Nicolas Baverez: «Les États-Unis reprennent la main face à la Chine»

Nicolas Baverez: «Les États-Unis reprennent la main face à la Chine»
الاثنين 20 نوفمبر, 2023

La rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping à San Francisco constitue une étape modeste dans un vaste choc des civilisations, mais elle nous livre des enseignements précieux : le XXIe siècle ne sera pas forcément chinois et les démocraties ne sont pas condamnées au déclin.

Le sommet de l’Apec, qui a réuni à San Francisco 21 nations du Pacifique comptant 3 milliards d’hommes et représentant 60 % du PIB de la planète a vu la reprise prudente d’un dialogue entre la Chine et les États-Unis. Il a livré un signal d’apaisement, après la pire période de tensions depuis le voyage de Nixon en 1972, tensions qui culminèrent avec le ballon espion qui traversa l’Amérique avant d’être abattu au large de la Caroline du Sud au début de l’année.

En dépit de l’absence de conférence de presse et de communiqué commun, la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping a permis de rouvrir les canaux de communication entre les armées pour prévenir les incidents - suspendus depuis la visite de Nancy Pelosi à Taïwan en août 2022 -, de s’entendre sur la lutte contre le trafic de fentanyl - responsable de plus de 75.000 morts par an aux États-Unis -, d’engager des discussions sur la limitation du recours à l’intelligence artificielle, particulièrement dans le domaine des armes nucléaires.

Ces progrès restent limités. La Chine a martelé, à la veille des élections présidentielles du 13 janvier 2024 à Taïwan, que rien ne pourra arrêter la réunification, tandis que les États-Unis ont rappelé leur position qui allie l’absence de soutien à l’indépendance et le refus d’une prise de contrôle de l’île par la force - ce qui implique la livraison d’armements pour faire face aux menaces d’invasion et de blocus brandies par Pékin. La Chine n’a pas donné suite à la demande des États-Unis d’intervenir auprès de la Russie et de l’Iran afin d’éviter toute escalade dans les guerres d’Ukraine et de Gaza. Les États-Unis n’ont rien cédé sur l’arsenal des sanctions économiques et l’embargo sur les semi-conducteurs visant Pékin. Les deux pays ne se sont accordés ni sur une architecture de dialogue globale, ni sur l’approche des défis planétaires que constituent les pandémies, le dérèglement climatique ou la prolifération des armes de destruction massive.

Sur le fond, rien n’a donc changé. La rivalité entre les États-Unis et la Chine est totale et s’inscrit dans la lutte à mort lancée par les empires autoritaires contre les démocraties qui ne laisse pas de place à une paix stable et durable. La Chine n’a renoncé ni à son totalitarisme numérique, ni à son impérialisme, ni à sa volonté de supplanter les États-Unis à l’horizon 2049, ni à l’ambition de construire un ordre post-occidental. Les États-Unis poursuivent leur stratégie d’endiguement économique, technologique et militaire de Pékin, qui constitue le seul point de consensus entre démocrates et républicains.

Pourtant, force est de constater que l’atmosphère s’est modifiée à San Francisco. Joe Biden a imposé l’approche américaine de la gestion raisonnée de la compétition entre les puissances et son agenda. Xi Jinping a opéré une retraite tactique face à l’échec de sa stratégie de confrontation frontale et cherché à convaincre les dirigeants des grandes entreprises américaines de réinvestir en Chine. Cette évolution reflète le basculement en faveur de l’Amérique du rapport de force entre les deux géants qui dominent l’histoire du XXIe siècle.

Xi Jinping acquitte au prix fort l’erreur d’avoir lancé trop tôt son offensive contre les États-Unis en pariant sur leur déclin inéluctable après l’enchaînement du krach de 2008, des guerres perdues d’Irak et d’Afghanistan, de la passivité face à l’annexion de la Crimée par la Russie, puis du sauvetage du régime de Damas par la Russie et l’Iran, des ravages provoqués par l’emballement des passions populistes et de la guerre culturelle. Par son agressivité débridée et par les excès de son pouvoir absolu - dont le dernier avatar est la disparition suspecte de Li Keqiang, son ancien premier ministre réformateur -, il a réveillé l’Amérique, créé une anxiété et une mobilisation en Asie pour contrer ses coups de force et mis la Chine à l’arrêt.

La démographie s’effondre avec une fécondité limitée à un enfant par femme et une chute de la population active de 7 millions de personnes par an. La croissance est revenue de 9,5 % à 3 % par an, jetant un jeune diplômés ur trois au chômage. Les importations de produits chinois aux États-Unis ont régressé de 24 % depuis janvier 2023, soit une perte de 316 milliards de dollars.

Les États-Unis sont très loin de connaître un retour à la domination de l’Amérique impériale. Ils sont durement touchés par la diminution de l’espérance de vie du fait de la crise des opioïdes et de l’absence d’une politique de santé publique, par le surendettement public (123 % du PIB), par la division de la société, le dérèglement des institutions et la corruption des valeurs de la démocratie impulsés et incarnés par Donald Trump.

Pour autant, le PIB des États-Unis est aujourd’hui supérieur de moitié à celui de la Chine, contre un tiers il y a cinq ans. La croissance et les gains de productivité y sont désormais plus élevés, ce qui remet en question le basculement inéluctable du leadership économique et technologique vers la Chine. Le soft power américain a retrouvé puissance et attractivité. Enfin, Washington a effectué lors des guerres d’Ukraine et de Gaza une démonstration de force militaire et diplomatique, opérant un spectaculaire retour en Europe et au Moyen-Orient, rappelant que ses forces armées demeurent inégalées par leur puissance et leur qualité, leur culture et leur expérience du combat, le réseau des alliances et des bases qui les appuient.

L’histoire est loin d’être achevée, ainsi que le rappelle l’élection présidentielle américaine de 2024 qui pourrait voir l’Amérique se retourner contre l’Amérique avec le retour au pouvoir de Donald Trump. La rencontre de San Francisco constitue une étape modeste dans un vaste choc des civilisations, mais elle nous livre des enseignements précieux. Le XXIe siècle ne sera pas forcément chinois. Les empires autoritaires dont la Chine est le parangon ne sont ni infaillibles, ni invincibles. Les démocraties prennent l’avantage, dès qu’elles définissent et appliquent des stratégies de long terme et font preuve de cohérence et de patience. Leur déclin n’a donc rien d’inéluctable et il ne dépend que de la volonté de leurs citoyens et de la lucidité de leurs dirigeants de l’infirmer, aux États-Unis mais aussi en Europe.

Le Figaro