Affaiblissement du Hezbollah et de son parrain iranien, chute de Bachar al-Assad dans la Syrie voisine, mise en place d’un exécutif comptant des personnalités incontestables… Les récents bouleversements ont débloqué la situation dans un pays qui était dans l’impasse. Les défis sont colossaux et le contexte géopolitique régional reste explosif, mais une nouvelle ère semble s’être ouverte.
La ministre est sagement assise au premier rang, tandis que l’humoriste fustige tous les gouvernements successifs, incompétents et corrompus. Il la regarde et dit : « OK, les ex-gouvernements ! » Tout le monde éclate de rire, la ministre compris. Ça se passe à Beyrouth en mai 2025, à l’occasion de la Nuit des Idées organisée par l’Institut français, et nulle part ailleurs au Moyen-Orient ! C’est le grand paradoxe libanais : de véritables espaces de liberté et un authentique pluralisme d’opinion, qui cohabitent avec la guerre pas tout à fait éteinte, les dégâts de l’impotence politique, et un contexte géopolitique explosif.
Il y a une petite brise d’optimisme sur le Liban, c’est assez rare pour être signalé. Les bouleversements des dix-huit derniers mois, l’affaiblissement du Hezbollah et de son parrain iranien, la chute de Bachar al-Assad dans la Syrie voisine, l’émergence de l’Arabie saoudite comme LA puissance régionale sunnite qui compte… Tout cela a débloqué la situation dans un pays qui était dans l’impasse.
L'élection en début d'année d'un président, le général Joseph Aoun, ex-chef de l'armée, a été rendue possible par des interventions française et saoudienne; puis la désignation d'un Premier ministre au profil remarquable: Nawaf Salam, qui était jusqu'à janvier président de la Cour internationale de Justice des Nations unies. Et désormais un gouvernement comptant des personnalités incontestables, comme Ghassan Salamé, ancien diplomate onusien et spécialiste des relations internationales, nommé ministre de la Culture et très proche du Premier ministre.
Il ne suffit pas d'avoir de bons ministres pour redresser un pays en piteux état, mais ça aide. Les défis sont colossaux, avec Israël qui y bombarde des cibles presque chaque jour malgré le cessez-le-feu; la Syrie qui peine à se stabiliser et qui, au lieu de reprendre ses réfugiés, en envoie de nouveaux au Liban-les Alaouites, victimes de massacres; et la question du désarmement du Hezbollah, délicate malgré les proclamations par le général Aoun du principe du «monopole des armes» dévolu à l'Etat. Sans parler de l'agenda national, avec des réformes indispensables qui se heurtent à des intérêts maoeux ou politico-affairistes enracinés depuis des décennies. Cela fait beaucoup pour le gouvernement d'un pays exsangue, qui vient de vivre une guerre, certes imperceptible quand on se trouve au centre de Beyrouth, mais qui laisse de nombreux Libanais démunis.
Pourtant, comparé aux dernières années, entre les conséquences catastrophiques de l'explosion du port de Beyrouth en 2020, la puissance paralysante du Hezbollah et l'échec de la «thaoura», la révolution, ce printemps démocratique qui a suscité des espoirs déçus, le contexte actuel permet un peu d'espoir. Les Libanais n'en sont pas à croire à un dépassement du système politico-confessionnel, que la « thaoura » rêvait d'abattre, mais au minimum à un pays fonctionnel, capable de fournir de l'électricité à ses habitants - contre quelques heures par jour actuellement-, de débloquer les avoirs personnels gelés par les banques, ou encore d'assurer la sécurité de ses citoyens.
Beaucoup dépend de l9évolution des pays voisins, de la stabilité ou de l'effondrement de la Syrie d'Ahmed al-Charaa, qui conditionne la présence de centaines de milliers de réfugiés ; ou de l'attitude d'Israël, hégémon régional à l'hubris illimité, qui a affaibli le Hezbollah mais ne permet pas au Proche-Orient de retrouver un équilibre. Le Liban a assurément besoin de ses amis, au premier rang desquels la France, pour que cet espoir ténu ne soit pas gâché.
Le Nouvel Obs.