Paris et Washington dessinent les contours d’une solution diplomatique entre Israël et le Liban

Paris et Washington dessinent les contours d’une solution diplomatique entre Israël et le Liban
السبت 10 فبراير, 2024

Pour le Hezbollah, acteur incontournable des négociations, la fin des hostilités dans la bande de Gaza est un préalable.

Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante), Jean-Philippe Rémy et Philippe Ricard. Le Monde


Les contours d’une solution diplomatique au conflit qui fait rage entre Israël et le Hezbollah à la frontière avec le Liban prennent, peu à peu, forme, à l’initiative de Paris et de Washington. La France, qui plaide pour dissocier le dossier libanais de la situation dans la bande de Gaza, a formulé une proposition appelant à la mise en place, sans attendre, de mesures de déconfliction. Mais l’échec d’Israël et du Hamas à s’entendre sur les conditions d’une trêve complique ces efforts. Au Liban, le Hezbollah, incontournable dans la formulation d’un accord, conditionne l’ouverture de négociations à la fin des hostilités dans la bande de Gaza.

Le plan concocté par les Français a été remis par le chef de la diplomatie, Stéphane Séjourné, aux autorités libanaises, mardi 6 février. Il avait un peu plus tôt fait l’objet de discussions avec les autorités israéliennes, lors d’une visite de hauts représentants des ministères des affaires étrangères et des armées, Frédéric Mondoloni et Alice Rufo. Il prévoit différentes mesures techniques et opérationnelles pour contribuer à une désescalade progressive. Le Hezbollah, qui aurait été testé sur le projet français, affirme ne pas vouloir l’accepter tant qu’un cessez-le-feu n’est pas signé dans la bande de Gaza. « Il faut poursuivre le travail de conviction », observe une source diplomatique.

« Le Hezbollah ne donne ni réponse ni assurance. Mais, dans la seconde même où il y aura un cessez-le-feu ou une suspension des opérations dans la bande de Gaza, on pourra envisager de premiers pas au Liban », estime Elias Bou Saab, le négociateur en chef libanais. Le message a été passé à Amos Hochstein, l’envoyé spécial du président américain, Joe Biden, qui mène la médiation pour trouver un nouveau modus vivendi autour de la frontière entre le Liban et Israël. En 2022, il était parvenu à sceller un accord de délimitation de leur frontière maritime. « Les Français ont leurs idées, les Américains en ont d’autres. Elles se rejoindront à un moment », précise le négociateur libanais.

Règlement sur la frontière terrestre
Ces deux initiatives, menées en concertation, s’accordent sur un cadre général. L’objectif est de parvenir à la pleine application de la résolution 1701 en contrepartie d’un règlement sur la frontière terrestre. Cette résolution, votée au Conseil de sécurité des Nations unies au sortir de la guerre de 2006, stipule que seules l’armée libanaise et la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) soient déployées au Liban sud. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est dit ouvert à des négociations sur la frontière, une « opportunité historique » de libérer les territoires disputés depuis le retrait israélien du Liban en 2000. « Ce dossier va être difficile. Il ne faut pas y placer trop d’attentes et commencer par des mesures révocables, sur lesquelles créer un momentum diplomatique », estime Heiko Wimmen de l’International Crisis Group (ICG).

Le Liban exige la fin des attaques israéliennes, qui ont déplacé 86 000 habitants du Liban sud, des assassinats ciblés ainsi que des survols aériens de son territoire. « Jusqu’à présent, aucun engagement ne nous est parvenu de la partie israélienne », précise Elias Bou Saab. Afin de permettre le retour des 80 000 déplacés israéliens dans le nord de la Galilée, l’Etat hébreu insiste sur le retrait du Hezbollah et de ses armes audelà du fleuve Litani, à 25 kilomètres de la frontière. La question de la démilitarisation du Hezbollah se prête à « différentes interprétations », souligne le négociateur libanais.

Paris et Washington proposent de procéder par étapes. « Pour trouver une solution, les Israéliens sont prêts à traiter sur la base d’un retrait d’une bande frontalière de 8 à 10 kilomètres », une distance équivalente à la portée des missiles antichars du Hezbollah, précise une source française. Le parti de Dieu devrait s’engager à en retirer sa force d’élite Radwan et à ne pas y reconstruire ses bases et postes d’observation, que les Israéliens s’appliquent à détruire depuis octobre 2023. La réflexion au sujet de son arsenal de missiles et de roquettes est tenue à l’écart des discussions actuelles. « Ce retrait du Hezbollah de 8 à 10 kilomètres pourrait être le début d’une mise en application graduelle », estime un responsable israélien.

La France met l’accent sur un programme de soutien aux forces armées libanaises (FAL), afin qu’elles puissent être déployées dans la bande frontalière. Le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, était en visite, vendredi à Beyrouth, pour en discuter. « Le soutien aux FAL constitue l’une des priorités de la France, qui cherche à rallier le plus grand nombre possible de partenaires », dit une source diplomatique. L’idée serait de solliciter à nouveau le Qatar, qui assure déjà une partie du financement des forces libanaises. La question devrait être abordée lors de la visite de l’émir du Qatar à Paris, Tamim Ben Hamad Al Thani, fin février.

Le Liban, en quasi-faillite, dit ne pas être en mesure de fournir les effectifs nécessaires pour un tel redéploiement, estimé à quelque 12 000 hommes. Près de 2 500 membres des FAL sont actuellement déployés au Liban sud, au côté des 10 000 troupes de la Finul. Le Royaume-Uni propose de former de nouvelles recrues et de construire des tours d’observation pour les FAL.

Paris suggère de formaliser un accord similaire à celui d’avril 1996, qui a mis fin à l’opération israélienne au Liban. Il ne serait pas signé directement par les parties, mais sa mise en œuvre serait garantie par la France, les Etats-Unis et d’autres pays européens. Aucun calendrier n’est avancé. « Quoi que vous vouliez mettre en place en matière d’arrangements sécuritaires doit être accepté par le Hezbollah », affirme Heiko Wimmen de l’International Crisis Group, estimant que le « processus sera lent ».

Les Français n’excluent pas une escalade. « La seule solution est politique et diplomatique. Une guerre pourrait se compter en années », avertit Elias Abou Saab.