Oman, artisan de la détente au Moyen-Orient

Oman, artisan de la détente au Moyen-Orient
الأربعاء 12 يوليو, 2023

Le sultanat, qui a la confiance de Washington, Riyad et Téhéran, mène une active diplomatie dans la région

A Oman, le visage du pouvoir change, mais la ligne diplomatique ne varie pas. A l’image de Qabous Ben Saïd Al Saïd, qui fit office, pendant ses cinquante années de règne, de trait d’union entre les mondes perse, arabe et occidental, l’actuel sultan de Mascate, Haitham Ben Tareq Al Saïd, en poste depuis 2020, joue le rôle de raccommodeur des déchirures moyen-orientales. Dans une région en pleine recomposition, marquée par l’amorce d’un rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, scellée au mois de mars à Pékin, le sultanat, qui jouit de la confiance de ces deux puissants voisins, sert de médiateur et de facilitateur, œuvrant en coulisses à apaiser les tensions.

Le principal dossier dans lequel la monarchie est investie est le programme nucléaire iranien. Elle soutient les efforts de Téhéran et Washington visant à élaborer une sorte de « mini-accord », un JCPOA a minima, du nom du compromis de 2015 (Joint Comprehensive Plan of Action), signé à Vienne sous l’égide de Barack Obama. Mascate poursuit également sa mission de bons offices dans le conflit yéménite, guerre civile actuellement gelée, mais susceptible, en l’absence de cessez-le-feu formel, de redémarrer à tout moment.

Neutralité et discrétion

Le pays des confins de la péninsule arabique a été aux avants postes, aussi, de la campagne visant à réintégrer la Syrie de Bachar Al-Assad dans la Ligue arabe, une décision consacrée en mai, au sommet de Djedda. Et ses talents de conciliateur ont été sollicités, plus récemment, sur le contentieux pétro-maritime d’Al-Durra, un gisement sur lequel l’Iran revendique des droits, au grand dam du Koweït et de l’Arabie saoudite, qui se présentent comme ses propriétaires exclusifs.

« La médiation est dans l’ADN diplomatique d’Oman, souligne le politologue genevois Hasni Abidi, qui mène actuellement des recherches dans le Golfe. De confession ibadite, une branche ultraminoritaire de l’islam, le pays a su rester à l’écart du schisme sunnite-chiite, qui ronge le Proche-Orient depuis près de cinquante ans, et notamment du conflit Iran-Irak. Reconnaissant envers Téhéran qui l’a aidé à triompher dans les années 1970 de l’insurrection marxisante du Dhofar, le régime omanais a su se gagner les faveurs de Washington dans les années 1990, en autorisant Israël à ouvrir une représentation commerciale sur son sol.

« Le sultanat cultive une neutralité et une discrétion qui font de lui un intermédiaire fiable pour toutes les parties, poursuit Hasni Abidi. Il est devenu une plaque tournante des négociations dans la région, le lieu où il faut être ou du moins passer pour tous les diplomates et les agents de renseignements occidentaux. »

Sur le contentieux nucléaire iranien, matrice numéro un de l’instabilité régionale, Oman sert de plate-forme aux discussions dites « de proximité » entre Téhéran et Washington. « Les émissaires de deux camps ne sont pas dans la même pièce mais ils sont peut-être dans le même hôtel et les Omanais font la navette entre eux, un peu comme les diplomates européens l’avaient fait, en amont du JCPOA », explique Sanam Vakil, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House, un think tank londonien.

Entre février et mai, l’ex-envoyé spécial des Etat-Unis sur le nucléaire iranien, Robert Malley – qui a été suspendu de ses fonctions en juin pour un contrôle d’habilitation sécuritaire –, s’est rendu à plusieurs reprises dans le sultanat. Il s’y est notamment entretenu avec Khalifa Al Harthy, le bras droit de Sayyed Badr Al-Busaidi, le ministre des affaires étrangères. Fin mai, le sultan Haitham a rencontré à Téhéran le président iranien Ebrahim Raïssi, qui était venu un an plus tôt à Mascate.

Derrière ces visites de hauts responsables, plus ou moins médiatisées, le gros du travail de médiation omanais est mené en coulisses, par les services de renseignement du sultanat, dirigés par Mohammed Al-Naamani. Ils ont été à la manœuvre dans la récente libération de plusieurs Occidentaux et binationaux, retenus comme otages en Iran.

Tractations au Yémen

Sur le dossier yéménite, Oman cherche à pérenniser le calme qui prévaut dans le pays depuis l’expiration en octobre d’un accord de trêve de six mois. A cet effet, les agents de Mascate ont soumis aux miliciens houthistes et à l’Arabie saoudite un projet de cessez-le-feu. Ce document prévoit que les rebelles yéménites baissent les armes et cessent définitivement les tirs de missiles contre le royaume, et qu’en échange, la monarchie saoudienne prenne en charge leurs salaires. Les tractations se déroulent entre Sana’a, Riyad et Mascate, houthistes et Saoudiens se parlant soit directement, soit par l’entremise des Omanais.

« Pour l’instant, les négociations bloquent parce que les houthistes insistent pour signer cet accord avec les Saoudiens et que ceux-ci refusent, en affirmant qu’ils doivent signer avec le Conseil présidentiel » (l’organe exécutif du camp loyaliste yéménite, mis en place après la démission du président Abd Rabbo Mansour Hadi, en avril 2022), affirme un diplomate occidental en poste à Mascate. « Les houthistes ne cessent de faire monter les enchères, un jeu très dangereux qui pourrait mener à une reprise des violences, déplore Farea Al-Muslimi, spécialiste du Yémen à Chatham House.

Dans cette affaire, Oman joue une part de son crédit. Le sentiment monte dans les chancelleries occidentales que le travail de courtier du sultanat profite davantage à l’axe pro-iranien qu’au camp adverse. Le premier a obtenu la reconnaissance des houthistes comme autorité de facto du Nord-Yémen et le retour de Damas dans le concert arabe, sans rien concéder en retour pour le moment.

« Les Etats-Unis sont frustrés, confie Farea Al-Muslimi, ils trouvent que les Omanais pourraient davantage faire pression sur les houthistes. Les Américains ne sont même pas arrivés à faire libérer le personnel yéménite de leur ambassade à Sana’a. » Onze employés de la représentation américaine ont été arrêtés en 2021 par les houthistes, au motif qu’ils seraient des espions à la solde de Washington. « Les Omanais jouent un rôle de premier plan, mais si les Iraniens persistent à ne rien vouloir donner, ils pourraient finir par apparaître comme les dindons de la farce », met en garde le diplomate en poste à Mascate. « Le sultanat fait un pari qui vaut la peine selon lui, nuance Sanam Vakil. La région est épuisée par les conflits. Mais il faut être patient. On est dans un marathon, pas un sprint. »

 

Benjamin Barthe, lemonde.fr