restaient. C'est ce qui a vraiment mis fin à tout. Pas vraiment une fin, d'ailleurs, je dirais plutôt une pause. C'est regrettable. Nous pensions que les parties auraient plus confiance dans le processus; nous espérions qu'elles nous donneraient plus de temps pour trouver une solution à ce désaccord et conclure un compromis. Le processus lui-même a abouti à la libération de 109 otages. Cela montre que la négociation peut conduire non seulement à des libérations, à ramener les gens en sécurité chez eux, mais qu'elle peut également contribuer à atténuer les souffrances humaines à Gaza.

Y a-t-il encore des discussions en cours?

Pas au même rythme, cela n'est plus comparable avec les pourparlers qui nous avaient permis de conclure un accord. Mais nous espérons que, le moment venu, les choses pourront reprendre à un meilleur rythme.

Que faudrait-il pour que tous les otages soient libérés?

A mon avis, c'est une question qui devrait plutôt être posée au Hamas. Mais vous savez, il faut bien comprendre certaines dynamiques. D'habitude, dans toute situation de guerre, les négociations sur les otages ont lieu après le cessez-le-feu. Il est donc exceptionnel que les négociations se soient déroulées pendant les combats et qu'elles aient constitué en elles-mêmes une raison pour décider une trève. Dans la situation actuelle, l'intensité de la campagne militaire rend notre travail très compliqué et très difficile. Mais les instructions que nous avons reçues de l'émir étaient très claires dès le premier jour de la guerre: nous concentrer sur la récupération des otages. Nous avons commencé à trouver un moyen de les faire sortir. Nous n'acceptons pas ce qui s'est passé avec l'attaque du 7 octobre, qui ne doit être ni justifiée ni sortie de son contexte. Les otages, a fortiori les civils innocents, ne portent aucune culpabilité; ils ne doivent pas être punis. C'était notre position dès le départ. De fait, nous avons commencé les pourparlers dès le deuxième jour de la guerre. Malheureusement, les Israéliens n'étaient pas engagés dans le processus à ce moment-là, puis ils ont fini par accepter d'y participer, ce qui nous a conduits à la trêve. Aujourd'hui, pour que tous les otages soient libérés, il faudra certainement des allers-retours dans la discussion pour identifier quel sera le ratio d'échange.

Israël affirme que sa campagne militaire et la pression qu'elle fait peser sur le Hamas sont nécessaires pour libérer les otages...

Je ne suis pas d'accord avec cet argument. C'est le contraire qui a permis à la négociation de se dérouler. Les négociations étaient beaucoup plus faciles avant le début des hostilités et leur intensification. La campagne militaire ne fait que compliquer notre travail. Les hostilités changent la situation sur le terrain, ce qui pousse les parties à modifier leurs exigences. Nous avons pu l'observer tout au long des pourparlers: plus la guerre s'intensifie, plus les exigences de la partie adverse deviennent élevées.

Qu'est-ce qui pourrait être fait dans l'immédiat pour obtenir un cessez-le-feu et mettre un terme à la guerre à Gaza?

Cette question-là, il faudrait la poser aux Israéliens. Ils ont fait connaître leur objectif de détruire le Hamas et d'obtenir la libération des otages. Je ne sais pas si la guerre s'arrêterait si un seul des objectifs était atteint. Il faudrait savoir également si ce qui a été déclaré par les Israéliens correspond vraiment à la totalité de leurs objectifs ou s'ils ont autre chose en tête. Tout ce à quoi nous assistons. depuis soixante jours le nombre de personnes tuées, l'ampleur des destructions à Gaza - ressemble plus à une vengeance qu'à une simple riposte ou à un besoin de restaurer la dissuasion. La plupart des personnes tuées sont des femmes et des enfants, qui n'ont rien à voir ni avec le Hamas ni avec ses attaques. Pourquoi les punir pour quelque chose qu'ils n'ont pas fait? Nous voyons malheureusement que cela continue et nous constatons que le fait d'appeler à un cessez-le-feu reste une question controversée au sein de la communauté internationale.

Justement, comment jugez-vous la réaction de la communauté internationale face à cette guerre?

Nous l'avons dit clairement depuis le début: nous constatons, à notre grand regret, que les critères d'évaluation et les normes utilisés pour juger ce conflit sont différents de ceux de toute autre guerre. Ce qui est considéré à d'autres occasions comme relevant du crime de guerre est vu ici comme de la légitime défense. Personne ne nie le droit de légitime défense, mais le droit international doit être appliqué dans son ensemble. On ne peut pas en prendre uniquement certains éléments et ignorer les autres. Il s'agit donc, au fond, de deux poids, deux mesures. Voila comment nous analysons la réaction de la communauté internationale, et cela nous préoccupe. Nos partenariats, par exemple avec les États-Unis ou avec l'Europe, sont très forts. Nous avons coopéré avec eux sur de nombreux sujets. Mais, aujourd'hui, la position que ces pays adoptent nous place dans une position difficile par rapport à notre peuple. On nous dit: « Comment pouvez-vous prendre comme partenaires des pays qui ne vous soutiennent pas, alors que vous-mêmes les soute nez ? »

Était-il utile que les États-Unis mettent leur veto au dernier projet de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU appelant à un cessez-le-feu?

Nous avons été déçus par leur décision de mettre leur veto, car, honnêtement, nous avons été très, très prudents avec cette résolution, afin d'éviter toute polémique et dans le but d'en faire une résolution purement humanitaire. Ce texte visait à réclamer une pause humanitaire, pour répondre à un besoin humanitaire et pour soulager les souffrances de la population. Ce qui se passe en ce moment à Gaza est sans précédent. L'accès des organisations humanitaires est entravé. L'ONU ne peut pas fonctionner. Le nombre d'employés des Nations unies tués dans cette guerre dépasse tout ce que nous avons connu jusque là. Il y a beaucoup de choses qui sont mises en œuvre à Gaza qui n'ont pas de précédent. Les civils n'ont aucun endroit sûr où ils pourraient se réfugier. C'est la seule guerre où l'on a vu les habitants être poussés du nord vers le sud, puis du sud vers l'extrême-sud. Où pourraient-ils aller ensuite?

Le gouvernement israélien actuel peut-il être un partenaire pour la paix?

Je ne peux pas donner mon opinion sur un gouvernement étranger, mais force est de constater que, depuis deux décennies, plusieurs plans de paix ont été proposés et que les Israéliens n'en ont accepté aucun. Le seul plan de paix qui a connu un début d'application était le processus d'Oslo, sous Yitzhak Rabin, dans les années 1990. A cette époque, nous-mêmes avions confiance en la paix. En 1997, nous avons signé un accord avec les Israéliens pour normaliser la situation avec eux. C'était un pas positif. Mais quand nous avons vu les brutalités commises lors de la guerre de 2008-2009, nous sommes retournés à la situation précédente. Aujourd'hui, il est évident que les événements en cours et la catastrophe humanitaire poussent n'importe quel pays raisonnable à penser que la solution à deux Etats est l'unique chemin possible vers la sécurité et la paix. Le nier, en tentant d'ignorer le fait que ces gens ont besoin de leur souveraineté et de leur indépendance, n'est plus possible.

Mais après l'attaque terroriste du Hamas le 7 octobre, et alors que la guerre fait rage depuis, une telle coexistence entre deux États, un israélien et un palestinien, est-elle encore possible?

Elle est plus possible et nécessaire que jamais. Il est de plus en plus évident qu'il n'y aura jamais de paix et de sécurité tant qu'un territoire sera occupé, tant que des colons extrémistes se comporteront de la sorte. Même avant le 7 octobre, en Cisjordanie, il y avait plus de morts palestiniens que jamais auparavant. Nous en sommes à plus de 1 000 Palestiniens tués en Cisjordanie. On évoque la violence des colons... Moi, j'appelle ça du terrorisme de leur part.

Et Gaza? L'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas est-elle apte à gouverner ce territoire après la guerre ?

En premier lieu, déjà aujourd'hui, la plupart des employés des ministères et des institutions de Gaza sont des employés de l'Autorité palestinienne, qui les rémunère. Donc, fondamentalement, l'Autorité palestinienne n'a pas quitté Gaza opérationnel. Il y a un problème puis au niveau de leadership de- que le Fatah et le Hamas se sont divisés en 2006, mais l'institution est bien là. Cependant, peut-on envisager que Mahmoud Abbas entre à Gaza à la suite de la guerre? Lui-même et les autres responsables de l'Autorité palestinienne nous ont assuré qu'ils n'y retourneraient pas sur un char israélien. Toute direction palestinienne doit être issue d'un consensus palestinien.

Le Hamas est-il un obstacle à la paix?

A mon avis, une fois que la paix sera possible, quiconque sera un obstacle à la paix devra s'effacer. Quiconque sera un obstacle à une solution juste et pacifique devra se retirer. C'est valable pour les deux côtés.

Dans le cadre d'un règlement, l'État du Qatar pourrait accueillir sur son sol certains dirigeants du Hamas de Gaza? une plateforme de paix, de

En réalité, le Qatar est une plateforme de paix, de pourparlers, de communication, une plateforme de dialogue entre les parties. Cela ne signifie pas de notre part l'approbation d'une des parties. Au bout du compte, quelle que soit la communication nécessaire, nous l'établirons pour apporter la paix. Et quiconque souhaite devenir résident au Qatar devra se conformer aux règles et aux réglementations de l'Etat du Qatar et ne devra pas y contrevenir.

Le Qatar avait conclu un accord avec Israël pour financer le Hamas...

Soyons clairs: pour financer Gaza. Notre accord avec les Israéliens consiste à payer les salaires de fonctionnaires à Gaza, à verser des subventions aux familles vivant sous le seuil de pauvreté - qui reçoivent de notre part un don de 100 dollars par famille et par mois - et à acheter des hydrocarbures aux Israéliens pour faire fonctionner l'électricité de Gaza. Cet accord a été appliqué depuis huit ans. Malheureusement, il a toujours été utilisé à mauvais escient dans les médias, où certains le présentaient comme un financement du Hamas. Cela n'a jamais été le cas. Tout était très transparent, très légal, coordonné avec les Nations unies, avec le gouvernement israélien et aussi en partenariat avec les États-Unis, qui ont une visibilité sur tout.

Est-il vrai que le gouvernement israélien avait, à peine quelques jours avant le 7 octobre, demandé au Qatar de poursuivre les paiements?

Oui. Le Qatar avait clairement fait savoir, depuis des années, que cette situation ne pouvait pas durer. Nous ne pouvions pas simplement renouveler le système de rémunération des fonctionnaires sans trouver une solution, premièrement, pour soutenir l'unité palestinienne - que les Israéliens n'étaient à mon sens pas désireux de réaliser et, deuxièmement, pour obtenir la stabilité à Gaza, pour lui fournir une véritable bouée de sauvetage, afin d'être assurés qu'il n'y aurait pas d'attaques provenant de Gaza qui pourraient compromettre la viabilité de ce territoire. Malheureusement, les Israéliens n'ont pas voulu s'impliquer dans un tel accord ou le soutenir. Il nous semble que cela ne servait pas leurs intérêts à l'époque.

Craignez-vous que la guerre à Gaza, si elle se prolonge, s'étende dans la région?

C'est un risque. Et plus la guerre se prolonge, plus le risque d'extension du conflit est élevé.

Pourquoi l'État du Qatar poursuit-il ce travail de médiation?

Nous ne le faisons pas seulement entre le Hamas et Israël, mais aussi entre la Russie et l'Ukraine, sur la question du rapatriement des enfants, et aussi en Afghanistan, au Liban, au Soudan, entre Djibouti et l'Erythrée... Cela s'inscrit dans notre politique étrangère. Nous sommes un petit pays. qui souhaite entretenir de l'amitié et de bonnes relations avec tout le monde. Nous contribuons à la paix et à la sécurité de notre région et du monde. Et nous travaillons nos en étroite collaboration avec alliés dans ce domaine. Etre un petit pays nous donne l'avantage d'être agiles et rapides. Nous n'avons aucun intérêt dans ces États, en dehors de soutenir leur stabilité et leur croissance. Et, bien sûr, cela contribue à notre stabilité régionale, ce qui nous aide à créer un environnement propice à notre propre croissance..

Quelles compétences faut-il pour jouer le rôle de médiateur dans un environnement aussi difficile?

Être patient. Avoir confiance dans ses efforts. Penser que ce sera le seul moyen de mettre fin au conflit. Et être persévérant.

Lorsque vous effectuez une médiation entre Israël et le Hamas, quelles sont vos carottes et quels sont vos bâtons?

C'est une bonne question... [Il prend un temps de réflexion. À mon avis, ce qui compte, c'est uniquement la confiance que nous avons bâtie avec les deux parties. Même si nous sommes en désaccord avec la politique du gouvernement israélien, je pense que nous avons avec lui de bonnes relations de travail, qui reposent sur un engagement mutuel permanent pour apporter, au bout du compte, la sûreté et la sécurité. Et en même temps, avec le Hamas, lorsque nous parlons de quelque chose, nous sommes fidèles à notre parole. Nous essayons d'obtenir des résultats en établissant une relation de confiance et en utilisant ce type de compétences. dont je parlais. Nous ne sommes pas une super-puissance, qui peut user de la carotte et du bâton.