DÉCRYPTAGE - Pour la plupart des spécialistes, Téhéran, quelles que soient les menaces proférées, ne prendra pas le risque d’un conflit militaire avec Israël.
Par Georges Malbrunot, Le Figaro
Pour Téhéran, la mort de Nasrallah est un coup très sévère porté à son influence au Moyen-Orient. Le Hezbollah était le joyau de la couronne iranienne que Téhéran avait patiemment bâtie depuis une quarantaine d’années pour affronter - de manière indirecte et sans s’exposer - ses ennemis israéliens et américains.
Dans la doctrine de sécurité iranienne, le Hezbollah et ses 140.000 missiles étaient sa dissuasion ultime face à l’État hébreu. Une première ligne de défense qui lui permettait d’être posté à la frontière nord d’Israël, à partir du sud du Liban, sans être présent au sol. Mais la destruction progressive depuis un an de l’appareil militaire de la milice chiite libanaise – 50% de ses capacités ont été anéanties, selon Israël – couplée à la double décapitation de sa branche militaire et politique - a complètement rebattu les cartes. Le Hezbollah protégeait l’Iran. Aujourd’hui, c’est l’Iran qui doit protéger un Hezbollah affaibli et déstabilisé.
Mais que va faire Téhéran? Entrer en guerre contre l’État hébreu? Menacer en paroles ses ennemis puis faire le dos rond?Les options restent ouvertes. Mais pour la plupart des experts, «Téhéran n’est désormais confronté qu’à de mauvais choix», comme le souligne Trita Parsi, spécialiste de l’Iran aux États-Unis. «Je doute que l’Iran réponde, affirme Abdullah Baabood, chercheur au Qatar, l’Iran a déjà subi une attaque plus forte sur son sol et n’a pas répondu directement. Téhéran a compris que Nétanyahou veut l'impliquer dans un conflit et par extension entraîner l’Iran dans une guerre ouverte avec les États-Unis, dont les Iraniens ne veulent pas.»
Ce n’est pas l'agenda actuel du pouvoir. Le président de la République, Masoud Pezeshkian, un modéré élu en juin, a déclaré la semaine dernière à NewYork que son pays entendait renouer avec l’Occident, y compris en rouvrant les négociations sur leur différend nucléaire Washington et les Européens jugent que l’Iran se rapproche de la bombe. «Si Pezechkian a fait cette proposition, c’est parce qu’il a reçu l’aval du guide suprême », estime un Franco-Iranien, qui va et vient entre Paris et Téhéran. Confronté à une crise économique et sociale aiguë qui le fragilise, et à une contestation larvée de sa population, l’Iran, à un mois d’une élection américaine cruciale pour son avenir, a le souci de ne pas ouvrir un front supplémentaire.
Infiltré par le Mossad Dans le système iranien, le guide suprême et le Conseil suprême de sécurité nationale qui l'assiste pour l'adoption des décisions stratégiques, sont les détenteurs des principaux pouvoirs aux côtés des tout-puissants gardiens de la révolution, ceux-là mêmes qui créèrent le Hezbollah en 1982 dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban.
Vendredi, l’un de ses cadres, legénéral Abbas Nilforouchan, a été tué dans le bunker où il se trouvait avec Hassan Nasrallah, a annoncé la presse iranienne. «Il existe un groupe d’Iraniens que personne ne voyait et qui décidait avec Nasrallah des décisions stratégiques du Hezbollah», nous confiait il y à quelques mois une source diplomatique française, familière de Téhéran et de Beyrouth. Sous-entendu: l'utilisation, par exemple, des missiles guidés de plus longue portée capables d'atteindre en profondeur Israël, dépendrait du bon vouloir de l’Iran.
Comme le Hezbollah à Beyrouth, les multiples officines du pouvoir à Téhéran se savent infiltrées par le Mossad. Israël l’a montré à plusieurs reprises, allant jusqu’à dérober des archives nucléaires, assassiner des responsables iraniens et même le chef du Hamas,Ismaël Haniyeh, cet été à Téhéran.
À chaque fois, l’Iran promit la foudre à Israël, mais se retint de frapper. Unefois de plus samedi, les porte-parole iraniens ont juré que «l’assassinat de Nasrallah ne resterait pas impuni ». «Il est obligatoire pour tous les musulmans de se tenir fièrement aux côtés du peuple libanais et du Hezbollah avec leurs ressources et de l'aider à affronter» Israël, a lancé l’ayatollah Ali Khamenei. Ces propos du guide suprême de la République islamique, placé dans un lieu sûr quelques heures après la liquidation de Nasrallah selon l'agence de presse Reuters, ont suscité une certaine perplexité chez ses coreligionnaires chiites du Liban. «On commence à avoir l'impression que l'Iran veut lutter contre Israël jusqu’aux derniers chiites libanais», remarque ainsi avec amertume un chiite du sud du Liban. «On se demande si l’Iran ne va pas nous sacrifier sur l'autel de sa relation avec les Américains, je ne suis pas le seul à le penser», ajoute-t-il.
«Changement de doctrine nucléaire»
Dimanche matin, le président du Parlement iranien, Mohammad Bagher Ghalibaf, a promis que «les groupes de la résistance allaient continuer d’affronter Israël avec l’aide de l’Iran». «Toutes les forces de (l’axe de) la résistance de la région sont aux côtés du Hezbollah et le soutiennent», a renchéri Ali Khamenei. C’est l'option de la poursuite d’un service minimum : que les relais iraniens en Irak et au Yémen, qui ont frappé ce dimanche l’État hébreu, attaquent encore Israël en solidarité avec le Hezbollah et le Hamas à Gaza.
Pour Hamidreza Azizi, chercheur en Allemagne,l’Iran, qui a subi plusieurs attaques d’Israël- y compris sur son territoire- a échoué à rétablir une dissuasion face à l’État hébreu. «L’Iran avait pensé montrer une réponse décisive qui empêcherait Israël de continuer d’attaquer les intérêts iraniens, mais cela ne s’est pas passé, l’assassinat de Nasrallah le montre». Mais «cela ne veut pas dire que l’Iran ne réagira pas», prévient-il.
Des attaques contre des intérêts israéliens ou juifs à l’étranger sont une autre option. Le 17 mars 1992, exactement un mois après la liquidation par un missile israélien du prédécesseur de Hassan Nasrallah, Abbas Moussaoui, un attentat visait l’ambassade d’Israël en Argentine faisant 29 morts. Buenos Aires accusa l’Iran et le Hezbollah d’en être les commanditaires.
Enfin, dernière option : la bombe atomique pour se sanctuariser, dès lors que le Hezbollah ne joue plus son rôle de protecteur. Cet été, un proche du guide suprême, Kamal Kharrazi, avait évoqué un «changement de doctrine nucléaire». «Ils y pensent mais cen’est pas leur choix à court terme», estime un observateur familier des arcanes du pouvoir à Téhéran.