DÉCRYPTAGE - L’accélération des changements au Proche-Orient a remis la question nucléaire iranienne sur le devant de la scène. Mais Joe Biden pousse Israël à y renoncer.
Par Isabelle Lasserre, Le Figaro
Depuis les massacres du 7 Octobre, c’est l’éléphant dans la pièce, le sujet tabou qui recouvre d’un brouillard menaçant le conflit au Proche-Orient, l’arrière-pensée des diplomates. Mise entre parenthèses par l’invasion de l’Ukraine en février 2022, la question du nucléaire iranien est brusquement revenue sur le devant de la scène. Israël peut-il, et va-t-il, dans sa réplique annoncée aux tirs de missiles iraniens, pousser les représailles jusqu’aux installations nucléaires iraniennes ?
Les forces de sécurité de l’État hébreu se préparent depuis longtemps à cette éventualité. L’accord sur le nucléaire iranien, scellé en 2015 entre la communauté internationale et l’Iran, qui visait à ralentir la marche de la République islamique vers la bombe, est mort, tué par le retrait unilatéral de l’Administration Trump en 2018 et par les violations de Téhéran. Le retard imposé au programmeiranien par les opérations clandestines d’Israël, qu’il s’agisse du virus informatique Stuxnet, qui a endommagé les centrifugeuse en 2010 ou des assassinats ciblés d’ingénieurs et de scientifiques, a été comblé par Téhéran.
La fin de la coopération entre Israël et l’AIEA, le gendarme du nucléaire de l’ONU, a rendu aveugle la surveillance de la communauté internationale. Le renforcement des liens stratégiques entre l’Iran et la Russie, qui a fourni des missiles antiaériens S300 à Téhéran pour protéger ses installations nucléaires, et le développement du programme balistique iranien jouent un rôle d’accélérateur dans le programme militaire iranien. En échange de l’aide militaire au Kremlin dans sa guerre contre l’Ukraine (drones et missiles), «la Russie partage avec l’Iran ses technologies, y compris sur la question nucléaire» a affirmé, en septembre, le secrétaire d’État américain Antony Blinken.
Alors que les centrifugeuses se sont remises à tourner àplein régime, le dossier nucléaire iranien est devenu une question urgente pour Israël. «Jusquelà, le statut du seuil nucléaire, couplé à l’énorme arsenal du Hezbollah, suffisait à l’Iran pour dissuader Israël et pour agir librement au Moyen-Orient, via ses affidés» explique un diplomate. Mais l’affaiblissement du Hamas et du Hezbollah, à la fois militairement et politiquement, pourrait convaincre l’Iran de franchir une nouvelle étape nucléaire, de fabriquer des charges et de les installer sur des missiles balistiques, afin de rétablir sa position de chef de file de «l’axe de la résistance». Combien de temps faudrait-il alors à la République islamique pour devenir un État nucléaire à part entière, avec toutes ses conséquences, relance de la prolifération dans la région et parapluie formidable offert aux «proxies» pour se reconstituer?
Sites souterrains
Les avis des experts divergent, mais la plupart évoquent quelques mois. Pour les autorités israéliennes, il s’agit donc d’une question existentielle. Depuis la révolution islamique, l’Iran se considère en guerre contre l’État juif, surnommé «le petit satan». Le Hezbollah a fait de «l’anéantissement d’Israël» une de ses priorités. L’extension du conflit au Moyen-Orient, les attaques de l’Iran pourraient fournir à Israël, enhardi dans ses succès, une opportunité, dans le vide politique qui précède toujours les élections présidentielles américaines, de frapper les installations nucléaires iraniennes.
Mais cette option comporte des risques et des difficultés. Le programme nucléaire iranien a en grande partie été enterré, pour se protéger des bombardement saériens. Il a été dispersé sur tout le territoire. Et si les renseignements israéliens et occidentaux sont très au point sur la question, ils ne peuvent exclure que depuis la rupture avec l’AIEA, de nouveaux sites souterrains aient pu être construits. Pour réaliser cette opération militaire de grande ampleur, Israël aurait en théorie besoin de bombes à perforation antibunker que les États-Unis ont pour l’instant refusé de lui fournir. Joe Biden a affirmé qu’il ne soutiendrait pas une attaque israélienne contre les installations nucléaires, qui pourrait selon lui entraîner une guerre régionale ou précipiter la décision iranienne de devenir un État nucléaire.
Au commencement était le Hamas. Mais à la fin sera l’Iran, la véritable cible, celle qui nourrit d’armes et d’idéologie ses affidés au Moyen-Orient. Comme l’affirmait récemment Joshua Zarka, l’ambassadeur israélien en France, dans une interview au Figaro : «Tant que l’Iran n’aura pas profondément changé, il n’y aura pas de paix dans la région.» Pour donner une chance à un changement de régime en Iran, Israël pourrait aussi décider de frapper les installationspétrolières, attaquant ainsi les rentrées financières du régime. Les États-Unis se sont également opposés à cette solution, qui déstabiliserait le marché des hydrocarbures. Mais pourraient-ils, si Israël ignorait leurs pressions, rester à l’écart de ce nouveau front? Ils ont frappé jeudi des dépôts souterrains de munitions des rebelles houthistes au Yémen, avec des bombes pénétrantes de dernière génération. Les mêmes qui pourraient frapper les sites iraniens. Un message direct à Téhéran.