Figure du mouvement « Femme, vie, liberté », la militante et journaliste, incarcérée à Téhéran, a entamé dimanche 10 décembre une nouvelle grève de la faim au moment même où lui était décerné le prix Nobel de la paix à Oslo. Son discours, dont « Le Monde » publie l’intégralité, a été prononcé par ses deux enfants, Kiana et Ali Rahmani.
Je tiens à exprimer ma gratitude envers les honorables membres du comité Nobel de la Paix pour avoir attribué le prestigieux prix Nobel de la paix au magnifique mouvement « Femme, vie, liberté » et à une femme emprisonnée, défenseuse des droits de l’homme et de la démocratie. Je suis reconnaissante pour votre soutien significatif et déterminé.
Je suis convaincue que l’impact indéniable du prix Nobel de la paix sur la puissante mobilisation des Iraniens pour la paix, la liberté et la démocratie sera largement supérieur à celui de ma lutte et de ma résistance personnelles. C’est une source d’espoir et d’inspiration pour moi.
Je fais partie des millions de femmes iraniennes fières et résistantes qui se sont dressées contre l’oppression, la répression, la discrimination et la tyrannie. Je me souviens des femmes anonymes et courageuses qui ont mené une vie de résistance dans différentes régions, malgré une répression impitoyable.
J’écris ce message derrière les murs hauts et froids d’une prison. Je suis une femme du Moyen-Orient, issue d’une région qui, bien qu’héritière d’une riche civilisation, est actuellement prise au piège de la guerre et la proie des flammes du terrorisme et de l’extrémisme. Je suis une femme iranienne qui est fière et honorée de contribuer à cette civilisation, elle qui est aujourd’hui victime de l’oppression d’un régime religieux tyrannique et misogyne. Je suis une femme emprisonnée qui, confrontée aux souffrances profondes et déchirantes dues à l’absence de liberté, d’égalité et de démocratie, a réalisé la nécessité de son existence et a trouvé la foi.
Au milieu des flammes de la violence et de la persistance du despotisme, notre combat relève, depuis des années, plus de la survie que de l’amélioration de la qualité de vie. (...)
La tyrannie est un mal sans fin et sans limites qui, depuis longtemps, jette son ombre sinistre sur des millions de personnes déplacées. ( ) La tyrannie est l’autre face de la guerre. L’intensité des deux est destructrice. (...) Risquer sa vie alors que règnent la terreur et l’insécurité de la tyrannie correspond à vivre l’existence d’une personne prise sous le feu des missiles et des balles. (...)
Un régime religieux tyrannique
Le peuple iranien s’est efforcé de réaliser la démocratie, la liberté et l’égalité. Il a toujours mis l’accent sur la non-violence et la résistance dans la poursuite de ses revendications, saisissant toutes les possibilités offertes pour construire une société de paix, de prospérité et de développement. Or, le monde est témoin de la répression brutale et impitoyable du gouvernement, qui s’oppose aux revendications de son peuple en matière de liberté et d’égalité en utilisant la répression, le massacre, l’exécution et la détention. (...) Sur le plan politique, la République islamique bloque toute forme de mouvement politique dans la société, limite ce qui est politiquement possible et réprime les actions collectives et individuelles. Au fond, la République islamique est essentiellement étrangère à son peuple. (...)
La République islamique a réduit le taux de participation politique à zéro et réprime durement les organisations civiles indépendantes, afin de ne laisser aucun espace de liberté sans intervention ni surveillance. Le gouvernement met systématiquement en uvre une discrimination fondée sur la religion, le genre et l’ethnie afin de cibler les « autres » dans son programme.
Sur le plan juridique, je tiens à dire clairement que le pouvoir judiciaire de la République islamique est l’incarnation de l’injustice et de la tyrannie, et un facteur de violation des droits de l’homme. (...) Ce qui est impossible d’obtenir au sein d’un tel système judiciaire, c’est la justice.
Dans le domaine culturel, le gouvernement a cherché à soutenir sa machine idéologique et ses organismes de propagande à des coûts exorbitants, dans le but d’entretenir l’acceptation idéologique ainsi qu’une propagande permanente et systématique. Par la censure, la suppression totale des médias indépendants, le contrôle et la répression, le gouvernement cherche à manipuler la véritable culture de la société. Malgré cela, la machine idéologique du gouvernement a perdu son efficacité, ce qui a remis en question la légitimité du gouvernement dans l’opinion publique.
Dans le domaine économique, le système soutient une économie basée sur la rente, le favoritisme et le pillage en attribuant des monopoles et des privilèges spéciaux à des groupes fidèles. (...) Les conséquences graves de ces politiques mettent en péril la vie de la population, sa dignité et son statut qui risquent de s’effondrer et d’être anéantis. (...)
Dans ces circonstances, le vaste mouvement « Femme, vie, liberté » a émergé dans le prolongement des luttes historiques, avec la participation active des femmes iraniennes, après le meurtre de Mahsa Amini (Zhina Amini), et a été soutenu massivement par les hommes et les jeunes Iraniens.
Le peuple, en particulier les femmes, confronté directement au régime religieux autoritaire, a acquis la capacité de remettre en question les modèles culturels et institutionnels, devenant une force puissante dans la lutte et la résistance, et esquissant une vision de la gouvernance et de la démocratie futures en Iran.
Les femmes ont acquis cette position influente en raison de quarante-cinq ans d’expérience de discrimination et d’injustice dans les domaines privés et publics, de ségrégation sexuelle et sexiste, et de leurs résistances inlassables.
Abolition du hidjab obligatoire
Le mouvement « Femme, vie, liberté » (...) a contribué de manière significative à l’extension de la résistance civile en Iran, en fédérant des mouvements de femmes, de jeunes, d’étudiants, d’enseignants, de travailleurs, de militants des droits de l’homme, d’écologistes, etc. Il s’agit d’un mouvement pour un changement profond. (...) Bien qu’il subisse actuellement la répression sévère du gouvernement, il reste vivant et dynamique.
L’intensification de l’oppression des femmes par le biais du port obligatoire du hidjab une honte gouvernementale ne nous contraindra pas à la conformité, car nous pensons qu’il n’est ni une obligation religieuse ni un modèle culturel, mais plutôt un moyen de contrôle et de soumission de toute la société. L’abolition du hidjab obligatoire équivaut à supprimer toutes les racines de la tyrannie religieuse et à briser les chaînes de l’oppression autoritaire. (...)
Je suis profondément reconnaissante du soutien des organisations internationales des droits de l’homme, ainsi que des organisations féminines, d’artistes, de l’association mondiale des écrivains, d’intellectuels et des médias internationaux pour leur soutien significatif au mouvement « Femme, vie, liberté ». Cependant, (...) les politiques et les stratégies des gouvernements occidentaux n’ont pas réussi à donner au peuple iranien les moyens d’atteindre ses objectifs et rendre la démocratie plus accessible dans cette partie du monde, et à garantir la paix. (...)
Les gouvernements occidentaux ne devraient pas remettre à plus tard la démocratie et les droits de l’homme en adoptant des stratégies fondées sur la pérennisation du régime de la République islamique. ( )
Je suis convaincue que la mondialisation de la paix et des droits de l’homme est plus importante et plus efficace que la mondialisation de tout autre aspect. (...)
De jeunes Iraniens ont aujourd’hui transformé les rues et les espaces publics en un espace de résistance civile généralisée. La résistance est vivante et la lutte ne faiblit pas. (...)
Aux côtés de la société civile, des femmes et des hommes résistants et courageux d’Iran, je tends la main avec espoir et enthousiasme à toutes les forces, tous les mouvements et personnes privilégiant la paix, la Charte mondiale des droits de l’homme et la démocratie. Je suis convaincue que la lumière de la liberté et de la justice brillera avec force sur la terre d’Iran. A ce moment-là, nous célébrerons la victoire de la démocratie et des droits de l’homme sur l’oppression et le despotisme, et le chant de victoire du peuple dans les rues d’Iran résonnera dans le monde entier.