Chronique. La politique d’un gouvernement, aussi exécrable soit-elle, ne doit pas amener à remettre en cause l’existence de l’Etat qu’il dirige.
L'EXPRESS
Critiquer la politique d’un gouvernement à un moment M ou sur un dossier D, voire sur sa composition intrinsèque, est parfaitement légitime. On peut même étendre la critique à toute politique gouvernementale pluriannuelle par-delà les équipes successives. En démocratie, le regard critique du citoyen face au pouvoir politique est non seulement légal mais nécessaire.
La coalition israélienne issue du scrutin du 1er novembre 2022 est, justement, hautement critiquable : remise en cause partielle des prérogatives de la Cour suprême, coupes budgétaires dans les budgets sociaux (sauf pour le milieu ultraorthodoxe dont les députés siègent dans la coalition !), absence de volonté de négocier avec l’Autorité palestinienne, impunité accordée à des activistes antipalestiniens violents, propos racistes et incendiaires de deux éminents ministres d’extrême droite, nature de la riposte au massacre du 7 octobre, etc. Au passage, on rappellera aux contempteurs compulsifs d’Israël que ses citoyens ne les ont pas attendus pour protester dans la rue par centaines de milliers ou à travers les sondages et les réseaux sociaux. Une réalité qui illustre un haut niveau de conscience civique et une liberté d’expression qui ne prévalent que très exceptionnellement dans la région…
Mais depuis quand la politique d’un gouvernement délégitime-t-elle le droit à l’existence de l’Etat aux destinées duquel il préside ? Depuis quand remet-on en cause les fondements philosophiques ou spirituels de cet Etat sous prétexte d’une politique, si exécrable soit-elle ? Netanyahou pourrait bien être le pire des Premiers ministres, en vertu de quoi le sionisme et son fruit politique, l’Etat hébreu, devrait-il être flétri en soi ? La question s’impose d’autant plus ici que les dix premières décennies de cet idéal politique né dans les années 1860-1870 s’inscrivirent à la gauche laïque et pas du tout à la droite nationaliste (pro) religieuse qui correspond à l’actuelle coalition au pouvoir ! Faut-il abolir les Etats dont des gouvernements se comportèrent mal ? Hors de l’Islande, du Luxembourg et des Vanuatu, il en resterait bien peu…
Le peuple juif a droit à sa souveraineté étatique
A la vérité, le légitime rejet du gouvernement Netanyahou est instrumentalisé par les antisionistes patentés pour lesquels la notion même de peuple juif n’existe pas. Si tel est le cas, Français ou Palestiniens n’en incarnent pas davantage. Ou alors, il faudrait admettre que seul le collectif juif ne peut décider de la nature de son identité collective, assumant ainsi une discrimination flagrante. Et la discrimination à l’encontre des juifs, cela porte le nom délictueux d’antisémitisme.
Un peuple est avant tout une représentation et les juifs d’Israël se représentent très majoritairement comme appartenant à un peuple, en l’espèce de retour sur sa terre ancestrale. C’est là la quintessence du sionisme, et non une "volonté de refuge", qui n’a aucun sens avant au moins les années 1930 en Allemagne (1).
Croit-on sérieusement que les jeunes sionistes du Bilou, dans la décennie 1880-1890 – soit bien avant la Shoah – vont fuir les pogroms de l’empire tsariste en se réfugiant… dans la Palestine turque, ce bout de terre semi-aride délaissé par l’Empire ottoman puissant et hostile au projet (et déjà assassin de masse des Arméniens), infesté de malaria dans les basses terres arables, traversée par des bandes bédouines pratiquant des razzias, et peuplé en majorité par des Arabes qui risquent fort de les accueillir fraîchement ? Ça, un refuge ? Ridicule ! Les premiers sionistes étaient idéalistes mais pas idiots ; en réalité, le sionisme fut un mouvement politique (antireligieux) d’émancipation nationale, prônant le rebasculement de la dimension religieuse diasporique presque bimillénaire à celle nationale antique du roi David et de ses successeurs dix siècles durant, sous l’Antiquité tardive.
Comme le peuple palestinien, le peuple juif a droit à sa souveraineté étatique. Toute autre posture moraliste et extérieure de rejet est inopérante et mortifère. Comme nous l’avons déjà écrit dans ces colonnes, il existe bien deux consciences nationales, et il faudra donc deux Etats souverains, comme l’avait préconisé dès 1947 et le rappelle depuis l'ONU, comme plusieurs gouvernements israéliens et l’OLP, puis l’Autorité palestinienne, l’avaient accepté. Deux Etats-nations. Dont Israël.
[1] Je renvoie à mon ouvrage Géopolitique du sionisme, Armand Colin (2è éd.), 2009.